Lecture linéaire, "zone", Apollinaire
Commentaire de texte : Lecture linéaire, "zone", Apollinaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar bourvil • 11 Décembre 2019 • Commentaire de texte • 1 949 Mots (8 Pages) • 28 886 Vues
Etude linéaire « zone »
Le titre : plusieurs niveaux de signification :
Etymologie : ceinture
Marginalité : zone = bande de terrains vague qui entourait les fortifications de Paris ; lieu de marginalité sociale (cf sens moderne du mot) ; poème en marge du recueil Alcools ; poésie en marge de la poésie traditionnelle. Zone renvoie justement à des lieux inexplorés.
Urbanité et modernité : périphérie des villes. Renvoie à un urbanisme moderne comme le poème renvoie à une poésie de la modernité.
Introduction :
A partir de la seconde moitié du 19e siècle, les codes traditionnels poétiques sont bouleversés. Ces changements se poursuivent au 20e siècle où les poètes, comme Apollinaire, explorent librement les formes et le sens, en s’inspirant des nouveautés de leur temps en matière de paysages urbains ou d’inventions mécaniques.
C’est dans ce contexte fécond que s’inscrit le recueil Alcools, écrit par Apollinaire et publié en 1913 dans lequel apparaissent des poèmes écrits entre 1898 et 1912. « Zone », poème liminaire, fut publié en décembre 1912 dans la revue Les Soirées de Paris. C’est en fait le dernier poème écrit par Apollinaire avant la publication d’Alcools. Ce poème, d’abord intitulé « Cri », a été mis en tête du recueil. Il joue donc un rôle clé de « poème manifeste ».
LECTURE
Ce poème, en apparence décousue et surprenante, est composé de vers libres, sans aucune ponctuation et d’images étonnantes. Les lecteurs suivent, à la manière d’un kaléidoscope, plusieurs scènes/ tableaux que sont tout d’abord les aspirations du poète, l’importance de la religion et l’hommage à la modernité par le biais des nouveaux supports écrits et la description d’une rue industrielle.
Développement linéaire :
V1 à 4 = le rejet de l’ancien
Le poème commence par un vers qui est une véritable provocation. Effectivement, il discrédite « le monde ancien », le rejetant presque. Ce rejet est dès le premier vers valorisé par l’expression « tu es las de ce monde ancien ». Le pronom personnel de la 2nde personne fait référence au poète mais peut pourquoi faire référence au lecteur qui lui aussi ressentirait cette lassitude. La lassitude elle-même est ressentie par le rythme de ce vers. La diérèse allonge l’adjectif « anci-en » tout comme les nasales avec « fin », « monde », « ancien » allongent le vers. Pour autant le vers est composé de manière traditionnelle, c’est un alexandrin grâce à la diérèse tout juste évoquée. Ce paradoxe pourrait dès lors marquer un désir du poète, un désir non encore réalisé ; celui de voir apparaître un monde nouveau, qui n’existe pas encore (Ce désir de voir changer le monde ramène le lecteur au titre Alcools qui évoque la fermentation, la transformation en autre chose) Ce premier vers crée aussi un effet de surprise (image choc) dans la mesure où ces premiers mots (et donc les premiers du recueil) sont « A la fin ». Le lecteur comprend alors qu’il est à l’aube d’un nouveau monde.
Face à ce monde ancien , Apollinaire au vers 2 et ce grâce au vocatif « ö tour Eiffel » use d’une tonalité laudative (admirative) envers la tour Eiffel, monument français récent et symbolisant la modernité. L’espace urbain et ses nouveaux matériaux sont ainsi mis en avant et ce d’autant plus que le réel est en quelques sortes transfiguré de par la métaphore filée du pâturage qu’est « Bergère », « le troupeau des ponts » et le verbe « bêle » ou encore la personnification de la tour Eiffel en « Bergère ». La ville est alors harmonieuse puisque associant la campagne. Mais elle est également une muse puisque admirée tel quel, nous annonçant ainsi une nouvelle source d’inspiration pour le poète et la poésie.
Puis, ce rejet est alors remis au goût du jour de manière explicite grâce au niveau de langue familier visible au vers 3 : « Tu en as assez », redondance du premier vers insistant sur la volonté de rupture avec les formes d’art classique auxquelles « l’antiquité grecque et romaine » fait référence et le siècle qui vient de s’achever (le 19e siècle) par le biais du vers suivant lorsqu’Apollinaire affirme paradoxalement que « les automobiles ont l’air d’être anciennes » (inventée en 1769 mais il faut attendre 1890). Le poète affirme donc son désir de renouveau, son désir de ne plus s’inspirer des formes anciennes, de ne plus imiter ce qui a déjà été fait.
V5 à 10 = La religion
Pour autant, Apollinaire semble conserver des liens avec la tradition. En effet, le v5 interpelle le lecteur puisque « La religion seule est restée toute neuve ». La restriction « seule » associée à l’intensif « toute neuve » matérialise l’originalité de la religion, qui bien que existante depuis des siècles se veut novatrice. On peut d’ailleurs noter un paradoxe entre le noyau verbal « est restée » et « neuve ». Par ce paradoxe, Apollinaire nous indique que celle-ci n’est pas inscrite dans le temps et ce grâce au passé composé qui relie le passé au présent. Ainsi elle ne pourrait pas vieillir, ce qui expliquerait la présence de l’adjectif « neuve », placé au 12e pied, qui n’est pas sans nous rappeler le traditionnel alexandrin, vers par excellence ayant traversé le temps.
