Lecture linéaire Gnathon
Cours : Lecture linéaire Gnathon. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Desdichado1986 • 23 Novembre 2022 • Cours • 1 525 Mots (7 Pages) • 507 Vues
Littérature d’idées du XVIème au XVIIIème
Parcours : Peindre les hommes, examiner la nature
Lecture linéaire 3 : Œuvre intégrale : Jean de La Bruyère, Les Caractères, Livre XI, remarque 121, le portrait de Gnathon
Ligne | Texte |
1 5 10 15 20 | Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point : non content de remplir à une table la première place, il occupe à lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie, il se rend maître du plat, et fait son propre[1] de chaque service ; il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achever d’essayer de tous, il voudrait les savourer tous tout à la fois : il ne se sert à table que de ses mains, il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils veulent manger, mangent ses restes : il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoutantes, capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent[2] du menton et de la barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le repend en chemin dans un autre plat et sur la nappe, on le suit à la trace ; il mange haut et avec grand bruit, il roule les yeux en mangeant, la table est pour lui un râtelier[3] ; il écure[4] ses dents, et il continue à manger. Il se fait quelque part où il se trouve, une manière d’établissement[5], et ne souffre pas d’être plus pressé au sermon[6] ou au théâtre que dans sa chambre ; il n'y a dans un carrosse que les places du fond[7] qui lui conviennent, dans tout autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe de faiblesse ; s’il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient[8] dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre et le meilleur lit ; il tourne tout à son usage, ses valets, ceux d’autrui courent dans le même temps pour son service ; tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes[9], équipage ; il embarasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion[10] et sa bile[11] ; ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain. |
Les mouvements du texte :
Mouvement 1 | Lignes 1 à 14 de « Gnathon » à « continue à manger » : Présentation et illustration d’un caractère |
Mouvement 2 | Lignes 14 à 21 de « il se fait » à « équipage » : une personnalité détestable en société |
Mouvement 3 | Lignes 21 à 25 de « Il embrasse » à « genre humain » : Un grand mépris pour autrui |
Ce portrait de Gnathon est celui d’un personnage odieux et égocentrique manquant de toutes les règles de bienséance qui caractérisent le gentilhomme (idéal social aristocratique) du XVIIe
Lignes | Interprétation |
Mouvement 1 | |
L 1 à 2 | - « Gnathon » : nom propre, en grec ancien « mâchoire » synecdoque ? dimension métaphorique / Personnage réduit à sa fonction masticatoire, ce qui en fait un glouton - « ne vit que pour soi » : restriction « ne… que » + pronom personnel « soi » : souligne l’égocentrisme, l’amour propre excessif du personnage dès la première phrase - Opposition entre Gnathon (singulier) et « tous les hommes (pluriel) = antithèse, il nie aux autres leur existence même « comme s’ils n’étaient point » - Pas le portrait d’un individu en particulier mais d’une facette peu glorieuse de l’homme (un caractère) |
L 2 à 14 | - Champ lexical du repas dans tout le mouvement (table, repas, plat, service, mets, viandes, manger, restes, appétit, affamés, jus, sauces, etc.) = insiste sur la gloutonnerie du personnage - Champ lexical militaire : compagnie, maître, démembre, déchire, etc. = caricatural, il paraît que Gnathon part en campagne militaire lorsqu’il mange |
L 2 | « non content de » (expression) = ne se contente pas de ce qu’il a |
L 3 | « Il oublie (…) compagnie : on souligne ici l’égocentrisme du personnage qui ne pense qu’a satisfaire son énorme apétit |
L 4 | « Il se rend maître du plat (…) chaque service » : idée de gloutonnerie, Gnathon monopolise le plat sans partage |
L 5 à 6 | Répétition hyperbolique de l’adjectif indéfini qui insiste encore sur sa gloutonnerie |
