Qu’est-ce qu’être civilisé?

Qu’est-ce qu’être civilisé?

(A) Etre civilisé semble tout d’abord désigner un état n’appartenant qu’à l’homme seul. Même si certains animaux vivent en société comme les fourmis, ou en meute, comme les loups; on ne peut pas dire qu’ils sont civilisés. Et pour cause, la notion de civilisation renvoie à celle de culture. Etre civilisé c’est appartenir à ‘‘une culture’’, et être un ‘’être de culture’’. Et tel est bien le privilège de l’homme. Il dépasse ce que la nature a fait de lui, et s’élève au dessus de sa condition animale ; il participe à un ensemble complexe de savoirs, savoir-faire, coutumes et de règles qui ordonnent les relations humaines. L’être civilisé vit dans une cité au sens étymologique du terme: il se déploie dans un règne humain structuré par la loi (civis). Il est l’opposé de la nature; il édifie et crée son humanité par des constructions sociales et culturelles.

(Mais B) Mais cela n’est pas tout : l’être civilisé ne s’oppose pas tant à la nature qu’à la barbarie. Le barbare est celui qui ne reconnaît aucune culture : ni la sienne, ni celle de l’autre. Il s’adonne au saccage de la culture, et incarne une figure du chaos. Il manifeste une absence d’ordre, de raison, d’organisation. L’être civilisé, au contraire, vit dans un règne sophistiqué et structuré par des habitudes, meurs, arts, techniques, savoirs, règles politiques, juridiques, morales, éventuellement religieuses. Il connaît et incarne la culture dans laquelle son humanité est advenue, mais aussi il a conscience qu’il existe d’ autres cultures et ne les tient pas pour barbares. Ainsi l’être civilisé serait au fond celui qui reconnaît aussi les autres cultures. C’est bien aussi le sens du terme «civilisation» : l’homme civilisé appartient à une civilisation (comme on dit la civilisation gallo-romaine, pré-colombienne etc), c’est-à-dire à un ensemble constitué de la rencontre de plusieurs cultures. Toute culture est un système fermé (la culture provençale, bretonne etc), une civilisation est un processus dynamique ouvert, fait de la rencontre et de la combinaisons de plusieurs cultures (civilisation occidentale). C’est un ensemble cumulatif, évolutif.

En résumé, l’être civilisé est celui qui comprend sa condition d’ «être de culture» et appartient à une culture; il est aussi celui qui comprend et reconnaît la diversité humaine et culturelle, ses formes plurielles dans le monde, et appartient à une civilisation compris comme ensemble beaucoup plus large, dans lequel les cultures se sont rencontrées et interpénétrées.

Nous saisissons une tension dans la définition de «l’être civilisé» : cela semble désigner un état de rupture d’avec la nature; mais plus encore, une rupture d’avec la barbarie, la négation de la civilisation.

La question que nous nous posons ici est donc : Qu’est ce qui nie la civilisation? la nature ou la barbarie?

(C) N’y a t-il pas dans la civilisation un processus d’universalisation, dans le quel l’homme s’élève au dessus de tout système clos, aussi bien celui de l’instinct que celui des cultures, pour embrasser d’une part l’unité de l’humanité, d’autre part la richesse bigarrée de l’humanité et son génie polymorphe?

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