Balkans, La Fin Du rêve Européen
Dissertation : Balkans, La Fin Du rêve Européen. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Taty • 3 Juillet 2013 • Dissertation • 3 375 Mots (14 Pages) • 898 Vues
Un projet à bout de souffle
Balkans, la fin du rêve européen
La Croatie deviendra, le 1er juillet 2013, le vingt-huitième Etat membre de l’Union européenne. Les électeurs ont approuvé le 22 janvier l’adhésion de leur pays. Si le « oui » a remporté près de 67 % des suffrages, la très faible participation (43 % des inscrits) limite la portée de ce vote. En réalité, c’est sans enthousiasme que les Croates s’apprêtent à rejoindre l’Union. Laquelle a perdu beaucoup de son attrait dans tous les pays de la région.
par Jean-Arnault Dérens, mars 2012
« Nous allons entrer dans une Union européenne qui est en train de vivre la plus grave crise de son histoire, une Europe néolibérale et archibureaucratisée, malgré son vernis de démocratie », s’indigne M. Mate Kapovic. Ce jeune linguiste, qui achève sa thèse à l’université de Zagreb, était l’une des voix les plus influentes de l’opposition de gauche à l’intégration de la Croatie dans l’Union européenne.
Le pays s’est engagé il y a plus de dix ans dans le processus menant à l’adhésion. Longtemps, la plupart des critiques émanaient des milieux nationalistes. Ceux-ci dénonçaient les risques d’une perte de souveraineté et l’obligation de coopération avec la justice internationale, qui se solderait par l’arrestation et le jugement de « héros » de la guerre d’indépendance — sans oublier les secteurs les plus conservateurs de l’Eglise catholique, hostiles à une Europe voulant « imposer » le droit à l’avortement ou la légalisation du mariage homosexuel. Pour la droite nationaliste, la Croatie n’aurait rien à gagner à troquer ainsi l’ancienne « dépendance » envers Belgrade contre un nouvel « assujettissement » à Bruxelles. Ces courants demeurent influents ; ils l’ont encore rappelé lors de la condamnation à vingt-quatre années de prison de l’ancien général Ante Gotovina par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), en avril 2011. Toutefois, le développement d’une critique de gauche de l’intégration européenne a été la nouveauté politique de ces dernières années.
En Croatie, comme dans les autres pays des Balkans, l’opposition à l’Europe libérale est même le creuset d’une nouvelle gauche radicale, qui s’est illustrée durant les manifestations de l’hiver 2010-2011. Chaque soir, des milliers de personnes battaient alors le pavé des grandes villes croates en dénonçant aussi bien la corruption de la droite conservatrice, alors au pouvoir, que la « dictature du capital ». Les appels à manifester circulaient sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, le mouvement refusant toute structuration et toute hiérarchie. A Zagreb, les cortèges ralliaient les sièges des grands partis — de droite comme de gauche —, mais aussi des syndicats et des principales institutions. Les manifestants brûlaient le drapeau européen en passant devant le bâtiment de la délégation de la Commission européenne. « Il est rare que la Croatie soit à l’avant-garde, mais nous avons anticipé le mouvement mondial des “indignés” », dit dans un sourire M. Kapovic.
Fossé générationnel
au sein de la gauche
« Le savoir n’est pas une marchandise. » Depuis plus de deux ans, ce slogan barre la façade de la faculté de philosophie de Zagreb, devenue l’épicentre d’un mouvement étudiant dont les revendications radicales font peu à peu tache d’huile dans le pays et, au-delà des frontières croates, dans les autres républiques de l’ancienne Yougoslavie. « Nous revendiquons la gratuité de l’enseignement supérieur, explique l’un de ses animateurs. Le gouvernement voulait instaurer des droits d’inscription. Grâce à notre mobilisation, nous avons réussi à bloquer leur généralisation. Les étudiants ne doivent payer des droits qu’en troisième et en quatrième année. La première, la deuxième et la cinquième année restent gratuites. Ce compromis un peu bizarre est directement menacé par l’intégration européenne annoncée, car il contrevient au processus de Bologne, qui harmonise l’enseignement supérieur dans tous les pays de l’Union… Pour nous, l’adoption des règles européennes n’entraîne donc pas un progrès, mais une remise en cause d’un droit fondamental. » A l’automne 2011, ce jeune homme, préférant l’« Erasmus des luttes » aux échanges universitaires prévus par la Commission européenne, a passé beaucoup de temps à Belgrade, où un mouvement étudiant similaire s’est développé.
Ces mobilisations sont mal perçues par certains électeurs traditionnels de la gauche croate. M. Miljenko Turniski anime l’Agence de la démocratie locale d’Osijek, dans l’est du pays. Son organisation est très engagée dans la coopération transfrontalière avec la Hongrie, mais aussi avec la Serbie et la Bosnie-Herzégovine voisines. Assiégée par les forces serbes, la ville d’Osijek a été fortement touchée par les combats du début des années 1990. M. Turniski a lui-même été mobilisé, et il dénonce la « confusion » qui entoure les nouveaux mouvements de protestation : « Quelle autre solution que l’intégration européenne proposent-ils ? » Pour lui, celle-ci va de pair avec la normalisation des relations régionales, et constitue la seule réponse au repli nationaliste qui tente toujours la droite croate. Indiquant d’un haussement de sourcil la Hongrie sur la grande carte de l’Europe apposée derrière son bureau, il reconnaît volontiers que la situation « n’est pas bonne » dans beaucoup de pays de l’Union, mais reste persuadé que les « valeurs européennes », notamment celles que prône le Conseil de l’Europe, permettraient le développement de la « société civile » et une véritable démocratisation de la Croatie et de la région.
Le désaccord a peut-être une dimension générationnelle. A quelques exceptions près, comme M. Nikola Viskovic, professeur honoraire de la faculté de droit de Zagreb et grand contempteur de l’« impérialisme » et du « militarisme » de l’Union (1), la plupart des critiques de gauche émanent d’intellectuels âgés tout au plus d’une trentaine d’années, comme M. Kapovic. Cette génération n’est pas ex-, mais postyougoslave : elle n’a pratiquement pas connu l’ancienne Fédération socialiste et, si elle idéalise parfois cet Etat disparu, elle admet comme un cadre normal celui des républiques héritières. N’ayant pas été mobilisée dans les guerres des années 1990, elle est aussi postnationaliste. A ce titre, l’argument de l’intégration européenne comme moyen de dépasser les conflits entre pays des Balkans
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