Le Fantastique chez MAUPASSANT
Dissertation : Le Fantastique chez MAUPASSANT. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Mondion • 12 Août 2021 • Dissertation • 3 404 Mots (14 Pages) • 459 Vues
DISSERTATION FRANÇAISE
Le genre fantastique s’épanouit en France à l’époque romantique, principalement sous l’influence de l’écrivain allemand E.T.A. HOFFMANN puis de l’Américain Edgar POE. Le temps des châteaux hantés, des apparitions surnaturelles ou démoniaques et des malédictions de toutes sortes dont regorgeait le roman gothique est révolu. D’autres thèmes, moins rebattus, remplacent ces ingrédients qui ne font plus recette et qui finissent par ralentir l’intérêt du public. Ce qui retient désormais l’attention, ce sont les irruptions du mystère au coeur de la réalité, les intrusions de l’inadmissible au sein du quotidien, ainsi que toutes les manifestations propres à perturber l’équilibre mental et à remettre en question les cadres traditionnels de la pensée. Cette tendance se maintient d’ailleurs tout au long de l’évolution du genre. Dans les années 1870, même si de nouveaux domaines d’investigation scientifique orientent le fantastique dans une direction différente de celle qu’il avait prise initialement, l’intérêt pour les maladies mentales, loin de se démentir, connaît un regain d’engouement. Le genre se développe alors tout naturellement sur le terrain des angoisses, des obsessions et des perversions.
Passionné par les phénomènes qui semblent défier la raison, témoin de la folie de son frère avant de l’être de sa propre dégradation mentale, MAUPASSANT joue un rôle important dans le renouvellement du genre. Chez lui, le fantastique naît du réel et de son interprétation délirante. Plaçant le personnage devant un fait incompréhensible qui dissout peu à peu ses forces vives, il convie à une expérience des limites particulièrement destructrice. C’est ce que semble suggèrer Louis Forestier quand il en propose la définition suivante : “Le fantastique chez MAUPASSANT, c’est tout ce qui rôde hors de l’homme et dans l’homme et le laisse, la conscience vidée par l’angoisse, sans solution, ni réaction.”
Cette définition nous amène à nous demander quels éléments, tant extérieurs qu’intérieurs à l’homme, sont constitutifs du récit fantastique et conditionnent l’apparition de la folie chez les personnages de MAUPASSANT.
Ce qui rôde hors de l’homme, c’est tout d’abord le phénomène qui, bien qu’il s’inscrive dans l’ordre naturel des choses et fasse partie intégrante de la réalité, semble du moins obéir à des lois qui pour l’heure défient l’entendement humain, ou qui lui demeurent encore largement inconnues ou inaccessibles.
L’origine du doute qui conduit souvent le personnage fantastique de l’angoisse à la folie est livrée par un récit dont on a dit qu’il était un premier crayon du Horla. Dans Lettre d’un Fou, le narrateur se livre à une longue réflexion sur l’insuffisance de nos sens. Il a vécu, confesse-t-il, comme tout le monde, dans un aveuglement complet, “sans [s]’étonner et sans comprendre” [1], jusqu’au jour où il découvre la faiblesse de nos organes et conclut que “nous sommes entourés d’Inconnu inexploré”[2]. “Comme nos organes sont les seuls intermédiaires entre le monde et nous”[3], il suffit, selon son raisonnement, que ceux-ci soient de dimension et de nombre restreints pour que notre connaissance du monde soit irrémédiablement compromise. De l’incertitude de nos sens procèdent les limites de notre intelligence. Tout devient relatif : “[je me suis] convaincu que tout ce que me révèlent mes sens n’existe que pour moi seul tel que je le perçois et serait totalement différent pour un autre être autrement organisé”[4]. L’esprit humain, borné par les sens, est donc impuissant à saisir la réalité dans son étendue et sa complexité. Il s’inquiète de tout effet dont il ne saisit pas la cause ; il s’épouvante du spectacle incessant et incompréhensible du monde sur lequel il sait n’avoir aucune prise. L’expérience de sa propre finitude le conduit immanquablement sur la pente d’un scepticisme radical : “tout est faux, tout est possible, tout est douteux”[5]. Simultanément, la possibilité d’une dimension inconnue où logeraient des êtres incorporels[6] dont l’existence cachée devient logiquement acceptable s’impose de plus en plus comme une évidence. Il suffit au narrateur de scruter l’univers “en aiguisant ses organes”[7] pour y sentir bientôt des présences insoupçonnées et impondérables : “on les sent auprès de soi, autour de soi, mais on ne les peut distinguer”[8]. Se pose aussitôt pour lui l’angoissante question de sa santé mentale : “j’ai fait un effort de pensée surhumain pour soupçonner l’impénétrable qui m’entoure. Suis-je devenu fou ?”[9]. En d’autres termes, la folie, ou du moins son appréhension, consiste, à son premier stade, en une conscience accrue des limites de notre perception du monde. Toutefois, par un mouvement naturel, le narrateur récuse de manière significative l’éventualité de sa folie en revendiquant au contraire une lucidité supérieure à celle de ses congénères : “Plus que personne, je les sentais, moi, ces passants surnaturels. Etres ou mystères ? Le sais-je ? Je ne pourrais dire ce qu’ils sont, mais je pourrais toujours signaler leur présence”[10]. Le désespérant est que le narrateur a déja perdu toute confiance dans les données que lui transmettent ses sens et ne trouve désormais plus ses repères dans un environnement qui lui était auparavant familier. Il en vient à douter de sa propre raison qu’il pensait imprudemment avoir fortifiée en aiguisant ses sens, sans s’apercevoir du paradoxe qui le confine dans la finitude humaine qu’il dénonçait initialement et à laquelle il prétendait un instant échapper. S’il invoque à un moment donné une lucidité peu commune, il se refusera néanmoins à conclure que ce qu’il perçoit relève bien de la réalité. Le doute lui semble indépassable. Tout est dès lors en place pour le déstabiliser et le jeter à bas de certitudes peut-être faussement acquises. Confronté à une énigme qu’il lui est impossible de résoudre parce qu’il n’existe aucune réponse humainement avérée, il hésite, ne sachant clairement s’il est simplement troublé de l’aventure terrible qui lui arrive, ou s’il a déjà un pied dans la folie : “ dans cette glace, je commence à voir des images folles, des monstres, des cadavres hideux, toutes sortes de bêtes effroyables, d’êtres atroces, toutes les visions invraisemblables qui doivent hanter l’esprit des fous.”[11]
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