La Conversation Est Un Espace érotique
Mémoires Gratuits : La Conversation Est Un Espace érotique. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar berenalaska71 • 22 Février 2014 • 1 273 Mots (6 Pages) • 1 012 Vues
Le Point : Cet entretien relève-t-il de la conversation ?
Chantal Thomas : Oui, s'il y a une part d'imprévisible, des chemins de traverse auxquels ni vous ni moi n'avions pensé...
Pourquoi les hommes conversent-ils ?
Socrate a fondé sa philosophie sur le dialogue avec l'autre... La conversation est très importante pour le sentiment joyeux de soi, mais aussi pour la cohésion sociale. Il faut voir l'importance, en Espagne, au Maroc, en France pour ne citer qu'eux, de la place du village et du rituel, l'été, à la tombée de la chaleur, qui consiste à se retrouver pour parler ensemble. Une des grandes solitudes des villes est ce métro où la réunion et la contiguïté n'aboutissent pas à la parole, sauf cas très rares. C'est l'inverse de cette conversation qui s'aligne sur la course du soleil.
Dans votre dernier livre, "l'esprit" de conversation se promène sur trois siècles, et dans trois salons. Pourquoi ceux-là et pourquoi les saluer aujourd'hui ?
J'ai choisi trois femmes, comme trois explorations possibles de nous-mêmes en état de conversation, pour le plaisir toujours vibrant qu'il peut nous apporter. La marquise de Rambouillet tient au XVIIe un salon très raffiné, où le jeu de la sociabilité s'apparente à un spectacle pour soi. Sa chambre bleue est du côté de la féerie, du merveilleux, c'est un lieu absolument romanesque où l'on se donne les noms des personnages de romans de Mlle de Scudéry, et vice versa puisque celle-ci s'inspirait du salon pour inventer ses dialogues dans une sorte de circularité. Ce qui caractérise ce salon est une idée à laquelle je crois profondément : agir sur la manière dont on s'adresse à l'autre change les moeurs, à long terme. À l'époque des précieuses, cet enchantement du langage pour lui-même, tellement caricaturé, se pose à l'inverse de la brutalité et du passage à l'acte. Les relations se situent entre amour et amitié. Or ce registre de sentiment, qui n'est pas nettement répertorié, est essentiel dans le goût de sa propre existence et dans la manière dont se tisse un fil d'amitiés dans une toile subtile. Il est souvent invisible dans une biographie qui ne retient que les dates fortes. Pourtant, ce que l'on a échangé un jour avec quelqu'un peut être déterminant dans une vie. La conversation est aussi un plaisir clandestin.
Entre les salons de Mme du Deffand et de Mme de Staël, la conversation va prendre un tournant politique...
Le salon de Mme du Deffand est encore très orienté vers la vie littéraire, c'est une antichambre de l'Académie française, un lieu d'intrigues en partie. Il n'est pas ouvert sur le projet d'un changement de société, mais brille par son intelligence critique, son ton voltairien, ce sens génial du désespoir et de l'ironie. Mme de Staël, qui a fait son apprentissage dans le salon de sa propre mère, va trouver sa propre voix (ou voie), marquée par une conscience politique aiguë. Le choc du passage de la révolution à la Terreur, puis à la tyrannie de Napoléon, n'a cessé de la faire souffrir, et réfléchir. Mme de Staël est quelqu'un qui prend parti, comme dit d'elle Mme de Boigne : elle avait "une conversation un peu forte". Prête à tout pour défendre son opinion, elle trouvait aussi, pour que la prochaine séance ait lieu, le moyen que tout se raccommode. Elle se place ainsi entre le savoir de l'Ancien Régime et le risque de la brusquerie d'une nouvelle époque. Pour elle, couper la parole, une des grandes fautes pointées par l'art de la conversation, n'en est pas une. Dans De l'Allemagne, elle écrit ainsi : "Le plaisir d'interrompre, qui rend la discussion si animée en France et force à dire si vite ce qu'il importe de faire entendre, ce plaisir ne peut exister en Allemagne, car les commencements de phrase ne signifient rien sans la fin. (...) Cela vaut mieux pour le fond des choses, c'est aussi plus civil, mais moins piquant." Mme de Staël est une opiniâtre, elle montre aussi de la désinvolture, de la séduction, elle est celle dont le charme au présent s'est
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