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Apollinaire, Alcools “La Chanson du Mal-aimé”

Commentaire de texte : Apollinaire, Alcools “La Chanson du Mal-aimé”. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  28 Juin 2022  •  Commentaire de texte  •  2 027 Mots (9 Pages)  •  880 Vues

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Apollinaire, Alcools

“La Chanson du Mal-aimé”

5 dernières strophes

        Les strophes que nous allons étudier constituent l’extrême fin de “La Chanson du Mal-aimé”, poème narratif très long publié en 1909. Comme beaucoup d’autres dans le recueil Alcools, ce poème recouvre une dimension autobiographique : l’échec amoureux vécu par le poète avec Annie Playden lors de son séjour en Rhénanie donne naissance à ce long poème élégiaque.  L’ensemble de la Chanson est écrit en quintiles d'octosyllabes de schéma rimique ababa; la musicalité est assurée par le retour fréquent à une même sonorité et par  la reprise de certaines strophes qui reviennent comme des refrains. Le poème commence par le récit d’une errance à Londres, où le poète constate la “fausseté de l’amour” et le désespoir qui pèse sur son passé.  Il essaie de réagir à son amertume par la résurgence de souvenirs heureux mais l’ensemble est teinté par une espèce de rêverie de mort (le poète se dédouble entre lui-même et son ombre; son destin est de mourir en se noyant, tout comme Louis II de Bavière, le roi fou auquel il s’identifie juste avant notre passage). La fin du poème, cependant, rompt avec la tonalité amère des vers précédents. Il s’agira alors d’analyser les fondements de ce sursaut : nous verrons comment le poète se fonde sur le cadre de la modernité pour transformer sa tristesse en victoire poétique. Pour ce faire, nous suivrons les trois grands mouvements du texte :

  • l’élan retrouvé dans la première strophe
  • les tableaux parisiens dans les trois quintiles suivants (vers 6 à 20)
  • la victoire poétique dans la dernière strophe

I L’énergie retrouvée : 1er quintile

On peut d’emblée faire le lien entre le genre annoncé de la “chanson” et le thème de la musique, réinvesti dans cette strophe avec la “lyre” : instrument d’Orphée et d’Apollon, la lyre rappelle le poète à sa vocation. Rappelons qu’Orphée charme toute la nature par le chant de son instrument et qu'Apollon est à la fois le dieu du soleil, le dieu guérisseur et le dieu de la création poétique. La métaphore assimilant le soleil à la lyre est ainsi une invitation à cette création, victorieuse sur la douleur précédemment exprimée. Le passage au présent, alors que juste avant Apollinaire évoquait au passé la noyade de Louis II de Bavière, est d'ailleurs le signe d’un renouvellement, impulsé par l’apostrophe au mois de juin, qui sonne comme une célébration du printemps. L’apposition “ardente lyre” juxtapose le son et la lumière du soleil dans une association presque simultanée des sensations. L’adjectif “ardente” entre en écho avec le verbe “Brûle” au vers suivant : la métaphore du feu exprime l’élan créateur qui anime et meut les “doigts endoloris” d’avoir auparavant manqué d’inspiration, tétanisés par la souffrance amoureuse. Au vers 3, le nom “délire” rime avec “lyre” dans un fort effet d’homophonie : dans “délire”, on entend “lyre”, qui résonne comme dans un système d’échos. Il s’agit ici du délire poétique, état de transe inspiré par les dieux et qui trans-porte littéralement le poète hors de lui-même, donc hors de sa douleur. L'enthousiasme, la fameuse “furor”, garde cependant une trace assourdie de cette souffrance puisque le délire est “Triste et mélodieux” : la diérèse sur “mélodi-eux” insiste sur l’harmonie de cette musique mélancolique. Ainsi l’errance du poète “à travers [son] beau Paris” le détourne de la tentation du suicide, même si la rime “lyre / délire” / “mourir” associe le chant à la mort. L’errance suggère la flânerie, la rêverie poétique dont  Paris est la source d’inspiration. La ville, sujet insolite, est investie de l’affectivité du poète avec le possessif “mon beau Paris”; elle constitue le socle d’un élan créateur renouvelé. Sur l’ensemble de cette strophe, les rimes créant un effet d’inversion phonique en [ir] et [ri] semblent faire danser les mots entre eux, comme si les notes s'enchaînaient sur un rythme endiablé.

