Journal d'une syrienne
Mémoire : Journal d'une syrienne. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar greenpye • 22 Janvier 2017 • Mémoire • 8 683 Mots (35 Pages) • 750 Vues
Deraa, 10 mai 2014
Cher journal,
J’ai l’impression que le monde a atteint le niveau d’absurdité maximal, et c’est vraiment peu dire…
J’ai aussi l’impression que la folie s’est emparée de ce dernier.
Je veux me confier à toi car maintenant, je suis seule, tu es mon seul ami, sorte de psychologue, en papier certes, mais si tu préserves ma santé mentale, je te promets de me plaindre de manière assez modérée ! J’espère aussi qu’un jour quelqu’un tombera sur toi, histoire de savoir…
Ma famille, mes amis, sont tous partis d’ici ou bien sont morts… il ne reste que les ruines d’un pays appelé autrefois Syrie.
La Syrie ! Pays qui a tant apporté à l’humanité, dont les meurtriers d’aujourd’hui veulent effacer toute trace, histoire de ne rien laisser aux générations futures…
Nous y trouvons ceux qui profitent de la situation pour gagner du terrain comme les Kurdes qui cherchent avant tout à conquérir un sol sur lequel ils pourraient bâtir leur rêve historique : un Etat kurde.
Il ya ensuite les forces du régime, machine de destruction massive, lourdement armées, n’hésitant pas une seconde à utiliser tous les moyens pour tuer, sans distinction entre civils et militaires, entre femmes et enfants et entre vieillards et adultes. Tous les moyens sont bons : bombardements aériens, barils explosifs, armes chimiques, snipers… Aucune limite à leur folie meurtrière.
Enfin, ceux que l’on appelle communément « la rébellion syrienne », alors là, c’est à ne rien comprendre. Cette rébellion que nous avons accueillie à bras ouverts ! Que nous croyons nous défendre, nous, nos enfants, nos maisons… Cette rébellion à laquelle nous avons tant donnée ! Les vies de nos jeunes qui se sont engagés corps et âmes en son sein ! Croyant dur comme fer à un futur sur la voie de la liberté, de la dignité et de la justice ! Cette même rébellion, mon cher ami, s’est mise à enfanter des monstres, des assassins, qui n’ont en eux aucune trace de l’humanité ! Une sorte de machine programmée pour massacrer, pour commettre les plus horribles des atrocités au nom de je ne sais quelles valeurs religieuses ! Etat islamique, Jabhate Annossra, Ahrar Echcham, et j’en passe, ne sont que les modèles de ce que la rébellion syrienne a réussi à créer, des groupes terroristes qui ont commis et continuent de commettre à l’heure où je t’écris, les plus macabres, les plus terrifiants et les plus barbares des massacres…
Dans ce chaos, dans cet enfer, une seule lueur d’espoir, ma petite fille.
Elle est la seule qui me permet de croire que je peux, que je dois imaginer un avenir…Mon unique raison de tenir a la vie.
Cela me fait de la peine qu’elle endure tout ça, a son âge, devrait rire en éclats, apprendre, s’amuser… Halla est tout ce qui me reste de mon défunt mari…
Depuis ce jour, décembre 2013, gravé à jamais dans ma mémoire, quand en une fraction de seconde, le drame m’a frappée de plein fouet… Oui depuis ce jour, plus qu’une seule idée en tête, fuir ce pays sans avenir et partir loin. La où les cadavres ne joncheront pas les rues, et la où l’ont ne vivra pas entre les décombres.
Je ne me voilerais plus la face… il faut que je trouve le courage, la force pour franchir le pas, il en va de nos vies…de l’avenir de ma fille ! Je suis fatiguée…mon instinct maternel s’indigne chaque nuit, il me rappelle constamment que chaque jour de plus passé dans cet enfer, est un jour ou je risque de perdre Halla aussi.
Draa, le 15 mai 2014
Cher journal,
Ma décision est enfin prise. Je vais quitter mon pays, ma maison, mon quartier... Je me dois de commencer une nouvelle vie, débuter un nouveau périple de réfugiée, deux de plus qui s’ajouteront a la longue liste, et qui figureront dans leurs statistiques… Ils disent que nous sommes plus de 4 millions a errer d’une région à une autre, d’un pays à un autre, pour échapper à la mort et au massacre… Mais dans leur compte, ils oublient souvent, ou font semblant d’oublier les autres, ceux-là même qui fuient de ville en ville, de village en village, à l’intérieur de cet enfer qu’est la Syrie. Il y en a qui disent que nous sommes 7,5 millions, d’autres qui estiment qu’on est plus.
Mon exil je vais l’entreprendre pour Hala, mon cher enfant, je suis prête à tout pour lui donner un nouveau départ, un avenir, dans un pays où on ne fait pas la guerre, où on ne s’entretue pas.
Oui c’est difficile de m’extraire de cette terre, de cette maison, où j’ai connu des moments de bonheur intense avec Alae et Imad, fruits de mon union avec mon défunt mari… Je suis hantée par les images du passé depuis qu’ils sont partis, beaucoup de souvenirs remontent, je me souviens encore aujourd’hui du bonheur de Mustapha quand il a appris leur naissance… deux garçons magnifiques, pleins de vie et d’enthousiasme. Le pire, le plus insupportable, c’est quand j’y repense...
La perte des trois compagnons de ma vie en même temps, comme ca, en une minute… enterrés à jamais sous les décombres après que notre maison ait été la cible d’un obus du régime… J’ai entendu l’habituel son strident, le court silence, et le gros BOUM. Des jours se sont passés avant que je ne commence à saisir et assimiler les événements. Je n’ai même pas pu jeter un dernier regard sur mes biens aimés...Hala ne comprend toujours pas. Je me sens lâche de ne pas trouver la force de lui expliquer les choses comme elles sont…
Notre quartier, « Cheikh Meskin », qui abrite la moitié de la population de Draa, a subi les pires représailles de la part du régime. Croyant que des rebelles étaient cachés parmi nous, nous avons eu droit durant sept jours et nuits à une multitude de bombardements, au déversement de gaz toxiques, et à des explosions de barils à clous…Même pas moyen d’aller chercher un semblant de nourriture et d’eau. Cette semaine le régime n’a eu aucun répit, on dirait qu’il a mis le paquet double pour en finir avec nous le plus rapidement possible...J’ai hâte de quitter cet enfer !
Je n’ai pas oublié d’emporter quelques papiers et l’acte de résidence de notre maison. Qui sait de quoi demain sera fait ? Peut être qu’un jour nous pourront revenir pour un nouveau départ ?
J’attends toujours un signe du passeur qui va nous déposer à la frontière Jordanienne. Environ à une dizaine de kilomètres d’ici.
Il a beaucoup de demandes et il faut attendre longtemps, les gens ont peur de traverser seuls les zones de guerre, lui, il connait les chemins les plus sécurisés mais en plus de l’attente, ce n’est pas donné.
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