Brutus, Catherine Bernard
Chronologie : Brutus, Catherine Bernard. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar tadaronenstring • 13 Juin 2023 • Chronologie • 2 913 Mots (12 Pages) • 450 Vues
Commentaire de texte - Brutus, Catherine Bernard
Âge d’or du théâtre français, le 17e siècle réserve une place de choix à la tragédie classique : celle-ci est admirée pour sa virtuosité, appréciée pour sa capacité à émouvoir le lecteur. C’est bien dans ce genre littéraire que s’inscrit Brutus, une pièce de théâtre écrite par Catherine Bernard et jouée pour la première fois en 1690. Écrite en alexandrins, cette œuvre suit parfaitement les contraintes appliquées à la tragédie, aussi bien dans la forme que dans le fond : l’intrigue tient lieu dans la Rome antique, une source d’inspiration très importante pour les classiques. Dans cet extrait, Titus, fils de Brutus, est mis au courant de la conspiration fomentée contre son père. Aquilie, sa bien-aimée, lui apprend la nouvelle et l’invite à se joindre au camp ennemi pour pouvoir espérer se marier, mais Titus est sous le choc de la nouvelle. Dès lors, nous nous demanderons comment cet aveu met en scène un héros tragique tombé dans le piège de la passion. Afin de répondre à cette question, nous verrons que, si Aquilie tente de masquer son caractère manipulateur, Titus est trop accablé par la nouvelle qu’il apprend pour voir le mal en elle. Enfin, nous mettrons en évidence les conséquences désastreuses de l’amour que porte le héros à Aquilie.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la tentative de manipulation d’Aquilie, l’amante à l’origine de cette scène d’aveu.
D’abord, Aquilie se fait prier pour avouer ce qu’elle est venue annoncer à Titus. En effet, cette pièce suit un schéma récurrent, dans lequel un mensonge ou un secret est à l’origine de l’intrigue. Dans le cas présent, il s’agit de la conspiration politique visant Brutus. Aquilie crée volontairement l’effet d’attente autour de ce lourd secret, comme on peut le voir grâce au champ lexical du secret concentré dans sa première réplique : “silence” (l.1), “secret” (l.4, l.7), “aveu” (l.6), “ignorerez” (l.8). Aquilie refuse de le révéler tant qu’elle n’a pas contraint Titus à promettre qu’il ne dira rien à son père, d’où la nécessité de recourir aux serments qu’elle exige de Titus : “Je veux par des serments, que votre foi s’engage” (l.5). La synecdoque présente dans ce vers suggère au héros que ce qu’il engage n’est pas seulement sa personne, son nom, mais aussi sa foi, son honneur. Par ces moyens, Aquilie obtient la pleine attention de Titus.
Mais l’aveu d’Aquilie ne consiste pas en la seule confidence de la conspiration : elle a surtout pour but d’inviter Titus à rejoindre ceux qui se dressent contre son père. Alors elle lui fait d’abord croire qu’elle est de son côté, se détachant des faits, comme nous pouvons le voir dans sa deuxième réplique : “On cherche à rétablir les Tarquins exilés / On conspire” (l.16-17). L’utilisation du pronom indéfini “on” montre bien la distance qu’Aquilie prend par rapport à la conspiration. Ensuite, là où Titus ne cite jamais le nom de son père, Brutus, Aquilie remet l’entière responsabilité sur son père, Aquilius, dont elle fait le sujet de ses phrases à trois reprises : “Mon père m’a permis de rompre le silence” (l.1), “mon père est chef de l’entreprise” (l.17), “Et mon père à ce prix m’accorde à votre amour” (l.28). Aquilie sait l’ampleur du sacrifice qu’elle demande à Titus, aussi elle met en œuvre tous les moyens qu’elle a pour le faire céder.
Face à cette tentative de manipulation, il nous faut étudier la réaction de l’amant, Titus, écrasé par l’ultimatum qu’elle lui impose.
Pour commencer, Titus est aveuglé par Aquilie, ne voit pas son stratagème et tombe dans son premier piège. En effet, il faut savoir que Titus est le héros illustre de cette scène : on le reconnaît à ses principales caractéristiques, qui sont sa noblesse et son honneur. Ainsi, il n’hésite pas une seconde lorsque Aquilie lui demande de faire le serment de ne rien révéler. Il jure par tous les dieux qu’il ne violera pas ce serment : “Oui, j’en jure des Dieux le nom inviolable / Tout ce qui parmi nous est le plus redoutable / Tout ce que nous laissa Numa de plus sacré / Tout ce qui des Mortels fut jamais adoré.” (l.9-12). Cette anaphore en “tout ce que/qui” l’enferme dans un secret qu’il doit garder à tout prix. Alors, l’honneur est partagé entre son père, son sang, à qui il doit tout, et Aquilie, auprès de qui il s’est engagé à ne rien dire.
Mais après la proposition d’Aquilie, la première réaction de Titus est le refus catégorique et instinctif de toute association avec l’ennemi. En effet, l’honneur et les valeurs familiales sont les premiers à se rappeler à l’esprit du héros, désormais conscient du choix déterminant qui s’impose à lui : trahir ou souffrir. Son refus, manifesté d’emblée par la négation lexicale (“non, non, Madame, non” l.37) est aussitôt accompagné de nombreuses oppositions dans sa dernière réplique : on notera l’opposition entre “malheurs” (l.34) et “bonheur” (l.43), tous deux placés à la césure. Dans la tragédie, l'honneur est effectivement opposé au bonheur personnel, raison pour laquelle “adore” (l.41) et “abhorre” (l.42), tous deux placés à la rime, s’affrontent. Mais son opposition au projet semble fébrile, puisque l’amour n’est jamais très loin dans l'esprit de Titus, comme on peut le voir dans la métaphore hyperbolique (“tout l’amour dont je brûle pour vous” l.40) et le champ lexical de l’amour qu’il emploie (l.40 à 44). À ce stade, le spectateur n’a aucun moyen de connaître la décision finale de Titus.
Ainsi, Titus est pris dans un dilemme cornélien, victime de la position dans laquelle le met Aquilie. Le choix qu’il fera ne peut désormais le mener qu’à sa perte.
Premièrement, l’ambiance dans laquelle se trouvent les deux amants est moins amoureuse qu’horrifique. En effet, la tragédie impliquant souvent la mort du personnage éponyme, le spectateur détient alors la clé de la prochaine mort de Brutus. Cela est annoncé de suite par le champ lexical de l’horreur, présent dans la bouche des deux personnages : “redoutable” (l.10), “horreurs” (l.19), “terrible” (l.29), “horrible” (l.30). Aquilie dit même en “tremble[r]” et en “frissonne[r] d’effroi” (l.31). Titus, lorsqu’il l’apprend, manifeste sa stupeur par des phrases exclamatives très courtes, montrant que la nouvelle le laisse pétrifié. Il s’écrase sous le poids de la nouvelle, comme convaincu que la seule confidence faite par Aquilie le soumet déjà à un destin tragique.
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