Lecture linéaire : « Gnathon », La Bruyère
Synthèse : Lecture linéaire : « Gnathon », La Bruyère. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Seth79 • 27 Septembre 2020 • Synthèse • 1 566 Mots (7 Pages) • 12 940 Vues
Lecture linéaire : « Gnathon », La Bruyère
Introduction : La Bruyère est un moraliste du XVIIème siècle, auteur classique contemporain de La Fontaine. Dans la préface des Caractères ou les Mœurs de ce siècle (1688) dont ce texte est extrait, il s’exprime ainsi : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté, j’au emprunté de lui la matière de cet ouvrage. » Son inspiration est donc comparable à celle de La Fontaine qui, rappelons-le, écrit dans « Le Héron » : « Ecoutez humains (…) vous verrez que chez vous j’ai puisé les leçons ».
Cependant, le genre choisi n’est pas le même. Si La Fontaine, s’inspire du fabuliste antique Esope, La Bruyère s’inspire quant à lui de l’auteur grec Théophraste pour écrire ses Caractères. Dans l’antiquité grecque, le « caractère » désignait la marque que l’on tatouait sur la peau des esclaves fautifs. Ces « caractères » désignent donc principalement des défauts.
C’est particulièrement le cas dans cet extrait ou La Bruyère dépeint l’égoïsme et la gloutonnerie d’un personnage nommé Gnathon, dont le nom signifie « mâchoire » en grec.
En quoi ce portrait constitue-t-il une représentation en acte d’un homme pétri de défauts, à l’opposé de l’idéal de l’honnête homme, prôné par le siècle classique ?
Nous répondrons à cette question en distinguant plusieurs mouvements dans le texte :
- l.1 à 12 : L’égoïsme à table
- l.12 à 19 : L’égoïsme en société
- l.19 à 22 : L’oubli du genre humain
L’égoïsme à table : l.1 à l.12 (« il continue à manger »)
Ce portrait énonce d’emblée l’une des principales caractéristiques du personnage par le biais d’une négation restrictive : « Gnathon ne vit que pour soi ».
L’ensemble de la phrase est, par ailleurs, fondé sur une antithèse « Gnathon»/ « tous les hommes » qui isole le personnage au caractère singulier. Antithèse que l’on retrouvera à la fin du texte (« tout le monde »/ « personne »).
En opposant Gnathon à tous les autres hommes, La Bruyère commence son portrait en soulignant la monstruosité de cet égoïsme qui le conduit à l’insensibilité : « tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’existaient point ».
Son égoïsme se manifeste partout, mais d’abord à table : associé à son égoïsme, le défaut le plus spectaculaire de Gnathon est sa gloutonnerie. Le nom Gnathon a été inventé par La Bruyère à partir du mot grec « gnathos » signifiant « mâchoire ». C’est donc une synecdoque (désignation du tout par la partie). Ce nom réduit le personnage à une seule partie de son corps : sa mâchoire.
Le personnage apparaît donc dans toute sa gloutonnerie entre les lignes 2 et 5 par un réseau d’antithèses qui le différencie des autres hommes : « lui seul »/ « deux autres », « pour lui »/ « pour toute la compagnie », « aucun mets »/ «tous ».
La récurrence de « tout » sous forme de déterminant ou de pronom apparente Gnathon à un ogre.
Cette déshumanisation du personnage, plus proche de l’ogre ou de l’animal est confirmée par la phrase suivante « il ne se sert que de ses mains » et par l’énumération de verbes d’action « manie, remanie, démembre, déchire ».
Sa gestuelle « démembre », « déchire » évoque celle d’un animal carnassier.
La gloutonnerie de Gnathon s’accompagne d’un total mépris des règles de la bienséance. Le dégoût qu’il suscite est accentué par le pléonasme « malpropretés dégoûtantes ». L’auteur joue sur l’homophonie entre les verbes « dégoutter » et « dégoûter » (« le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe » l.10).
Le personnage est le sujet d’un grand nombre de verbes d’actions dont la rapidité est renforcée par l’asyndète (absence de coordination ou de subordination) : « enlève », « répand », « mange », « roule » etc qui soulignent sont hyperactivité prédatrice.
Ce n’est pas habituel dans un portrait, car on s’attendrait plutôt à des verbes d’état à l’imparfait de description : l’auteur a donc choisi de montrer le personnage en action. C’est un portrait en acte qu’in incombe au lecteur d’interpréter (pas de description physique, ni morale).
Le personnage est théâtral et caricatural. Ses mouvements frénétiques s’accompagnent de bruit « il mange haut et avec grand bruit » et d’une grimace comique « il roule des yeux en mangeant ».
Le nom « râtelier » qui désigne une mangeoire pour le bétail souligne le fait que Gnathon ressemble davantage à un animal qu’à un être humain.
L’égoïsme en société : l.12 (« Il se fait quelque part ») à 19 (« équipages »)
A partir de la ligne 12, on quitte la table pour caractériser l’égoïsme du personnage en d’autres endroits.
Son égoïsme se manifeste non seulement à table, mais aussi à l’Eglise (« au sermon »), au théâtre : il se croit partout chez lui comme le montre la confusion entre lieu public (« sermon », « théâtre ») et lieu privé (« sa chambre »).
Le personnage est évoqué ensuite dans ses déplacements et ses voyages. Il n’hésite pas à faire l’hypocrite (au sens étymologique du terme c’est-à-dire « acteur ») et à simuler un malaise pour obtenir une bonne place. La phrase « Il pâtit et tombe en faiblesse » le montre dans une posture féminine de faiblesse et le ridiculise.
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