II Les tableaux parisiens : quintiles 2, 3 et 4

  • Les dimanches (2ème strophe)

L’élan solaire de la première strophe est un peu assombri par la mélancolie plus prononcée qui teinte ce 1er tableau parisien. Une nostalgique monotonie s’installe à travers l’étirement du temps : le pluriel “Les dimanches” marque leur éternel recommencement, dans une latence exprimée par le verbe pronominal “s’éternisent”. Les “orgues de barbarie” assurent un fort lien thématique avec la 1ère strophe mais cette musique accompagnant les chanteurs de rue est moins noble que celle de la lyre; elle suggère la complainte (chanson populaire d’un ton plaintif), la musique lancinante. Cette impression est confirmée avec la personnification du vers 8 : les orgues “Y sanglotent dans les cours grises”; le décor est cette fois celui d’un Paris endeuillé. Le mouvement “penché” des fleurs aux balcons va dans le même sens; à la symbolique du renouvellement succède celle de l’indolence et de la finitude. Dans les “cours grises”, le soleil du précédent quintile a perdu son éclat. Ce décor funéraire se donne à voir comme la projection du désir de sa propre mort par le poète, revenu à la douleur de l’amour perdu. Paris reste cependant un instrument poétique : omniprésent il est rappelé aux vers 6 et 8 par le pronom “y” en fonction de complément circonstanciel, puis à nouveau nommé au vers 9. La musicalité associée est créée par l’assonance longue en -an qui parcourt la strophe (“dimanches”, “sanglotent”, “dans”, “Penchent”) dans une harmonie imitative de la sensation de langueur. Plus largement, l’unité est conservée de façon très étroite avec la 1ère mais aussi la 3ème strophe grâce à l’homophonie en [i] qu’on retrouve à chaque fin de vers. L’élan poétique, s’il est plus ténu, est toujours présent en sourdine.

  • Les soirs (3ème strophe)

L’ivresse poétique du “délire” initié dans le premier quintile est d’ailleurs reprise par celle qui anime les “Soirs de Paris” au vers 11, le gin métaphorisant les “alcools” qui donnent leur titre au recueil. L’alcool est toujours en lien étroit avec ce qui brûle : les soirs “flambant de l’électricité” font écho à “l’ardente lyre” qui “brûle les doigts du poète”. Comme celui-ci la ville prend vie sous l’inspiration insufflée par la modernité.  C’est une ivresse violemment poétique, aussi foudroyante que l’électricité. L’absence de ponctuation accentue l'ambiguïté dans l’association brutale des images juxtaposées. Les tramways sont à leur tour personnifiés dans une vision assez épique de la ville moderne : le terme “échine”, peu usuel pour des machines, pourrait les assimiler à des chevaux fantastiques en plein délire, qui dérailleraient, dans leur “folie de machine” sur une portée musicale que métaphorisent implicitement les rails sur lesquels ils glissent. La dissonance est mimée par l’emploi peu habituel du verbe “musiquer” et par le brusque rejet du complément du nom “des portées / De rails” au vers 15. La fulgurance presque futuriste ici est à la fois sonore et visuelle, avec l'effervescence des couleurs dans la nuit (l’électricité faisant flamber le gin; les feux verts des tramways, symbolisant leur course effrénée). La violence impulsée par cette strophe, encore accrue par les allitérations dures en [r] et en [t], contraste de façon saisissante avec la mélancolie douce de la strophe précédente. Cette esthétique de la juxtaposition, au-delà de son esthétique cubiste, peut  se lire comme un hymne à l’énergie retrouvée.

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