La poésie en débat
Cours : La poésie en débat. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Maëva Lavaud • 6 Mars 2018 • Cours • 3 514 Mots (15 Pages) • 673 Vues
La poésie en débats : petite anthologie
On trouvera ici, sous forme de mini-anthologie classée par grands thèmes, des citations de poètes ou de critiques destinées à alimenter ou à prolonger la réflexion, en particulier dans la perspective de la composition française.
1. La création poétique
Pour Thomas Sébillet (1512-1583), auteur de l’Art pöetique Françoys pour l’instruction dès jeunes studieus, et encore peu avancéz en la Pöésie Françoise (1548), le travail du poète est avant tout rhétorique :
[…] la Rhétorique est autant bien épandue par tout le poème comme par toute l’oraison. Et sont l’Orateur et le Poète tant proches et conjoints que semblables et égaux en plusieurs choses, diffèrent principalement en ce que l’un est plus contraint de nombres que l’autre.
Avec l’époque romantique, la poésie est au contraire vue comme l’expression directe du sentiment, matérialisé par le cœur :
Sachez-le, – c’est le cœur qui parle et qui soupire
Lorsque la main écrit, – c’est le cœur qui se fond ;
C’est le cœur qui s’étend, se découvre et respire
Comme un gai pèlerin sur le sommet d’un mont.
Musset, « Namouna » [1832], dans Premières poésies (1852)
De son côté, Paul Valéry souligne les limites de la théorie de l’inspiration :
Nous savons bien qu’il n’y a presque point de cas où la liaison de nos idées avec les groupes de sons qui les appellent une à une ne soit tout arbitraire ou de pur hasard. […] Mais cent instants divins ne construisent pas un poème, lequel est une durée de croissance et comme une figure dans le temps […]. Il faut donc beaucoup de patience, d’obstination et d’industrie, dans notre art, si nous voulons produire un ouvrage qui ne paraisse enfin qu’une série de ces coups rien qu’heureux, heureusement enchaînés […].
Paul Valéry, « Je disais quelquefois à Stéphane Mallarmé… », in Variété, Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », t. I, p. 648.
Le poète et traducteur Claude Esteban, quant à lui, insiste sur le rôle de la matière sonore dans la création :
[…] le mot, soudain surgi du mutisme universel des choses, représente tout à la fois une manière d’épiphanie verbale et une profération de tel ou tel aspect du sensible, et le son, cristallisation vocale incomparable à tout autre, n’en figure point le simple vêtement auditif, la parure précaire et contingente, mais il en constitue, organiquement, l’élément moteur, indissociable donc de cela même qu’il exprime.
Claude Esteban, « Traduire », avant-texte à Poèmes parallèles, Paris, Galilée, 1980, 408 p.
2. La poésie : un au-delà de l’écriture littéraire ?
Nombreux sont les points de vue qui refusent de réduire la poésie à une forme (le vers, le sonnet…) ou même à une écriture littéraire, pour en faire un exercice de vie et de communion avec le monde. On voit ainsi Verlaine, dans son « Art poétique » (Jadis et naguère) opposer poésie et littérature :
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
En mêlant humour et nostalgie, Apollinaire suggère également son oubli de la forme traditionnelle :
Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n’ai pas créés
Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour
J’admirerais mon ouvrage
G. Apollinaire, Alcools [1913], in Œuvres poétiques, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 132.
La forme n’est en fait rien sans une expérience poétique intime qui la commande, selon Pierre Reverdy qui commente ainsi l’œuvre de Baudelaire,
Ce n’est pas la forme sonnet, par exemple, qui rend certains des poèmes de Baudelaire beaux et particulièrement pathétiques, ni admirable le tour de force sonnet, qu’il tire parfois d’ailleurs par les cheveux, mais la sève de pensée et de sentiment dont chacun de ses vers est gonflé à craquer comme une veine, et l’on peut imaginer ce que cette sève aurait pu gagner à circuler plus librement, à n’être point corsetée dans cette forme ridicule et mutilante du sonnet. Mais j’ajoute tout de suite qu’il n’y a là rien à dire. Il y avait en Baudelaire quelque chose qui devait aboutir au sonnet, et toute autre hypothèse était vaine. C’était un aspect de sa forme. Mais il n’en vient pas moins prouver davantage que la forme n’est pas en soi chose de première importance, car, quand on pense à lui, à présent, ce n’est plus d’elle qu’il est question, mais de pensée ferme et puissante, d’images d’une admirable ampleur, de lucidité. Le vrai, l’unique tour de force est dans cette communion de la pensée et du sentiment qu’il a su réaliser en préservant sans défaillance l’expression poétique.
Pierre Reverdy, « Circonstances de la poésie » in L’Arche n°21, novembre 1946
Un poète avant-gardiste comme Tristan Tzara ira plus loin encore en affirmant que la poésie véritable ne sert pas à exprimer quoi que ce soit, mais à refléter l’activité psychique :
Dénonçons au plus vite un malentendu qui prétendait classer la poésie sous la rubrique des moyens d’expression. La poésie qui ne se distingue des romans que par sa forme extérieure, la poésie qui exprime soit des idées, soit des sentiments, n’intéresse plus personne. Je lui oppose la poésie activité de l’esprit. Ce ne sont pas les récentes élucubrations sur la poésie pure qui situent le débat. Il est parfaitement admis aujourd’hui qu’on peut être poète sans jamais avoir écrit un vers, qu’il existe une quantité de poésie dans la rue, dans un spectacle commercial, n’importe où […]
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