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À la conquête du froid absolu

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Par   •  28 Août 2021  •  Discours  •  11 571 Mots (47 Pages)  •  650 Vues

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À LA CONQUÊTE DU FROID ABSOLU

On considère souvent la maîtrise de la chaleur comme le plus grand triomphe de notre civilisation. Pourtant la conquête du froid est une aventure tout aussi extraordinaire qui, après des débuts difficiles, nous a mené à la frontière de l'ultra froid.

Pendant des siècles, le froid est resté un mystère inexplicable. Nul ne savait ce que c'était et encore moins comment le domestiquer. Pourtant au cours des 100 dernières années, le froid a révolutionné notre façon de vivre et de travailler. Imaginez des maisons et des supermarchés sans réfrigérateur ni produits surgelés, des gratte-ciels sans climatisation ou des hôpitaux sans oxygène liquide.

La technologie du froid nous semble accessoire. C'est pourtant elle qui nous permit d'explorer aussi bien les limites de notre cosmos que les profondeurs de notre cerveau. Et les progrès dans le domaine de l'ultra-froid, qui ont notamment engendré les ordinateurs quantiques et les réseaux à grande vitesse, pourraient même modifier la façon dont nous pensons et interagissons.

Voici l'Histoire des scientifiques et des rêveurs qui au cours des quatre derniers siècles sont descendus de plus en plus bas dans l'échelle des températures pour conquérir le froid, enrichir nos vies et tenter d'atteindre la limite ultime aussi inaccessible que la vitesse limite de la lumière : le zéro absolu.

Le froid extrême a toujours occupé une place à part dans l'imaginaire collectif. Pendant des milliers d'années, il est apparu comme une force maléfique associé à la mort et à l'obscurité. C'était un phénomène inexpliqué. Était-ce une substance, un processus ou un état particulier de la matière ? Au XVIIème siècle, nul ne le savait. Mais à Londres, tout le monde pouvait ressentir ses effets lors des rudes hivers qui asseyait la capitale.

À l'époque, l’Angleterre traversait ce qu'on appelle la petite ère glaciaire et il faisait extrêmement froid. Il faut imaginer un monde où on s'éclairait grâce au feu et où les gens avaient froid quasiment tout le temps. Ils devaient ressentir le froid comme une présence, une sorte d'agent qui influait sur leur vie.

Et ça s'accordait bien avec l'idée dominante que les philosophes avaient hérité des Grecs et d'Aristote des centaines d'années plus tôt. L'idée selon laquelle il y avait deux éléments dans le monde : le chaud et le froid qui fonctionnaient symétriquement et pouvaient se combiner ou se séparer.

L'homme a alors l'impression d'être à la merci du froid, une force naturelle vu comme un acte divin et inspirant une admiration mêlée de crainte. Quiconque tente de manipuler le froid, le fait à ses risques et périls.

Le premier à essayer est un alchimiste : Cornelis Drebbel. En 1620, par une chaude journée d'été, il invite le roi d'Angleterre, Jacques 1er, et son entourage a assisté à un événement stupéfiant. Drebbel, qui est aussi le magicien de la cour, a parié avec le roi qu'il pourrait transformer l'été en hiver. Il va tenter de refroidir l'air dans la plus grande salle couverte du royaume : Westminster Hall. Il espère ainsi impressionner le souverain.

Il avait un esprit extraordinairement fertile. C'était un inventeur né. Son univers était celui de l'alchimie, des machines à mouvement perpétuel, du temps, de l'espace, des planètes, de la lune, du soleil, de Dieu aussi ; car il était très pieux. C'était quelqu'un pour qui la nature représentait tout un monde de possibilités.

Le chimiste, Andrew Szydlo, qui a toujours été fasciné par Drebbel, est ravi d'incarner le grand magicien de la cour. Comme beaucoup d'alchimistes, Drebbel gardait le secret sur ses méthodes mais Szydlo a une idée sur la façon dont il s'y est pris pour fabriquer du froid artificiel.

Pour arriver à la température la plus basse possible, Drebbel savait que la glace était le point le plus froid qu'on peut normalement atteindre. Et il savait, sans doute aussi, que mélanger la glace avec des sels permet d'abaisser encore la température. Les sels abaissent la température de fusion de la glace.

D’après Szydlo, Drebbel a dû utiliser du sel de table ordinaire qui provoque la baisse de température la plus importante. Mais du sel et de la glace n’auraient pu à eux seuls refroidir une salle aussi vaste que Westminster Hall. Drebbel aimait inventer des machines complexes et Andrew Szydlo pense savoir comment fonctionnait celle de l’alchimiste.

Il devait y avoir un ventilateur qu’on faisait tourner pour envoyer de l’air chaud sur les récipients froid qu’on voit ici. C’était en quelque sorte le premier système de climatisation de l’Histoire. Ce système peut-il vraiment transformé l’été en hiver ? L’idée était de mélanger tout ça le mieux possible en à peu près 5 secondes. Andrew Szydlo pose sur une étagère des bocaux remplis de mélange glacé pour créer les couloirs froids que l’air va traverser. On sent qu’il fait très froid. En fait, je sens de l’air froid tomber sur mes mains parce que l’air froid est plus dense que l’air chaud. Et on le sent très nettement sur les doigts. Lorsque l’air ambiant est passé à travers l’étagère de bocaux, sa température descend à environ 10 degrés.

Comment le roi a-t-il réagi à cette rencontre avec le froid artificiel ? Il a certainement été saisi, dérouté. Peut-être même s’est-il demandé s’il fallait y voir la main de Dieu ou l’action de forces démoniaques. Et il est sûrement parti à la hâte en frissonnant de froid. Si Drebbel avait consigné son expérience, il aurait pu rester dans l’Histoire comme l’inventeur de la climatisation. Mais, il faudra attendre près de trois siècles pour que cette idée prenne enfin son essor.

D’une façon générale la conquête du froid a intéressé des hommes préférant l’expérimentation aux actions d’éclat. L’un des premiers à appliquer la méthode scientifique est Robert Boyle. Boyle est obsédé par une question fondamentale : qu’est-ce que le froid ?

Fils du comte de Cork, un riche aristocrate, il met à profit sa fortune pour construire un grand laboratoire. Célèbre pour ses expériences sur la nature de l’air, Boyle devient aussi le premier maître du froid. Convaincu qu’il s’agit d’un sujet important mais négligé, il réalise des centaines d’expériences. Il a passé systématiquement en revue toute une série d’idées sur ce qu’est le froid. Provient-il de l’air ? Provient-il de l’absence de lumière ? S’explique-t-il par l’existence d’étranges particules dites frigorifiques qui le produisent ?

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