Chateaubriand, Essai sur les révolutions, II, LVII, 1797, extrait
Dissertation : Chateaubriand, Essai sur les révolutions, II, LVII, 1797, extrait. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Pascal Marco • 4 Janvier 2021 • Dissertation • 520 Mots (3 Pages) • 824 Vues
- Parcours : Notre monde vient d’en trouver un autre.
Le « sauvage », une arme pour la critique.
Texte 1 : Commentaire littéraire : Chateaubriand, Essai sur les révolutions, II, LVII, 1797, extrait.
En avril 1771, Chateaubriand, l’un des pères du Romantisme s’embarque pour l’Amérique. Il y reste cinq mois. Bien que « découverte » depuis trois siècles, l’Amérique reste encore un continent mal connu. Chateaubriand y découvre une nature sauvage qui n’existe plus en Europe.
Méditations enchantées ! charmes secrets et ineffables d’une âme jouissante d’elle-même, c’est au sein des immenses déserts de l’Amérique que je vous ai goûtés à longs traits ! On se vante d’aimer la liberté, et presque personne n’en a une juste idée. Lorsque, dans mes voyages parmi les nations indiennes du Canada, je quittai les habitations européennes et me trouvai, pour la première fois, seul au milieu d’un océan de forêts, ayant pour ainsi dire la nature entière prosternée à mes pieds, une étrange révolution s’opéra dans mon intérieur. Dans l’espèce de délire qui me saisit, je ne suivis aucune route ; j’allais d’arbre en arbre, à droite et à gauche indifféremment, me disant en moi-même : « Ici, plus de chemins à suivre, plus de villes, plus d’étroites maisons, plus de Présidents, de Républiques, de Rois, surtout plus de Lois et plus d’Hommes. Des Hommes ? Si : quelques bons Sauvages qui ne s’embarrassent de moi, ni moi d’eux ; qui, comme moi encore, errent libres où la pensée les mène, mangent quand ils veulent, dorment où et quand il leur plaît. » Et pour essayer si j’étais enfin rétabli dans mes droits originels, je me livrais à mille actes de volonté, qui faisaient enrager le grand Hollandais qui me servait de guide, et qui, dans son âme, me croyait fou.
Délivré du joug tyrannique de la société, je compris alors les charmes de cette indépendance de la nature[1], qui surpassent de bien loin tous les plaisirs dont l’homme civil peut avoir l’idée. Je compris pourquoi pas un Sauvage ne s’est fait Européen, et pourquoi plusieurs Européens se sont fait Sauvages […]. Il est incroyable combien les nations et leurs institutions les plus vantées, paraissaient petites et diminuées à mes regards ; il me semblait que je voyais les royaumes de la Terre avec une lunette invertie[2], ou plutôt, moi-même agrandi et exalté, je contemplais d’un œil de géant le reste de ma race dégénérée[3].
Vous, qui voulez écrire des hommes, transportez-vous dans les déserts ; redevenez un instant enfant de la nature, alors, et seulement alors, prenez la plume. […]
Bienfaisants Sauvages ! vous qui m’avez donné l’hospitalité, vous que je ne reverrai sans doute jamais, qu’il me soit permis de vous payer ici un tribut de reconnaissance. Puissiez-vous jouir longtemps de votre précieuse indépendance, dans vos belles solitudes où mes vœux pour votre bonheur ne cessent de vous suivre !
[1] Cette liberté éprouvée dans la nature.
[2] Renversé, inversé.
[3] Qui a perdu ses qualités naturelles.
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