Enfance Nathalie Sarraute
Étude de cas : Enfance Nathalie Sarraute. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Belles Lettres • 19 Janvier 2020 • Étude de cas • 4 398 Mots (18 Pages) • 1 160 Vues
Se raconter; l’expérience d'«Enfance».
L’intérêt que porte Nathalie Sarraute aux mouvements nommés tropismes l’a mené dans son parcours a redéfinir le personnage romanesque. Sa délimitation n’est plus garantie par des conventions mais par une polyphonie de voix. Cependant un apparent retour au personnage prédéterminé est opéré avec «Enfance», qui réinvesti le genre de l’autobiographie sous la forme d’une esquisse de soi. Son «évocation de ses souvenirs d’enfance» rappelant la tradition autobiographique est-elle une expérience d’écriture et de lecture «nouvelle» ou encore une autre recherche? Une nouvelle expérience d’interaction avec le lecteur (déjà inclus dans le tropisme) .
Paradoxale impossibilité de travailler avec des personnages de roman pour évoquer les mouvements intérieurs et le recourt à son propre personnage pour y parvenir.
1. Ce qu’ «Enfance» n’est pas:
Cadrage historique:
Lorsque le livre de Nathalie Sarraute sort en 1983, il est considéré comme une autobiographie; « Enfance relève, à l’évidence, de l’entreprise autobiographique, et,(...) semble ouvertement se situer dans le genre bien défini du récit des origines»« Esprit » , p.1. Cependant il est présenté comme un objet nu par Lejeune, car dans la première version ne figure pas de sous-titre, de préface, de 4ème de couverture, de chapitres. Philippe Lejeune dira que c’est un livre indéfini. Effectivement Enfance se distancie passablement de la définition de autobiographie que Lejeune a proposée en 1975:
Nous appelons autobiographie le récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur la vie individuelle; en particulier sur l’histoire de sa personnalité. [1]
Nathalie Sarraute avait en fait déjà mis à distance la forme classique de l’autobiographie en la tournant en dérision dans « Entre la vie et la mort ». (date) : « Ma mère était savoyarde. J’ai par elle du sang italien. mon grand-père maternel était berger. Même après son mariage il n’a rien voulu savoir pour quitter sa maison roulante. » «Entre la vie et la mort», p.12. Où «Ma mère était savoyarde.» fonctionne comme « mon grand-père maternel était berger.» dans la logique du discours. Ainsi, savoyard ou berger, semble être mis dans la même catégorie de qualifications. Ce qui met en relief le projet dans «Enfance», qui cherche plutôt à écrire l’expérience que la situation d’origine, «l’histoire de sa personnalité».
1.2 Entre les Confessions et les Essais.
Pour tenter de situer la stylistique du texte, nous pouvons proposer un axe dont les deux extrêmes seraient campés par d’un côté les Confessions de Rousseau et de l’autre les Essais de Montaigne. L’un suit le déroulement historique des faits avec les dates, les lieux et les événements à l’appui comme garanties d’authenticité: Livre 1 Confessions de Rousseau :«Je suis né à Genève, en 1712 d'Isaac Rousseau, Citoyen, et de Susanne Bernard, Citoyenne. [2] L’autre procède par esquisse de la pensée; Montaigne formule un autoportrait où se peint à grands traits en faisant appel à de nombreuses citations, sans avoir le souci de dater historiquement et spatialement son propos. Où l’intertextualité fonctionne comme une polyphonie de voix d’où ressort une manière de penser. Il travaille sur son propre texte en se corrigeant, en rajoutant des passages et explications.
L’entreprise de N.Sarraute se positionne plutôt du côté des Essais, entre autre via la double instance narratrice, qui rappelle les corrections et ajouts de Montaigne sur son propre texte, le dispositif rappelle le dialogue Platonicien, il acquière une portée maïeutique, nous allons le voir.
Si l’on cherche a définir ce qu’est le texte via la posture de son narrateur;
Il y a bien des cas où il est difficile de distinguer le narrateur-protagoniste du narrateur-témoin, soit, avec les termes de Genettien, le narrateur « autodiégétique » du narrateur « homodiégétique» [3]
Donc la visée d’Enfance n’est pas de tant de pouvoir déterminer à coup sur l’identité du personnage principal à telle ou telle époque, mais plutôt de faire revivre ces moments tels qu’ils étaient. Et comme il s’agit pour la majeure partie de souvenirs d’échanges ou de conversations, cette forme est reproduite dans le texte avec le dispositif du dialogue entre les deux narrateurs.
2. Dispositif particulier du dialogue.
Dés l’incipit, qui est suspensif[4] , deux voix se côtoient dans le texte pour endosser la narration. Cet incipit fait directement entrer le lecteur dans une des problématiques du roman; deux voix collaborent pour raconter et contrôler le récit afin d’être le plus authentique possible. Une voix endosse le récit dans un flux narratif et l’autre a un rôle critique.
La reprise de la forme dialogique, mais épurée des instruments de régie du théâtre (noms des personnages et code de ponctuation) est une exploration dans le genre. « De la même manière que lorsque Nathalie Sarraute commença à écrire des pièces de théâtre, le changement de genre littéraire permet ici à certains aspects de son écriture de se déployer sur un terrain nouveau.» [5]
En effet, si on met en scène la perspective de l’enfant en lui déléguant parfois la fonction de narration, il faut oublier les éléments de la vraisemblance et accepter le jeu de la fiction: “il ne s’agira plus de se souvenir, mais de fabriquer une voix enfantine, cela en fonction des effets qu’une telle voix peut produire sur un lecteur plutôt que dans une perspective de fidélité à une énonciation enfantine qui, de toute façon, n’a jamais existé sous cette forme”. Cette rupture avec le récit autobiographique où la voix est toujours celle du narrateur adulte qui domine et organise le texte s’ajoute à celle de l’emploi du “présent de narration”, une figure qui introduit une perturbation apparente dans la distinction entre histoire et discours, et entre antériorité et simultanéité. [6] Le dédoublement de la conscience du narrateur permet un jeu d’écoute de sa propre conscience, de pouvoir la lire depuis un autre point de vue et de mettre en scène le travail de la conscience.
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