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Albert et Louis de Jean-Paul Mugnier : Récit factuel ou fictionnel ?

Cours : Albert et Louis de Jean-Paul Mugnier : Récit factuel ou fictionnel ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  15 Septembre 2019  •  Cours  •  3 468 Mots (14 Pages)  •  797 Vues

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Albert et Louis de Jean-Paul Mugnier :

Récit factuel ou fictionnel ?

Introduction

Un roman qui se veut réaliste,  pose toujours question quant à la crédibilité de son contenu. Qu’une histoire soit réelle ou imaginaire, certains auteurs cherchent à produire de la vérité dans leur écriture. C’est le cas de Céline et Camus ; le premier revendique l’authenticité de ses écrits comme directement transposée de la réalité – autrement dit, l’écrivain doit avoir vécu ce qu’il écrit – et le second se considère plutôt comme un témoin de son époque qui, d’une certaine manière, s’engage à ancrer ses récits dans la réalité même s’ils sont en partie le produit de son imagination. Outre leurs œuvres respectives, Céline et Camus sont connus pour incarner des personnages médiatiques plus ou moins controversés, Camus pour ses positions idéologiques sur la guerre d’Algérie et Céline pour son antisémitisme durant l’occupation allemande. Jean-Paul Mugnier, l’auteur de Albert et Louis a voulu dépasser les représentations stéréotypées pour découvrir plus en profondeur la psychologie de ces deux figures littéraires emblématiques.

Mugnier décide donc d’imaginer et de mettre en scène leur rencontre pour les faire s’exprimer, se confronter, et ainsi, révéler leur personnalité sous forme dialectique. Pour résumer brièvement le récit : Céline demande à Michel Gallimard, son éditeur, d’organiser une rencontre entre lui et Camus dans les bureaux des éditions Gallimard. Camus accepte à contrecœur mais exige une discrétion absolue sur cette rencontre. Le dialogue prend la tournure d’une psychanalyse. Céline semble avoir quelque chose d’important à dire à Camus mais ce « secret » ne sera dévoilé que quand Camus aura confiance en son interlocuteur. Ce qui apparaissait au début comme un prétexte pour faire parler les deux écrivains sur leur vie et leur œuvre s’avère être une révélation importante : Céline aurait connu le père de Camus durant la première guerre mondiale. Cette révélation serait un élément influent sur la rédaction du dernier livre inachevé de Camus, Le Premier Homme, et serait responsable de l’accident de voiture qui mit fin à ses jours ainsi qu'à ceux de Gallimard.

Nonobstant leur réputation, beaucoup de lecteurs reconnaissent l’influence des deux auteurs sur le paysage littéraire mondial. Le frottement de leurs caractères avait de quoi susciter l’intérêt. Jean-Paul Mugnier ne cède pas à la facilité qui consisterait à faire s’affronter les deux écrivains sur des sujets sensibles mais décide plutôt d’en faire une rencontre sous la forme d’une séance de psychanalyse dans laquelle Camus jouerait le rôle du patient. En effet, Céline est à l’initiative de la rencontre et sait quelque chose qui pourrait intéresser Camus. L’intrigue est ainsi posée et le lecteur tendra vers ce but donné par Mugnier : quel mystère Céline veut-il dévoiler à Camus ? L’auteur invente tout en s’imposant la contrainte de rendre compte avec fidélité de l’époque dans laquelle se déroule l’intrigue mais aussi de  la vie de ces personnages réels. Cette rencontre imaginaire aurait donc pu avoir lieu car elle s’insère dans l’histoire et respecte la biographie de chacun. Il convient d’abord de présenter brièvement les deux auteurs que décrit Mugnier dans son récit. Nous verrons ensuite comment l’auteur utilise les citations pour crédibiliser cet échange entre Camus et Céline. Dans un troisième temps, nous focaliserons sur les différentes références disséminées dans l’intrigue. Pour conclure nous approfondirons la question concernant la nature de ce mini-roman dont la position oscille entre récit « fictionnel » et récit « factuel » selon le vocabulaire de Genette.

Deux personnages « que tout semble opposer »

Psychothérapeute et auteur de plusieurs essais sur l’enfance, Jean-Paul Mugnier précise dans sa préface :

Bien que possible du point de vue de la chronologie, la rencontre dont il est question dans ce livre est totalement imaginaire. Seule l’affection éprouvée pour ces deux hommes que tout semble opposer m’a donné l’idée de les faire se rencontrer. La curiosité aussi, l’envie de mieux les connaître, de mieux cerner leur ambiguïté, voire leur contradiction, le désir de ne pas s’en tenir à certaines images que la postérité véhicule et surtout lutter contre la diabolisation ou l’idéalisation, ce qui revient au même.[1] 

Pour comprendre comment l’auteur s’approprie la psychologie de ses personnages, il semble nécessaire de s’intéresser tout d’abord au travail des deux écrivains ressuscités dans le dialogue. Jean-Paul Mugnier est déjà auteur d’un essai sur l’enfance de Céline[2] – écrivain réputé pour le personnage excentrique qu’il s’est créé[3] peut-être davantage que pour ses écrits à proprement parler. Beaucoup considèrent Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit comme des chefs-d’œuvre de la littérature du XXème siècle mais refusent de lire ses « pamphlets » antisémites publiés sous l’occupation. Louis-Ferdinand Céline est médecin de formation[4] et en ce qui concerne la littérature (mot qu’il trouve « ridicule »), il se revendique comme un « artisan » qui travaille sur un « établi » essentiellement pour gagner sa vie et « s’acheter un appartement » car pour lui l’acte d’écrire est « ridicule » mais rapporte de l’argent. Il prétend par ailleurs, qu’un vrai écrivain doit « mettre sa peau sur la table »[5], écrire ne devrait pas être un acte de l’imagination mais une transposition du réel. Son mépris pour ses homologues contemporains n’est plus à démontrer[6] et même Albert Camus en a fait les frais[7]. Ce dernier est né à Mondovi (aujourd’hui Dréan) en Algérie, écrivain, philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste… il est plus jeune que Céline de dix-neuf ans, le style de ses romans est « plat », à l’opposé de son ainé ; dans L’Etranger, par exemple, il utilise ce que l’on qualifie désormais de « l’écriture blanche »[8], son narrateur-personnage, Meursault, emprunte une voix atonale, indifférente, ce que Barthes appelle une « absence idéale de style » alors que Céline est quant à lui un styliste assumé qui, dans sa « lutte avec le papier » pour transposer l’oral à l’écrit, emploie un jargon rythmé, sonore et outrancier dans tous ses romans. Camus est un auteur engagé littérairement et politiquement, ses positions idéologiques notamment sur le communisme et la guerre d’Algérie l’ont entraîné à se brouiller avec ses connaissances, Jean-Paul Sartre, entre autres, que Céline en l’occurrence qualifiait de « ténia » dans A l’agité du bocal, texte acide qui attaque l’intellectuel sur son existentialisme à coup d’arguments ad hominem.

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