La religion occupe donc une place importante, celle-ci est valorisée et ce notamment grâce à la comparaison du v6 à savoir « comme les hangars de Port-aviation » qui certes nous étonne mais permet de considérer la religion autrement, de nous peindre sa spiritualité (cf l’image du Christ aviateur par la suite) et sa vigueur étant donné que ces hangars sont contemporains. Tout cela amène à l’élan lyrique du vers 7 avec « Ô Christianisme ». On ressent toute l’admiration du poète pour cette religion grâce au superlatif absolu « le plus moderne » ou encore grâce au vouvoiement témoignant de son respect envers le pape Pie X, qui certes n’est pas réputé comme étant un pape progressiste mais qui pourtant accorda sa bénédiction en 1911 à l’aviateur André Beaumont. Cet épanchement admiratif permet des allusions à l’état d’âme du poète qui évoque sa « honte » au vers 9, provoquée par le regard des autres ou peut-être celui de dieu, matérialisé par la personnification « toi que les fenêtres observent ». Il nous évoque également son envie d’ « entrer dans une église » que l’enjambement « te retient / d’entrer dans une église » mime. Son désir de confession (« t’y confesser ») nous laisse à penser que le poète a besoin de s’exprimer, de se livrer, de revenir à une certaine religiosité. Religiosité qui d’ailleurs sera nouvelle si on prend en considération la comparaison évoquée précédemment. Pour autant, on peut se demander si cette évocation de la religion ne matérialise pas un poids pour le poète qui n’arriverait pas à dépasser la tradition, symbolisée par la religion ce qui expliquerait également l’emploi du pronom personnel « tu » pour montrer que le poète serait, à cause de ce poids, étranger en quelques sortes à lui-même, à ses aspirations.
Ver 11 à 14 = Hommage aux nouveaux supports écrits
Puis, après cet éloge paradoxal de la religion, Apollinaire passe à l’éloge même de la modernité et ce par le biais d’éléments la rappelant comme l’énumération des supports associant images et textes : « les prospectus les catalogues les affiches» au v 11. Ces supports sont en quelque sorte magnifiés par la personnification « qui chantent tout haut ». Elle leur donne vie, elle dote la ville d’une atmosphère douce et agréable et rapproche indirectement ces supports à la poésie qui, à l’époque médiévale, était associée au chant. Dès lors, la poésie moderne serait partout. Cette idée est d’ailleurs émise au vers 11, et ce en tête de vers, grâce au présentatif dans « voilà la poésie ce matin ». La poésie n’est donc plus sélective, elle n’est plus seulement dans les livres, elle éclate désormais au regard et détient donc un caractère non seulement visuel, présent grâce aux supports évoqués, mais également auditif.
A cette modernité poétique, s’ajoute ensuite celle des nouvelles formes littéraires comme les romans policiers au vers 12 (« aventures policières ») et les biographies au vers 13 (« portraits de grands hommes »). Ces formes sont d’autant plus modernes qu’elles sont accessibles à tous comme en témoignent le numéral tarifaire avec « 25 centimes » et les pluriels que sont « pleines d’aventures », « portraits », « mille titres divers ». Par ces pluriels, nous comprenons que la littérature est abondante, prolifique et diversifiée si bien que tout le monde peut y avoir accès. Apollinaire nous peint alors un monde moderne au rythme frénétique littéraire notamment grâce à la répétition de « il y a » et « et ». La littérature est partout, ses thèmes ne sont plus sélectifs et offrent une variété de possibles.
A noter que le « ce matin » du vers 12 peut symboliser le renouveau.
Vers 15 à 24 = Hommage à la vile moderne
Enfin, Apollinaire nous entraîne dans une de ses flâneries matinales que l’énonciation « ce matin » au vers 15 met en avant. Cette promenade était d’ailleurs annoncée par le titre même du poème « zone ». Désormais l’énonciation passe à la première personne du singulier, nous sommes désormais certain qu’Apollinaire parle de lui, et nous entraîne dans ses déambulations parisiennes à Paris. Le regard du poète marqué par le verbe voir : « j’ai vu », est attiré par une rue. Cette rue est banale puisqu’il emploie l’article indéfini « une » mais pour autant « jolie » v15, « neuve et propre » vers 16. Ces adjectifs mélioratifs rendent cette rue belle et gracieuse. Cette rue est le témoin de cette modernité. L’énonciation « les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes » nous plonge dans une rue industrielle, dans un environnement spécifique au Paris du nouveau siècle. La rue nous est présentée comme agitée et ce grâce aux connecteurs temporels et fréquentiels tels que « Du lundi au samedi soir », « quatre fois par jour » au vers 18 et le verbe de mouvement « y passent ». La vie est donc présente dans cette rue et ce d’autant plus que celle-ci est également bruyante comme en témoigne le champ lexical du bruit avec « sirène », « gémit », « Une cloche » au vers 20, « aboie », « perroquets criaillent » v22. Le poète malgré des bruits apparaissant désagréables rend l’agitation sonore de la rue fort poétique et ce grâce aux images poétiques métaphoriques où la cloche est comparée à une chien : « aboie », où « Les plaques les avis » sont comparés à des perroquets. Le poète fait donc appel à nos sens sonores et visuels. Le quotidien professionnel devient alors objet poétique tout comme la ville de Paris.
A noter que le choix du dizain joue également en faveur du rythme vivifiant de la rue.
+ absence de ponctuation = impression de juxtaposition comme si tableau composés de fragments = Cubisme
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