L 6 à 7 | « il ne se sert (…) qu’il faut que » : répétition du pronom personnel « il » + énumération de verbes + mots de la famille des mains = personnage omniprésent, manipulant les mets de toutes les manières possibles, et de manière disgracieuse, montrant sa voracité et sa vulgarité |
L 8 à 10 | « les conviés, s’ils veulent manger (…) aux plus affamés » : syntaxe (nom : malpropreté + adj dégoutante = insiste sur l’aspect répugnant du personnage / pléonasme / « ôter l’appétit aux plus affamés » hyperbole qui insiste encore sur le dégoût qu’il inspire à la société qu’il inspire |
L 10 à 12 | « les jus (…) à la trace » : peinture d’une scène qui marque encore le manque de bienséance du personnage qui inonde la table de son manque de savoir-vivre et de son absence de propreté |
L 12 à 14 | « il mange (…) manger » La peinture de la scène continue avec ses indélicatesses sonores « il mange haut et avec grand bruit » ; « la table est pour lui un râtelier » Ici la métaphore compare son comportement à celui d’un animal (contraire à l’attitude d’un gentilhomme) de + le verbe « récure » indique encore une attitude maquant d’élégance en présence de conviés, il apparaît comme un rustre |
Mouvement 2 | |
L 14 à 17 | - « Il se fait (…) autre » : il se croit partout chez lui, marque d’un manque de respect ; manque d’ouverture d’esprit du personnage (messe, théâtre) qui ne supporte pas qu’on lui impose ce type d’activités (souffre = supporter) - « il n’y a (…) faiblesse » : égocentrisme du personnage en société qui pense à son confort avant tout / aspect menteur, théâtral du personnage = personnage artificiel et méprisable |
L 17 à 19 | « s’il fait (…) meilleur lit » : attitude médiocre et calculatrice de Gnathon qui se montre encore une fois égocentrique et inconvenant pour gagner en confort personnel |
L 19 à 21 | - « il tourne (…) équipage » : pronom indéfini qui montre que son égocentrisme n’a pas de limite - personnage qui s’approprie le bien d’autrui, qui semble davantage se préoccuper de l’avoir que de l’être - accumulation de pronoms possessifs qui témoignent encore de cette préoccupation majeure du personnage, ses possessions (son / ses / son / sa) |
Gnathon ne s’attache qu’au matériel (et non au spirituel). Il est réduit à des actions primaires (manger et dormir) = contraire au raffinement mondain. Par l’enchaînement de descriptions de situations on observe le caractère odieux de ce personnage, il transgresse les codes et La Bruyère peint ici l’anti-portrait de l’honnête homme (humble, courtois, cultivé mais sans excès qui sait se rendre agréable à son entourage et se fait dicret | |
Mouvement 3 | |
L 21 à 22 | - « Il embarrasse (...) personne » nom invariable « tout le monde » prouve que son attitude ses gênante de façon unanime - répétition du pronom indéfini « personne » qui insiste encore sur l’égocentrisme de Gnathon qui n’offre aucune considération à quiconque |
L 22 à 24 | « ne connaît (…) du genre humain » : - « ne connaît de maux que les siens » : formule restrictive « ne que » indique qu’il ne se soucie uniquement de ses propres douleurs - énumération de ses préoccupations : « ses maux, sa réplétion, sa bile » (ses douleurs, la satisfaction de son appétit, ses humeurs) = préoccupations organiques et égocentrées - « ne pleure (…) genre humain » l’égocentrisme du personnage est ici poussé à l’extrême car il se montre insensible à la pire destinée humaine des autres, la mort. - hyperbole : « qu’il rachèterait (…) humain » : Ici l’hyperbole donne encore davantage d’importance à son égocentrisme en prétendant qu’il serait prêt à sacrifier l’humanité pour préserver sa propre vie |
Conclusion : Ce passage est un portrait en action et le personnage se ridiculise. Gnathon est le type même de l’égoïste. La caricature est destinée à frapper le lecteur. Mais il ne s’agit pas uniquement de la peinture d’un goinfre et d’un malotru ? Comme tout auteur classique, La Bruyère se fixe comme objectif de dépeindre pour corriger. Le moraliste dresse le portrait d’un anti-honnête homme, qui ne respecte aucunement les règles sociales. Le fond est comique mais Gnathon est un personnage dangereux comme en témoigne la dernière phrase du texte |
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