Les rapports des journalistes à la vérité
Commentaire de texte : Les rapports des journalistes à la vérité. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar magicien974 • 21 Mars 2012 • Commentaire de texte • 3 236 Mots (13 Pages) • 1 266 Vues
- document 1 : Jean-Claude Guillebaud, La démarche du journaliste (« Le Nouvel Observateur », 1989)
- document 2 : Jean Lacouture, Rien que la vérité ou toute la vérité ? (Courrier de l'UNESCO, septembre 1990)
- document 3 : Jean Dutourd, L'information est le contraire de ce qu'elle veut signifier (Le Fond et la Forme, 1958)
- document 4 : Alain Rémond, Théâtre de papier («Télérama», 1°' juin 1983)
- document 5 : Charte des devoirs professionnels des journalistes français (1918).
1 La démarche du journaliste
Les rapports qu'entretiennent les journalistes avec la vérité, le mensonge - et le tragique en général - ne sont pas simples ! Et l'on aurait tort d'imaginer que le journalisme tout entier puisse se ramener à je ne sais quel commerce courtois, modeste et « scientifique » entre une réalité inoffensive, tenue à distance, et son observateur impartial. Le couple est bien plus infernal, plus passionnel que cela ! Plus tragiquement pressé par le temps, aussi, que ne peut l'être le placide historien commerçant avec ses archives et recoupant ses sources dans la tiédeur de son bureau.
S'il doit vaincre le temps, le journaliste, terriblement solitaire au plus chaud de l'événement, doit également lutter contre la pression diffuse, amicale mais constante, de sa propre rédaction qui le somme de fournir une interprétation intelligible de l'histoire alors même que celle-ci n'est pas encore jouée. Tous les correspondants en poste à Moscou aujourd'hui confessent les difficultés qu'ils éprouvaient jusqu'à une date récente avec le « desk » de leur journal. A Paris, en effet, habitude bien française, on inclinait à vouloir interpréter idéologiquement - et hâtivement - l'œuvre de Mikhail Gorbatchev. (Est-il sincère ? A-t-il une chance de réussir ? La perestroïka n'est-elle pas une simple ruse ?) Les rédactions n'acceptaient donc pas sans résistance les dépêches beaucoup plus ouvertes et empiriques envoyées de Moscou, dépêches moins soucieuses d'interpréter que de décrire cet événement prodigieux : un dirigeant communiste chevauchant l'imprévisible cyclone qu'il avait lui-même fait naître. Cette pression idéologique des rédactions, de l'entourage, des lecteurs eux-mêmes que doit affronter le journaliste de terrain, était d'autant plus forte hier qu'on tenait le fait brut pour un résidu encombrant et, donc, le reporter pour un gêneur.
Pis que cela : le personnage du journaliste lui-même n'était pas flatté par la mémoire collective. L'aurait-on oublié ? Dans la littérature française, de Balzac à Nerval en passant par Maupassant, la presse traîne une image peu glorieuse : corrompue, gangrenée, mafieuse, peuplée de ratés...
Dans notre pays a perduré - jusqu'à une date très récente - une conception dévalorisante du journalisme. Conception dont témoignaient mille habitudes ou petits travers moins subalternes qu'on ne le croit. Un recrutement et une formation inorganisés, une docilité spontanée, une pratique paresseuse de l'information institutionnelle, un penchant irrésistible pour la glose et l'éditorial, une manière spontanément révérencieuse de quêter une respectabilité d'emprunt en s'amalgamant au milieu qu'on est chargé de couvrir (classe politique, institution culturelle, entreprises, etc.). Milieu dont on respectera bien sûr les codes, et surtout les silences. Pour résumer le tout, une façon étrange de pratiquer un métier, théoriquement fondé sur l'insolence, en ne dissimulant jamais sa hâte d'en sortir. Ah, le syndrome funeste du «journaliste-qui-devient-ministre » ou ambassadeur !
Sans vouloir simplifier outre mesure l'histoire, observons que tout a notablement changé voici une quinzaine d'années. Déconfiture des idéologies, fin de la « guerre civile froide », triomphe de l'audiovisuel : voilà que tout conspirait soudain à faire du journaliste, ce galeux d'hier, une manière de héros philosophique pour temps incertains.
C'est ce qu'il advint ces dernières années. On parut disposé, brusquement, à reconnaître la validité d'une démarche journalistique empirique et fureteuse assez comparable, sur le plan de la vérité, à celle des Médecins sans Frontières ou d'Amnesty International sur le plan de la solidarité. Puisque les idées devenaient floues, on pouvait s'intéresser plus naturellement aux faits qui, eux, n'ont que l'inconvénient d'exister. Mieux que cela : on idéalisa si abusivement le journaliste qu'il vit ainsi fondre sur lui un prestige bien lourd à assumer. La presse française redécouvrit en tout cas les vertus du journalisme d'investigation et s'habitua à ce que les reporters ne s'arrêtent plus forcément aux silences d'un ministre. (Au demeurant, l'affaire du Watergate1, lancée en 1974 par deux localiers du Washington Post, fournissait - à tort ou à raison - un modèle.) Les journalistes politiques - y compris à la télévision - renoncèrent parfois à la révérence au profit du devoir d'irrespect.
La question du mensonge, certes, ne fut pas réglée pour autant. Et si les journalistes français (on dit maintenant le « pouvoir médiatique »), paraissent vivre, intellectuellement, un âge d'or, le journalisme est toujours en quête d'un statut plus clair.
Jean-Claude Guillebaud, «Le Nouvel Observateur», 26 octobre-1er novembre 1989.
1 - affaire d'espionnage politique qui entraîna la démission du président Nixon en 1974.
2 Rien que la vérité ou toute la vérité ?
Le débat que le journaliste mène avec sa conscience est âpre, et multiple, d'autant plus que son métier est plus flou, et doté de moins de règles, et pourvu d'une déontologie plus flottante que beaucoup d'autres... [...]
En apparence, l'objectif est clair, autant que le serment d'Hippocrate : dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, comme le témoin devant le tribunal. Mais à ce témoin, le président du jury ne demande que la vérité qui lui a été humainement perceptible, celle qu'il a pu appréhender en un certain lieu, à une certaine heure,
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