Amphitryon 38, acte I, scène 5
Commentaire de texte : Amphitryon 38, acte I, scène 5. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar tom martin • 28 Avril 2018 • Commentaire de texte • 2 074 Mots (9 Pages) • 4 454 Vues
Commentaire scène 5 acte I Amphitryon 38, Giraudoux, 1929
Le mythe d'Amphitryon est un très ancien mythe thébain de l'Antiquité. Il raconte la naissance d'Hercule, futur sauveur de la ville et du royaume, conçu de l'union de Jupiter et de la mortelle Alcmène, choisie par le dieu pour sa grande vertu et sa pureté. Pour engendrer Hercule, Jupiter devra emprunter la forme du mari Amphitryon, seul amour et seul fantasme d'Alcmène.
Ce mythe a été, dès l'Antiquité, avec Plaute, notamment, représenté au théâtre. Giraudoux, en 1929, dans la lignée de ses prédécesseurs, dont Molière et Kleist, en donne sa version, la 38 ème, comme l'indique le titre de la pièce Amphitryon 38. Un des éléments de l'originalité de cette adaptation réside dans le fait que Giraudoux fait débuter l'intrigue avant la nuit entre Jupiter sous la forme d'Amphitryon, et Alcmène, le spectateur est donc témoin du stratagème inventé par les dieux pour tromper la fidélité d'Alcmène à son mari. C'est ainsi que la scène 5 de l'acte I nous fait assister au dialogue entre Mercure et Jupiter au cours duquel le messager des dieux aide Jupiter à parfaire sa transformation en Amphitryon, car la métamorphose humaine est catastrophique et jamais Alcmène ne s'y laisserait prendre. Cet épisode, inexistant dans les versions antérieures, n'est pas nécessaire à l'intrigue puisqu'on sait que Jupiter réussit à duper Alcmène en prenant la forme de son mari. Le sens de cette scène ne réside donc pas dans sa dimension dramatique, mais dans sa dimension démonstrative.
Nous nous demanderons alors en quoi cette scène est porteuse des intentions de la pièce.
Nous verrons qu'elle a pour première intention de nous faire rire, mais qu'elle vise aussi à nous faire réfléchir à travers un dialogue philosophique sur la condition humaine, et sur de grandes questions métaphysiques.
Cette scène révèle tout d'abord les intentions comiques de la pièce.
En effet, malgré la présence sur scène de deux dieux, Jupiter et Mercure, qui cherchent à manipuler le destin des hommes - Alcmène et Amphitryon – le ton n'est pas du tout tragique, car ces dieux sont totalement humanisés et ridiculisés.
- Jupiter doit se transformer en « homme » comme l'indiquent les multiples occurrences du mot, et sa dérivation en adjectif « humain », or le résultat est un échec .
- Le dieu créateur est décrédibilisé : il se croit parfait et pourtant « on devine le dieu à vingt pas » dit Mercure quand il le voit apparaître. Ses étonnements « A ma peau ? », et ses tâtonnements – il utilise le « phosphore » pour créer ses yeux, il oublie les prunelles, il ne trouve pas le bon rythme cardiaque-, sa difficulté à endosser la forme humaine, traduisent sa méconnaissance des hommes. « J'espère que mes pauvres hommes ne sentent pas cela » dit-il quand il commence à ressentir les douleurs de l'incarnation. Il apparaît ici comme un enfant absolument naïf, ce que suggère Mercure quand il lui fait remarquer qu'il a une « peau d'enfant » .
- Le vocabulaire de l'échange entre les dieux, n'est pas celui attendu dans la tragédie qui est leur territoire, mais bien celui, trivial et familier de la comédie : on parle de « ventricules », d' « artères », de « prunelles », de « glandes lacrymales » de « nerfs optiques », de « peau » : tout un vocabulaire technique et médical à la fois anachronique et prosaïque. De même les interjections de Mercure quand il essaie de régler le rythme cardiaque de Jupiter qui s'emballe ou bien se ralentit « Oh ! Oh ! (…) Là, là, plus lentement (…) là...là... » font penser à un dompteur ou un cavalier qui cherche à calmer son cheval, ce que suggère la comparaison « voilà ce galop moyen, cet amble auquel Amphitryon reconnaît ses chevaux » utilisée par Mercure. Ce dernier,devant la maladresse de Jupiter à trouver le ryhtme de la vie des hommes lui annonce qu'il vit tantôt une vie « de chien, » de « chat » ou de « poisson » A travers ces procédés, Jupiter est indirectement animalisé, et rabaissé.
L'intention comique de la scène est aussi révélée par la couple maître / valet, ressort traditionnel de la comédie, que constituent Jupiter et Mercure.
Comme dans les comédies, le maître a recours au valet quand il cherche à s'encanailler, pour un mauvais coup ou pour séduire une belle. Ce à quoi correspond le stratagème pour tromper et séduire Alcmène. Mercure est ici le valet qui aide à la réalisation du plan. Et, comme il arrive souvent dans les comédies, pour un court instant, la situation permet au valet d'inverser les rapports de domination. Ici, Mercure, fort de sa connaissance des hommes, use de cette supériorité pour prendre le pouvoir sur son maître et lui donner des ordres. « venez à la lumière », « ne commandez pas au soleil vos regards », « ménagez vos ventricules ». Même si dans la forme, la hiérarchie est maintenue puisque Jupiter tutoie Mercure « As-tu l'impression d'être devant un homme ? », et que Mercure le vouvoie, c'est bien ce dernier qui dirige la scène, et Jupiter obtempère aux injonctions de son valet qui trouve là une superbe occasion de prendre sa revanche sur son maître. Au début de l'échange, il savoure sans aucun doute le plaisir de critiquer la métamorphose de Jupiter qui ressemble, lui dit-il à un « vers luisant humain » : le respect dû à la lumière divine du dieu des dieux est ici totalement bafoué. L empressement maladroit de Jupiter à exécuter les consignes de Mercure ridiculise le dieu des dieux et révèle aussi la puissance de son désir pour Alcmène qui lui fait oublier toute grandeur et toute dignité.
Enfin, la dimension comique est repérable à la situation mise en œuvre : les deux dieux planifient une tromperie liée à une aventure galante : Jupiter entend séduire Alcmène et cocufier son mari. Nous sommes ici dans l'univers de la comédie de mœurs qui met en scène le trio mari, amant femme. Jupiter apparaît ici comme un amant vaniteux, et sûr de son succès, malgré ses défauts d'incarnation puisque, selon lui, « (ses) autres maîtresses s'y sont trompées », et que malgré sa peau d'enfant, « leurs caresses n'en étaient pas plus maternelles ». Il ne peut s'empêcher de vanter ses prouesses érotiques, il se complaît dans le miroir que constitue le regard de Mercure « comme ceci les prunelles ? », « l'aventurine ne ferait pas mal avec ses reflets d'or ». Outre que le terme aventurine renvoie à l'idée d'aventure amoureuse, Jupiter apparaît ici comme un bellâtre gominé au « fixatif » qui essaie des tenues tape-à-l'oeil et se prépare pour le grand jeu de la séduction, grâce à son entremetteur Mercure. Nous sommes bien loin de la majesté divine qui préside aux grandes tragédies.
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