Les Naufragés
Analyse sectorielle : Les Naufragés. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 19 Novembre 2013 • Analyse sectorielle • 1 906 Mots (8 Pages) • 620 Vues
Durant cette unité de formation, il a souvent été mentionné que la valeur travail était la plus représentative de l’insertion. Or, ce qui se trouve être commun à tous ces clochards dont nous parle P. Declerck, outre leur évidente désocialisation, est le fait qu’aucun d’entre eux ne travaille à proprement parler (dans le sens du statut du salarié, avec ses droits…). Nous parlerons ici de ceux que l’auteur nomme les naufragés, ou encore les clochards ; il ne s’agit pas des exclus en général, ceux, comme on en rencontre de plus en plus, qui se retrouvent dans une situation difficile et passagère, directement liée à une crise sociale ; mais bien de la part de la population la plus démunie et précarisée dans tous les sens du terme, celle qui renvoie à la population « l’envers ricanant de la normalité de l’ordre social » (p.347).
Alliant le roman au scientifique, Patrick Declerck, ethnologue et psychanalyste, propose, à partir de portraits et des témoignages de clochards, une réflexion sur le processus de désocialisation
Dans la première partie de l’ouvrage P. Declerck retrace les parcours de vie des clochards parisiens, leur histoire, leur mode de vie, leur situation. L’auteur, ethnologue et psychanalyste formé à l’ethnopsychiatrie, a travaillé dans différents Centres d’Accueil et de Soins avec des personnes à la rue, en grande précarité.
Il ne se borne pas à nous livrer un retour distancié de ses fiches d'analyste de clodos. Il a aussi pris le risque d'aller se mêler à cette cohorte délirante et fracassée. Le milieu a-t-il présenté quelques difficultés d'approche ? Nullement. "Un vieux pull, quelques mots échangés assis sur un banc du métro, et c'était chose faite. Accepté. Vieux de la vieille. Copain comme cochon. Parfaitement indifférencié. Et pourquoi pas ? Ce monde est celui du néant et le néant n'a pas de porte ." A plusieurs reprises, il a entrepris de se "faire ramasser incognito avec les clochards par la police et emmener à Nanterre pour y passer la nuit. C'est là le seul moyen de savoir ce qui s'y passe vraiment".
Puanteur, tentative de viol, violences, saleté indescriptible... Le style de l’écrit renforce l'horreur. Point important : le parti pris narratif n'objective jamais le monde de la cloche. L'auteur dit "je" parce qu'il serait ridicule de prétendre avoir touché aux limites du social et de la raison en feignant de n'avoir jamais été atteint. Une technique qui n'est pas sans effets sur le lecteur. Le "je" suscite l'identification et l'innocent lecteur se retrouve faire sienne la violence que Patrick Declerck réprime, lui, à grand-peine, face à un « clodo » venu raconter froidement le meurtre d'un enfant resté impuni. Idem pour la bouffée de haine de l'auteur face à cette femme crasseuse tombée enceinte pour toucher les "allocs" qui la mettront, croit-elle, à l'abri du besoin. Par apparente honnêteté à son égard, Patrick Declerck pousse la précision jusqu'à nous livrer, ici et là, des bribes de sa propre existence. Qu'il s'agisse de la misère qui a caractérisé sa vie d’étudiant à Paris, ou du souvenir de son oncle, mercenaire au Katanga, l'auteur fait état de ses premières expériences des états limites.
C’est donc avec beaucoup d’authenticité qu’il nous retranscrit ses observations cliniques et ses relations avec cette population. Son récit nous offre une vision claire et réaliste de la condition de ces êtres humains qui n’en ont plus vraiment l’apparence, déchirés par leur histoire et leur parcours.
Mais ces chemins de misère, crevassés par les ulcères et la drogue, ne seraient pas complets si, ça et là, l'auteur n'avait aussi entrepris de singulariser, parfois très longuement, certains de ces fantômes de la rue.
Marc P. dont la mère a tué le père sous ses yeux., Monsieur Abel et ses mutilations en série, ou le pathétique Raymond, mort d'avoir été "réinséré" hors les murs de l'institution. Autant de portraits cliniques qui nous déroutent.
Ces changements de registre narratif ont une fonction quasi humaniste : éviter de fondre les individus dans un troupeau indifférencié.
Même si, par suite d'enfances fracassées et sans amour, les SDF ont en commun d'être fous, délirants, psychotiques, alcooliques, cette frange n'en demeure pas moins composée de personnes.
La deuxième partie, intitulée "Cartes", analyse les échecs de toutes les tentatives de prise en charge institutionnelle, montre tout ce que la psychanalyse - solidement étayée par la culture politique et philosophique de l'auteur - peut apporter à l'investigation du champ social. Qu'il s'agisse du concept d'exclusion, de la relation soignant-soigné, de l'idéologie de la réinsertion sociale, de la fonction asilaire, du RMI... chacune de ces notions fait l'objet d'un examen critique et d'une remise en perspective. Les états limites comme la grande clochardisation ont un avantage théorique certain : ils fournissent un formidable point d'ancrage pour déployer une réflexion sur la quasi-totalité du champ de l'aide sociale. L'un des développements les plus intéressants est ce rapport entre la désocialisation et l’exclusion : "J'entends par désocialisation un ensemble de comportements et de mécanismes psychiques par lesquels le sujet se détourne du réel et de ses vicissitudes pour chercher une satisfaction ou - à minima - un apaisement dans un aménagement du pire. La désocialisation constitue, en ce sens, le versant psychopathologique de l'exclusion sociale." La modernité du livre de Patrick Declerck vient aussi de là : nous faire comprendre que l'être social est irréductiblement un être psychique.
On peut d’emblée être tenté de chercher une réponse aux questions suivantes : « comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on se sortir de là ? ».
On s’aperçoit rapidement, au travers des récits de vies aussi glauques les unes que les autres, où se mêlent fantasmes
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