Une représentation fictionnelle
Mémoire : Une représentation fictionnelle. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar jeanrachid07 • 23 Février 2016 • Mémoire • 2 804 Mots (12 Pages) • 802 Vues
I. Une représentation
fictionnelle
1/L’invention
du personnage
par le romancier
L’invention du personnage est souvent
conçue comme le moment-clé de l’écriture
romanesque. Elle peut être pensée
comme un enfantement ; la correspondance
de Flaubert est pleine de notations
qui développent cette image. La nature
lyrique de cet auteur (d’aucuns diraient
hallucinée) le conduit en effet à s’exalter
et à s’exorciser dans des créatures qui
paraissent l’habiter autant qu’il les
enfante (Emma Bovary par excellence,
mais aussi Léon, Homais, Charles) : créer
un personnage, ce serait donner vie à une
personne. Henry James remarque « à
mon avis, l’intensité de l’effort créateur
fourni pour entrer dans la peau de sa
création témoigne toujours d’une passion
admirable ; c’est un acte de possession
d’un être par un autre poussé à son
extrême1 ».
Les romanciers sont nombreux à parler
de leur personnage comme s’il était
réel, comme si se nouait avec lui une
relation de personne à personne. Ainsi,
Marguerite Yourcenar, dans les Carnets
de notes de L’Œuvre au Noir confie, de
façon très émouvante, comment, souvent
dans ses insomnies, elle a eu
« l’impression de tendre la main à
Zénon se reposant d’exister, couché sur
le même lit ». Suit une description très
précise et sensuelle de cette main dont
elle dit connaître « la pression », « [le]
degré exact de chaleur » (Gallimard,
Folio, p. 464).
C’est que le personnage est conçu
comme la transposition d’une expérience
ou d’une personne réelle. Sans vouloir
simplifier cette alchimie complexe par
laquelle le roman puise dans l’expérience
du romancier, bien souvent l’invention
s’enracine dans la réalité pour aboutir à
une figure fictionnelle : non qu’elle la
décalque purement et simplement, mais
elle la déplace, lui impose différents procédés
de grossissement, atténuation,
hybridation… Ce dernier point est sans
doute le plus important : jamais un personnage
de roman n’est purement et simplement
la transposition d’une personne
réelle ; il est le produit d’un croisement
entre différents traits de personnes distinctes
et le romancier s’y trouve luimême
mêlé. Ainsi, dans la préface de
son roman Aurélien, Aragon reconnaît
que son personnage n’est ni Drieu
La Rochelle ni lui-même, mais qu’il a pu
chercher « dans l’un et l’autre une sorte
de vérification du personnage créé ».
Comme Drieu, Aurélien a fini la guerre à
l’armée d’Orient en 1918, mais Aragon
éloigne Aurélien de l’évolution de Drieu
vers l’extrême droite, refusant, même
lorsqu’il écrit contre ses personnages, de
les noircir. Il s’agit toujours pour lui de
comprendre Aurélien Leurtillois, même si
derrière lui « se profile un paysage
atroce », même s’il devient « l’instrument
de tout ce qui [lui] est ennemi ».
Mauriac affirmait, lui, que seuls ses
personnages secondaires pouvaient avoir
été empruntés à la vie et formulait la
règle selon laquelle moins un personnage
a d’importance dans le récit, « plus il a
de chances d’avoir été pris tel quel dans
la réalité ». Pour les autres, s’il a toujours
situé ses personnages dans son milieu
d’origine (la province bordelaise, bourgeoise
et catholique), il a profondément
modifié son atmosphère, déchaînant « en
imagination les plus terribles drames au
fond de ces honnêtes maisons provinciales
» ; dans le roman, il y a de l’arsenic
(Nœud de vipères) là où les vieilles
dames dont dérive Thérèse Desqueyroux
ne servaient au petit garçon qu’il fut que
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