Le Pain, Francis Ponge
Commentaire de texte : Le Pain, Francis Ponge. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Laura Baylé • 26 Janvier 2019 • Commentaire de texte • 2 542 Mots (11 Pages) • 1 981 Vues
"Le Pain" le Parti pris des choses (1942) Francis Ponge (1899-1988)
Introduction
- a) C’est pendant ses moments libres, après son travail aux Messageries Hachette, que Francis Ponge se consacre à la poésie. Après avoir fréquenté le groupe surréaliste, il adhère au parti communiste. Entré en Résistance en 41, il est un agent de liaison très actif, fréquente les écrivains combattants comme Eluard, Aragon et Camus.
- Il publie en 1942 son premier grand recueil de poèmes, Le Parti Pris des Choses, composé de 32 poèmes écrits entre 1924 et 1939. Le titre même du recueil est en même temps un manifeste. Le titre suggère le mélange indissociable de l'objectivité (les choses) et de la subjectivité "parti pris" mais souligne aussi son engagement dans cette démarche poétique. " Je voudrais écrire une sorte de Natura Rerum, on voit bien la différence avec les poètes".
Francis Ponge a défini ainsi le principe de son écriture du Parti Pris des choses : c’est avant tout donner l’initiative aux choses, les laisser s’exprimer. Il cherche, par la poésie à rendre la parole aux objets quotidiens, " ce qui me pousse à écrire, c'est le mutisme des choses qui nous entourent". Il s’agit pour lui de remplacer chaque objet par une « formule » de langage qui lui soit exactement adéquate.
- Pour ce poète artisan, toutes les choses sont également dignes d’être exprimées. C’est pourquoi le recueil s’attache à décrire des objets simples, du quotidien, ordinairement ignorés par la tradition poétique. C’est cet intérêt pour redéfinir, ou plutôt faire voir avec des yeux neufs des objets aussi simples et prosaïques, qui explique la présence de poèmes comme "le cageot" ou encore "l'huître" dans le recueil. Le poème " Le Pain" appartient à ce recueil.
2. Problématique: Quelle démarche poétique Francis Ponge propose-t-il, au travers de ce poème ?
3. Annonce du plan et des principaux axes de lecture : Au delà d’une simple mais vraie description du pain, F. Ponge propose une allégorie du récit de la création et une réflexion sur l’art poétique.
- Le poème " Le Pain" est une description
- La Description de l'objet pain.
- D'abord le titre, qui ressemble à une entrée du dictionnaire " Le Pain", avec le déterminant défini.
-Présence du champ lexical du pain " friable", " pain", " mie", " four " " objet de consommation"
- Chaque paragraphe propose une étape nouvelle dans la description:
1er et 2ème paragraphe : apparence extérieure du pain
3ème paragraphe : l’intérieur
4ème paragraphe : utilisation
- le poème a recours aux outils linguistiques de la description : le temps utilisé: le présent " couche ", soit de description , soit de vérité générale.
- des verbes neutres, " donne", avoir", " est" .
- Le poème reprend également certains outils linguistiques de la définition, dont il joue: " est", verbes de nomination " que l'on nomme"(l.9) et dans le dernier paragraphe "le pain" défini comme objet " de consommation"
2. Une description qui donne à voir
Ponge joue sur la forme du poème : - poème en prose: il en a les caractéristiques: on trouve une unité thématique et une organisation poétique par métaphore filée géologique terre/pain
- Alexandrin: " ce lâche....mie"
- jeu sur les sonorités. Sifflantes " soeurs siamoises" // allitération en " m" autour de la mollesse.
- lien avec le sonnet: 4 ème paragraphe : 4 strophes . 4 lignes /14 vers pour le sonnet et chute comme dans le sonnet
- polysémie
- goût pour les comparaisons et les métaphores
- Prise de liberté avec des phrases longues
La description est orientée par la volonté de montrer l'objet aux lecteurs:
Présence du destinataire, lecteur ou consommateur de pain " " on", " sous la main", " pour nous"
soutenue par les démonstratifs " ces plans", " ces dalles minces", " ce lâche", " ces fleurs" qui témoignent de la volonté de désigner , de montrer et de faire surgir le pain sous les yeux du lecteur.
-verbes mettant en valeur l'idée de fabrication: " façonner", " soudées", " articulée" et références au four et aux matières " éponge", " tissu".
II. Le pain : un objet allégorique du récit de la création
1. Le récit de la création des origines de la vie. (Une cosmogonie)
Signification allégorique : le poème pourrait être un récit des origines, qui désignerait aussi les étapes de la vie de " la naissance" : paragraphe 1
A "la vie" : paragraphe 2
A " la maturité et la vieillesse" paragraphe 3 ( vieillesse " se fanent" " rassit", " friable")
Pour terminer"la mort: paragraphe 4 " brisons-la" ( la mie) // Brisons là ( arrêtons -nous)( homophones).
Le « pain » prend donc également une dimension géographique et cosmique dans le poème. Le microcosme du pain se transforme en vision à grande échelle par le terme « panoramique » (qui permet de voir un vaste paysage) : il s'étend alors devant nos yeux tout un monde. Ceci est annoncé par la métaphore des chaînes de montagne comme comparant à la croûte du pain : « comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes »). L'auteur poursuit la métaphore filée du relief avec des termes géographiques : « vallées », « crêtes », « crevasse ». Le pain se transforme progressivement en univers à lui-seul, avec ce paysage de montagne, où sont parsemés des végétaux, « feuilles ou fleurs ». C'est un monde complexe qui se construit sous les yeux du lecteur, monde à la fois « stellaire », adjectif qui fait passer les braises du four aux étoiles de la voute céleste, mais aussi souterrain, par la référence au « lâche et froid sous-sol ».
Mais le poète ne se contente pas d'une simple peinture du monde. Ce microcosme décrit devient alors, sous sa plume, prétexte à représenter la création du monde. En effet, la description à partir de la ligne 3 peut-être comprise en ce sens. L'allusion à la cuisson, « four stellaire » renvoie à une vision de la création de la matière à laquelle Dieu donne une forme. Cette cuisson créatrice est d'ailleurs mimée par l'allitération en « r » (ligne 3-4), sonorité suggestive qui mime la matière en fusion dans ce four. La fabrication du pain serait alors une métaphore d'une véritable cosmogonie : d'abord, la création de la matière « masse amorphe » dans le four stellaire (sorte de « big bang »...); ensuite le verbe pronominal « s'est façonné » avec son sens passif donne l'idée que le pain, comme le monde, se transforme lui-même en prenant du relief. Enfin, dans le troisième paragraphe, la comparaison aux éponges renvoie à la création des premiers organismes vivants. La suite du texte poursuit le thème du végétal, mêlant la flore et l'humain. Après la création, on arrive alors à l'achèvement, qui ressemble à une mort : « rassit », « fanent », « rétrécissent », « se détachent », « friable ». Ce dernier terme rappelle d'ailleurs assez directement la décomposition et l'aposiopèse utilisée avec les trois points de suspension tend à suggérer combien la disparition est terrible. Par là, le poète nous offre une sorte de vanité, le pain devenant objet de réflexion sur la fragilité des choses.
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