Le Don Selon Mauss
Cours : Le Don Selon Mauss. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Wanda5 • 19 Avril 2013 • Cours • 3 524 Mots (15 Pages) • 985 Vues
Le Don selon Mauss
L’Origine
La réflexion sur le don existe depuis toujours et de partout. Mais, sa « cristallisation » dans les sciences sociales se fait à partir de 1925 quand Mauss fait paraître un texte intitulé : « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques ».
Mauss naît en 1872 dans la ville d’Epinal. Neveu d’Émile Durkheim, il travaille auprès de celui-ci à la fondation et au développement de la sociologie. Une discipline à visée scientifique et qui à cette époque en France n’est pas encore fortement suivi dans le milieu universitaire. Mauss vient de participer (1923) à la création de l’Institut d’ethnologie. Son « essai » ne s’apparente que de très loin à l’exercice ordinaire de l’essayiste, qu’il soit philosophe, journaliste, dirigeant politique, ou écrivain : savant lecteur des travaux ethnologiques de son temps, Mauss travaille selon les principes d’une méthode et d’un concept théorique propre à l’École sociologique française d’inspiration durkheimienne, sans être lui-même ce chercheur qu’on dit aujourd’hui « de terrain », signifiant par là qu’il conduit en personne ses enquêtes dans les sociétés qu’il souhaite étudier.
Mauss, ne nie pas qu’un don, ou dit-il encore, « une donation », implique le plus souvent une volonté, ou une liberté, ou une gratuité, il met en lumière, en bonne filiation durkheimienne, le caractère obligatoire de tout don, lui attribuant ainsi le statut d’un fait social – de « toute manière d’agir obligatoire, soustraite à l’arbitraire individuel ». La découverte tient en fait à l’objectivation de trois obligations liées, dont le « complexus » constitue l’échange : donner ne peut être sans qu’il y ait réception, au sens d’acceptation, et recevoir oblige de même à rendre. Tout relève ici encore du constat ethnographique dument effectué dans les sociétés polynésiennes, à Samoa, chez les Maori, en Nouvelle-Zélande, en particulier. « La prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation d’en recevoir, de l’autre ».
L’obligation se manifeste, avec éclats, lorsqu’on s’y dérobe : le refus de donner, ou de recevoir ou de rendre, mène sinon toujours aux conflits, du moins à la rupture des liens entre donateur et donataire. Le refus vaut lui-même rupture, mais il révèle l’étendue sociale de la fonctionnalité de l’échange-don en ce qu’il étend la rupture à l’ensemble des relations impliquant donateur et donataire.
L’échange archaïque apparaît ainsi comme un maillon névralgique de la vie sociale : s’y soustraire conduit à l’interruption de celle-ci, dans des proportions variables selon qu’il s’agit de la vie entendue comme interaction et interrelation entre deux individus, ou entre groupes ou sociétés, mais toujours cependant avec ce caractère extensif qui pousse la déliaison au-delà même des termes du seul échange interrompu. Au demeurant Mauss suggère plus qu’il ne prononce, mais lui porterait sans doute préjudice à toute lecture si on lui prescrivait de ne pas tirer de ce qui est écrit ce que cela lui inspire : la vie quotidienne, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou, sinon comme hier, regorge de telles situations d’échange, non marchandes là aussi, interrompu et gros de conséquences, souvent inattendues mais parfois sciemment provoquées. L’obligation de saluer son voisin ou son voisinage, et de se voir rendre son salut, relève – exemple simple mais universel – de ce code de politesse, mais aussi d‘honneur. Mauss dit plutôt « contrat », tout comme quand une famille se fache, et mille autres conflits banals.
Tout s’échange : « Tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition » écrit l’auteur à propos de toutes ces institutions – ces règles sociales qui font obligation d’échanger. Deuxième totalité convoquée : le tout de deux sociétés en situation d’échange, tant dans leur co-présence intertribale effective que, dans toutes leurs segmentations claniques confrontées et le rassemblement de toutes les familles et de tous leurs individus. Troisième totalité concomitante : celles de toutes leurs activités dont la combinaison constitue le tout de la pratique de chaque société impliquée. « Ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des moments et où la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent ». Ces faits sociaux d’échange, Mauss propose alors de les nommer totaux : « Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques […] Ce sont des "touts", des systèmes sociaux entiers ».
On comprendrait mal ces fonctionnements totaux et totalisants si Mauss ne nous conviait à porter attention « à la manière dont les sous-groupes de ces sociétés segmentées, de type archaïque, sont constamment imbriqués les uns dans les autres, et sentent qu’ils se doivent tout ». Solidarité ressentie et sentiment collectif puissant de la nécessité d’une réciprocité totale, forment le socle et la matrice de la dynamique de l’échange. Ce sentiment du tout se devoir implique l’existence d’un symbolisme qui se manifeste dans tous les moments et tous les aspects de l’échange archaïque, dans ses formes les plus objectives (incarnation des groupes, rituels cérémoniels) jusqu’aux pensées les plus secrètes qui accompagnent les actes obligatoires. La première forme de représentation de ces totalités solidaires existe dans la matérialité même du corps des chefs – de tribu, de clan, de famille. Un corps symbolique par lequel transite tout l’échange : « Ce ne sont pas les individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face à face sur le terrain même, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit des deux façons à la fois. » Et ce corps autant réel par sa matérialité présente que par son symbolisme de représentant, le premier ne devant même la réalité de sa présence qu’à l’efficacité
...