Le Misanthrope, acte III, scène 4, Molière
Commentaire de texte : Le Misanthrope, acte III, scène 4, Molière. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Olivier Brachet • 11 Mars 2017 • Commentaire de texte • 1 758 Mots (8 Pages) • 15 166 Vues
Le Misanthrope de Molière (1666)
Acte III Scène IV : Tirade de Célimène vers 913 à 960.
Correction
Introduction :
La femme en littérature a longtemps été reléguée au second plan, au mieux comme un être idéal et désincarné, ou le plus souvent comme un pâle faire valoir des héros masculins. Que ce soit la patiente Pénélope de L’Odyssée ou au Moyen âge les belles dames des romans courtois, les personnages féminins manquent bien souvent de consistance, elles se contentent d’être l’objet des passions et des quêtes de ces messieurs. Peut-être parce que les œuvres ont été écrites par des hommes, les personnages les plus construits, les plus complexes et intéressants, et qui généralement donnent leur nom au titre du livre, restent des hommes. C’est peut-être cependant au théâtre qu’on trouve des rôles féminins plus élaborés, bien sûr dans les tragédies avec des héroïnes magnifiques de complexité comme Phèdre, mais également dans les comédies du 17ème siècle. Celui qui va largement contribuer à mettre plus en lumière les rôles féminins reste le grand Molière. Dans la plupart de ses pièces, l’esprit, la malice sont du côté des servantes. Mais c’est sans doute en 1666, dans Le Misanthrope, qu’il ira le plus loin dans le dépoussiérage de l’archétype de la jeune femme, en créant le personnage de Célimène. Cette jeune veuve coquette et en apparence très légère anime avec habileté un Salon typique de l’époque, lieu des railleries les plus cruelles, où se retrouve toute la cour. Alceste, l’atrabilaire idéaliste, qui dénonce avec véhémence l’hypocrisie de cette société d’artifice est pourtant éperdument épris de cette jeune femme. Dans la quatrième scène de l’acte III, Célimène affronte la prude Arsinoé qui lui reproche sa conduite scandaleuse au moyen d’un discours aussi courtois que perfide. Célimène riposte alors, en parodiant les paroles d’Arsinoé, et dresse de la vieille dévote un portrait dénonçant son hypocrisie. Nous allons donc observer en quoi Molière renouvelle le vieil archétype du personnage féminin dans cette brillante tirade de Célimène. Nous verrons tout d’abord que Célimène est dotée d’un esprit vif et qu’elle révèle dans son discours un talent d’éloquence peu commun. Nous nous interrogerons ensuite sur le contenu même de cette dénonciation satirique de la pruderie d’Arsinoé, et la visée sociale qu’elle recouvre.
Plan détaillé
I L’éloquence de Célimène
1) Un discours bien construit, reposant sur un argument d’autorité qui lui permet de dénoncer sans s’impliquer.
- plan du discours selon les règles de la rhétorique d’Aristote : Exorde (= introduction) flatteries d’usage. Les exemples nombreux de ce qu’on dit d’Arsinoé. La leçon qu’il faut en retenir. Péroraison (=conclusion) : bienveillance feinte.
- argumentation d’autorité : toute l’argumentation de Célimène (la même qu’Alceste face à Oronte dans la querelle du sonnet) repose sur le principe qu’elle rapporte ce qui a été dit sur Arsinoé par une autorité compétente et supérieure : « des gens d’un très rare mérite » (v 922) : superlatif→ accentue le mérite de ces « juges « impartiaux. Cette autorité supérieure (la cour ?) regroupe la majorité, forme un groupe uni : « d’un commun sentiment » (v 937), « contre chacun je pris votre défense » (v 945), « tous les sentiments combattirent le mien » (v947)
+ passage au discours direct vers 937 à 944 qui la dédouane complètement.
→ Contournement très habile : la critique qu’émet Célimène sera donc incontestable, elle pourra donc s’y livrer sans restriction.
2) Une politesse feinte (bienséance des salons). L’ironie cruelle.
Règle de la bienséance dans les Salons : on ne dit jamais directement les choses, pas d’attaques frontales→ donc le lieu de l’antiphrase et de l’ironie, déjà vu dans la scène des portraits (Acte II scène 4)
Politesse feinte : beaucoup de marques de politesse → tout est à comprendre comme des antiphrases, sorte de code implicite très habile. Propos élogieux hyperboliques : « Madame » (répété 4 fois en tout : pour insister ironiquement sur son âge ?), « beaucoup de grâces » (v 913, pluriel → insister), « mon amie » (v 917, mot à la rime → souligné), « un exemple si doux » (919, superlatif pour accentuer) « vrais soins d’une âme qui vit bien » (v 923). « je vous crois trop raisonnable » (957, insistance avec « trop »), « un zèle qui m’attache à tous vos intérêts » (v 960, restrictif hyperbolique « tous » + mot fort « zèle »)
Fausse fidélité : « contre chacun je pris votre défense » (v 945), « tous les sentiments combattirent le mien » (v 947) : opposition forte entre les deux groupes : les autres/Célimène → accentuer (faussement) la force de son soutien à Arsinoé
→ Tout est donc à décoder, à comprendre comme étant ironique : non, elles ne sont pas amies, elle n’a pas de grâces à lui rendre, elle ne l’a pas soutenue, Arsinoé n’est pas vertueuse, etc...
3) Des procédés rhétoriques amusants et habiles.
Enumération des défauts : vers 925 à 934 + anaphore de « vos » → accentuation, insistance.
Litote : « Ne furent pas cités comme un fort bon modèle » (v 926) = Arsinoé n’est pas un modèle de vertu !
Euphémisme : « mais elle a de l’amour pour les réalités » (v 944) : elle aime le plaisir charnel → permet d’accentuer sans en avoir l’air, dire sans dire, typique de la préciosité des salons.
Antithèses : système comique d’oppositions entre deux attitudes contraires. « aigres censures » (v 933) ≠ innocentes et pures » (v 934) ou plus loin « mine modeste » (v 937), « ce sage dehors » ≠ que dément tout le reste (v 938)
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