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L'indélicat connaissement nominatif

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Par   •  20 Avril 2012  •  3 514 Mots (15 Pages)  •  1 588 Vues

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La nouvelle jurisprudence anglaise sur la nature des documents de transport déclenchant l'application des Règles de La Haye – Visby, le cas du Rafaela S

ou

l'indélicat connaissement nominatif

par

Yves TASSEL

Professeur à l'Université de Nantes

1 - L'essentiel de la vie se trouve peut-être dans les rencontres qu'elle procure. En tout cas, j'ai eu le bonheur de « fréquenter » Antoine Vialard, collègue d'une rare qualité. Le colloque que, à l'occasion de son départ en retraite, l'Université de Bordeaux a organisé pour lui rendre hommage a permis de rappeler le rôle important qu'il a joué dans l'administration de celle-ci et dans la création de l'antenne universitaire d'Agen qu'il a profondément marquée de son attachante personnalité. La présence des étudiants attestait de la qualité des relations qu'il a entretenues avec eux. Pour ma part, je me souviens plus particulièrement des soutenances de thèse de droit maritime à Nantes pour lesquelles sa disponibilité fut totale en dépit du surcroît de travail qu'elles lui imposaient. C'est dans ces occasions que le chercheur qu'il est exprimait ses certitudes et ses doutes. L'une des dernières soutenances a précisément eu pour objet une réflexion menée sur le connaissement, ce titre si particulier du transport de marchandises par mer. C'est donc avec un extrême plaisir que je lui dédie ces brèves réflexions suggérées par l'arrêt rendu le16 février 2005 par la Chambre des Lords dans l'affaire du navire Rafaela S et dont l'essentiel portait sur le connaissement à personne dénommée, titre « indélicat » si l'on insiste sur les difficultés auxquelles il a donné naissance. Pour bien comprendre les termes du débat, il faut partir d'une idée qui, pour nous, est essentielle, celle selon laquelle le connaissement nominatif (c'est l'autre appellation qu'on lui donne) est à la rencontre de deux types de contrat, de deux types de vente, de deux types de transport de marchandises et de deux rédactions d'une seule Convention internationale, outre le fait qu'il est de plus en plus souvent en butte à un autre document, la lettre de transport maritime, que, pour cette raison, nous qualifierons de « fausse sœur ».

2 - Il est acquis de façon définitive, et spécialement en droit anglais , que, dans le cadre d'une vente maritime de marchandises, le vendeur doit fournir à l'acheteur un document qui lui permette de se voir remettre la marchandise et d'agir en justice contre le transporteur maritime. Ce document est traditionnellement le connaissement. Une première conclusion s'impose : qu'on le veuille ou non, le connaissement est à la rencontre de deux contrats, le contrat de vente et le contrat de transport de marchandises par mer.

3 - Mais il existe deux sortes de ventes maritimes, la vente en filière et la vente à un seul. Par voie de conséquence, deux sortes de connaissement coexistent : le connaissement négociable et le connaissement non négociable. Le connaissement à ordre et le connaissement au porteur sont négociables et, pour cette raison, sont soumis à la règle de présentation selon laquelle la remise de la marchandise transportée ne peut être accomplie que sous condition de la présentation du connaissement. Les Anglais disent de façon imagée qu'il est la clé qui ouvre les cales du navire ou les entrepôts portuaires. Au contraire, le connaissement nominatif ou à personne dénommée n'est pas négociable. Cette nature différente oblige à se poser la question de savoir ce que devient la règle de présentation à son propos.

4 - Cependant par ailleurs, il existe deux types de marchandises. S'il s'agit d'une cargaison en vrac, alors le « transport » se fait selon les termes d'un contrat d'affrètement au voyage, c'est-à-dire sous charte-partie. S'il s'agit d'une unité de charge ou d'un colis , alors le transport se fait sous connaissement. Dès lors deux autres types différents de connaissement se rencontrent dans la pratique du commerce maritime, le connaissement de charte-partie et le connaissement de transport. Pour notre part, nous pensons qu'il serait utile de bien marquer la distinction en employant systématiquement l'expression précédente et en ne parlant plus seulement de connaissement sans préciser son type.

5 - Or le connaissement donne lieu à l'application d'une convention internationale, la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 , également appelée Règles de La Haye. Il n'a peut-être pas été suffisamment observé qu'il en existe deux rédactions, la rédaction française et la rédaction anglaise. En effet, l'article I(b) qui définit le contrat de transport contient deux alinéas dont le premier se lit de façon différente, si l'alinéa second, qui édicte l'existence d'une mutation juridique lorsque le connaissement de charte-partie a été transféré à un tiers porteur, est identique : « Contrat de transport s'applique au contrat constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport » et « Contract of carriage applies to contracts of carriage covered by a bill of lading or any similar document of title ».

6 – Et enfin pour finir, il n'est pas inutile de constater que le connaissement nominatif possède une « fausse sœur ». Car si le transport maritime n'est pas lié à une vente en filière, alors il n'est aucunement besoin de connaissement négociable. En tout cas, aujourd'hui, de nombreux contrats de transport donnent lieu à l'émission d'une lettre de voiture maritime. Précisément le connaissement nominatif possède l'appellation de connaissement, ce qui n'est pas le cas de la lettre de voiture maritime mais, comme elle, il n'est pas négociable. On peut donc se demander dans quelle mesure le connaissement nominatif et la lettre de transport maritime sont deux titres semblables ou différents.

7 - Toujours est-il que le connaissement nominatif invite à poser quatre questions dont l'importance est loin d'être négligeable : déclenche-t-il l'application des Règles de La Haye ? cette question a été tranchée par l'arrêt Rafaela S ; doit-il être présenté pour obtenir la remise de la marchandise ? cette deuxième question a également été résolue ; opère-t-il la mutation juridique édictée

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