Projet de recherche post doctorale
Étude de cas : Projet de recherche post doctorale. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar magdalenabrand • 14 Avril 2021 • Étude de cas • 2 763 Mots (12 Pages) • 506 Vues
Les violences au travail dans nos intimités
« Eveillée comme endormie, elle voulait être libre, mais elle redoutait que le prix à payer pour la liberté fût l’ostracisme et la mort »
LeVine, Sarah, 1979 (cité dans Nicole-Claude Mathieu, 1985)
Mon projet de recherche post-doctorale porte sur les liens entre le travail rémunéré et l’intimité à partir de la question de la violence. Qu’est ce que le travail rémunéré prend de nos intimités ? Qu’est ce qu’il n’arrive pas à prendre ? Dans une perspective marxiste, mon programme pense le travail productif comme un processus de captation de la force du travail vivant, mais aussi de formes non-capitalistes de production (Luxembourg, 1913). Dans une perspective féministe, mon projet de recherche pose la centralité du travail reproductif dans les processus de captation de la valeur et de valorisation (Leopoldina, 1996 ; Federici, 2014). Dans une perspective intersectionnelle, ce projet de recherche situe l’analyse des violences dans le travail à la croisée des rapports sociaux de classe, de race, de sexe et de sexualité qui se vivent simultanément (Combahee River Collective, 1979).
Ce projet situe la question des violences au travail dans l’enjeu théorique du rapport entre subordination et autonomie. Il fait le choix de saisir cet enjeu à partir de la marge des théorisations sur le travail salarié : le travail sexuel, le travail gratuit et le travail forcé. Dans la perspective des études subalternes, la recherche prend comme point de départ la porosité des frontières entre statuts, conditions de travail et relations contractuelles pour déconstruire les catégories forgées dans et pour les sociétés occidentales (Chakrabarty, 2000). Ces trois formes de travail à la marge des théories sur le salariat obligent à penser les articulations entre le travail, au sens de la dépendance des relations sociales à l’outil de production, et l’intimité, au sens de la propriété de soi, de ses propriétés corporelles, de ses gestes, du soin de soi et des autres (Laé et Proth, 2002). Le but de ces ancrages est d’identifier les continuités et les ruptures dans les processus d’extraction et de marchandisation des intimités (Berrebi-Hoffmann, 2009) et dans les mouvements de résistances qui maintiennent des zones d’activités autonomes pour la reproduction de la vie (hooks, 1990), des espaces semi-autonomes (Scott, 2009).
Axe 1. penser la violence dans le travail depuis la perspective coloniale du travail sexuel :
mami-wata dans les rêves de serveuses et de prostituées à bangui
Le premier axe de mon projet consiste à poursuivre les questionnements issus de mon travail de thèse sur les échanges économico-sexuels entre des femmes centrafricaines et des expatriés français à Bangui (RCA). Ma thèse a montré qu’il est intéressant d’observer une communauté de travailleurs à partir d’un impensé des espaces de consommation : les services sexuels.
Une des figures importantes de ma recherche de doctorat rencontrée pendant l’enquête fut Mami-Wata, esprit colonial de la marchandise. Mami-Wata apparaît dans les rêves et coupe les femmes de leur entourage pour les posséder et les amener vers des destinations inconnues. Apparue en Afrique centrale à l’époque coloniale, elle est l’esprit du sexe monnayé et de la mobilité forcée (Tonda, 2005). Sa présence répétée m’a montré que la ville coloniale de Bangui, puis les espaces expatriés, se sont construits sur l’accaparement violent du travail domestique et sexuel des femmes, que ce soit dans le cadre de relations de concubinage ou de la prostitution. La subjectivité d’accaparement exprimée par Mami-Wata m’a amené à voir l’espace public de la ville de Bangui comme un immense camp de travail domestique et sexuel. La perspective de Mami-Wata permet de faire vaciller les frontières du foyer, en montrant que le foyer expatrié dépend et façonne des espaces de travail domestique et sexuel dans l’espace public.
Il s’agira de développer cette perspective de Mami-Wata pour regarder le pouvoir néo-colonial depuis sa captation de l’imaginaire et des subjectivités. Le programme épistémologique et méthodologique du négo-féminisme d’Obioma Nnaemeka (2004) sera essentiel pour interroger les apparitions de Mami-Wata comme une négociation avec le pouvoir. Existe-t’il une forme de subjectivité et d’imaginaire en dehors du travail accaparé et prescrit par les pouvoirs en place ? Comment les rêves qui confrontent les femmes à Mami-Wata participent-ils à fabriquer une conscience de classe ?
Axe 2. penser la violence dans le travail au prisme du travail gratuit :
observer le continuum des violences dans le secteur périscolaire en banlieue parisienne
Le deuxième axe de recherche aura pour objet d’observer le continuum des violences dans les activités périscolaires rémunérées pour interroger les violences structurelles de la féminisation du travail salarié. Cet axe de recherche vise à observer les violences dans le travail au prisme du travail gratuit (Simonet, 2018). Comment la dimension émotionnelle et relationnelle du travail éducatif (Hochschild, 1979) produit une aliénation des subjectivités et une mise au travail gratuit des stéréotypes de genre et de race ? Comment les travailleuses négocient des langages semi-autonomes de la respectabilité à travers ces mises en scène du genre et de la race (Skeggs, 1997) ?
Suite à une pré-enquête dans deux villes de la région parisienne, l’observation de l’organisation du travail éducatif périscolaire à l’échelle d’une municipalité m’est apparue essentielle pour analyser la face invisibilisée des violences du capitalisme cognitif. Une production localisée et mal rémunérée (Sassen, 2006) qui est assurée par des personnes blanches et racisées des classes populaires de nationalité française, et majoritairement femmes, et par des femmes racisées migrantes des Suds (Parrenas, 2015). L’échelle municipale permet d’interroger le rôle de l’Etat intégral (Gramsci, 1948) dans l’organisation de la précarité des contrats de travail (contractuel, vacataire, bénévole) et les phénomènes d’intermittence des relations de travail (Corsani, 2001) : entre le secteur public et le secteur privé (via les agences intermédiaires privées de placement), entre le travail salarié et le travail indépendant et/ou informel (via les plateformes du type ‘allô voisins’ et les relations communautaires).
L’enquête inscrira le harcèlement moral, le harcèlement sexuel et les accidents du travail dans la continuité de l’aliénation des corps et des émotions, de la mise au travail et de l’appropriation du travail reproductif (Brown, 1992). L’enquête sur les violences inter-individuelles interrogera la relation entre les violences physiques, morales et sexuelles, la perte d’autonomie des subjectivités (Lieber, 2008), la baisse de l’autonomie de la pensée (Hirigoyen, 2003) et le sabotage de l’autonomie relationnelle (Stoljar et Mackenzie, 2000). L’enquête devra effectivement aussi prendre en compte le rôle du secteur périscolaire dans la régulation sociale des intimités, voir, dans certaines histoires locales, une fonction d’accaparement des relations communautaires.
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