Dom Juan est-elle une pièce comique ?
Dissertation : Dom Juan est-elle une pièce comique ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar aaurnd • 8 Février 2018 • Dissertation • 2 247 Mots (9 Pages) • 9 573 Vues
Dom Juan est-elle une pièce comique ?
Parmi les oeuvres de Molière, la pièce de Dom Juan est sans doute celle qui demeure la plus difficile à classer dans un genre théâtral précis. Et à ce titre, il n'est pas sûr que l'on puisse affirmer que Dom Juan soit une comédie, si l'on prend en compte toutes les règles poétiques auxquelles doit obéir une comédie. Aussi commencera-t-on tout d'abord par se demander si Dom Juan est une pièce comique ? Pour examiner cette question, il conviendra dans un premier temps de rechercher dans Dom Juan, les éléments et les scènes qui peuvent être considérés comme comiques, en se demandant si leurs procédés et leur ressort sont assimilables à une forme de comique particulière, ce qui n'est pas forcément le cas. Après cet examen, il sera alors intéressant de s'interroger sur la visée de ces éléments comiques et voir quelle interprétation ils donnent à l'aventure et à la destinée de Dom Juan dont il s'agira alors de dire s'il est un personnage comique, doté d'un caractère particulier. Enfin, on ne saurait examiner la question sans réfléchir au rôle joué par Sganarelle dans la pièce, et a fortiori aux réactions du public.
Si Dom Juam est une pièce comique, c'est qu'il existe des scènes particulièrement célèbres, qui ont frappé l'imaginaire des spectateurs, mais aussi leur sens critique du comique. Ainsi l'une des scènes les plus comiques de la pièce n'est-elle pas la troisième scène de l'acte IV qui oppose Dom Juan à son créancier Monsieur Dimanche. Cette scène se déroule juste après la visite de Dom Juan au tombeau du commandeur, et par sa légèreté, elle apporte un « intermède », un moment de répit et de détente, où le rire se manifeste pour une dernière fois, avant la mort de Dom Juan. Dans cette scène, le ressort comique est le caprice feint de Dom Juan qui souhaite que Monsieur Dimanche prenne un siège pour lui réclamer de l'argent. Dom Juan multiplie les civilités, les caresses et étourdit Monsieur Dimanche en voulant le retenir à dîner. Le registre comique est ici celui de la farce, notamment lorsque Dom Juan feint de prendre des nouvelles des membres de la famille de Monsieur Dimanche. Les procédés comiques sont ceux du burlesque, comme l'hyperbole et les tournures interro-négatives qui revêtent rapidement un sens ironique. « Et votre petit chien Brusquet ? gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ? » Cette scène par l'élaboration du dialogue est une scène typique, où Dom Juan confisque la parole pour obliger Monsieur Dimanche à battre retraite.
Si la scène de l'endettement de Dom Juan relève plutôt du comique de moeurs, la scène de séduction des deux paysannes appartient davantage au comique de gestes et de situation. Les échanges dans cette scène sont assez équitablement répartis entre Dom Juan, Mathurine et Charlotte, mais c'est leur enchaînement qui possède surtout ici une force comique saisissante. Les procédés sont la répétitions des gestes, l'attitude des trois personnages, et le parallélisme permanent des formules de Mathurine, Charlotte et Dom Juan. Le ressort comique est d'une part celui de la jalousie et de la vanité féminine, et d'autre part, le jeu bipolaire de la dissimulation et de la simulation de Dom Juam. « Dom juan, bas à Mathurine. Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser. Charlotte, Je.... Dom Juam, bas à Charlotte. Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme. Mathurine, Holà!Charlotte, Ca n'est pas bien de courir sur le marché des autres. Charlotte, Ca n'est pas honnête, Mathurine, d'être jalouse que Monsieur me parle. » Le comique de cette scène légère est d'autant plus puissant que les situations et les paroles des deux paysannes sont redoublées par un mécanisme de répétition et un phénomène d'écho.
Un autre phénomène de dédoublement existe tout au long de cette pièce comique, c'est évidemment celui du couple comique que forme Dom Juan et Sganarelle dont on analysera plus loin les effets sur les spectateurs. Mais si Sganarelle donne souvent la réplique à son maître, dans la première scène del'Acte I, Sganarelle prend l'initiative de vanter les mérites du tabac, et dans cette scène, il parodie l'orateur qui élabore un éloge du tabac. Son discours entend impressionner Gusman par le recours aux règles rhétoriques. Ainsi son discours commence par un exorde: « Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac,c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre ». Non seulement le propos est excessif, mais il tire sa force comique des proverbes ou des maximes qu'emploie Sganarelle. Tout aussi rhétorique est la confirmatio du discours de Sganarelle: « Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec à devenir honnête homme». Si longue que soit cette période, elle n'en repose pas moins sur une structure binaire des plus simples, que Sganarelle utilise à bon escient pour impressionner Gusman. On voit aussi que cet éloge du tabac est parodique, car si l'on remplaçait le thème du tabac par celui du théâtre, le propos de Sganarelle ne saurait plus aussi surprenant. En effet, Le tabac agit comme une catharsis qui libère les spectateurs comme les consommateurs de tabac de pulsions négatives. La suite du discours de Sganarelle fait naturellement place à une réfutatio des arguments de la partie adverse de sa thèse: « Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? ». Lors de cette refutatio, Sganarelle ne parvient pas à conserver son sérieux et il cède à sa vraie nature et à son registre du comique de moeurs.
Ces trois scènes sont donc un exemple et une illustration de la veine comique de la pièce de Molière, qui recourt aussi bien au registre farcesque, burlesque qu'au registre parodique de la comédie légère. Toutefois, si on cherchait une unité de registre, de ton, ou une forme de comique majeure dans cette pièce, on serait bien en difficulté, car tout le travail de composition de l'auteur a visé au contraire à n'en imposer aucune. Et à ce titre, il n'est pas certain que l'on puisse affirmer que Dom Juan soit une comédie légère. Comme le révèle le dénouement de l'intrigue, Dom Juan meurt, et sa mort est un châtiment qui le punit de ses fautes. Et de fait, si on rit aisément en début de pièce, force est de constater que l'on rit de moins en moins au fur et à mesure que l'on approche de la fin. Le rire n'est plus aussi spontané et franc, il s'accompagne d'un mouvement de doute qui tient à l'interprétation morale des excès auxquels se livre Dom Juan. Deux autres scènes sont révélatrices de ce comique sombre, sérieux, grave dont est empreint la pièce.
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