La Politique Dans Les Sociétés Sans Etat
Commentaires Composés : La Politique Dans Les Sociétés Sans Etat. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar bobrujsk • 28 Décembre 2012 • 1 915 Mots (8 Pages) • 1 021 Vues
Le Robert Illustré définit la politique comme la “manière de gouverner un État ou de mener les relations avec les autres États”. Selon ce même ouvrage, l'adjectif homonyme se rapporte à “l'organisation, à l'exercice du pouvoir dans une société organisée”. A la lumière des travaux entamés au siècle dernier par les précurseurs de l'anthropologie politique, on peut se demander si ces définitions ne reflètent pas une conception parcellaire de la notion même de politique. Que dire des sociétés sans États ? La notion de politique y serait-elle pour autant absente ?
Nous nous attacherons tout d'abord à retracer l'évolution de l'anthropologie politique en tant que discipline, et mettrons l'accent sur l'importance des travaux de l'anthropologie sociale britannique dans ce domaine. Ce sera l'occasion de définir le concept de société segmentaire, par opposition aux sociétés avec État. Au moyen de l'étude de cas tirés des exemples des sociétés Nuer, Piaroa et Atégé, nous verrons que le politique est toujours présent dans une société, mais qu'il peut l'être en terme de valeurs, et pas forcément au travers d'un système étatique tel que nous le concevons.
A ses débuts, l'approche anthropologique de la politique fut fortement marquée par le courant évolutionniste de la discipline. L'idée dominante d'alors résidait dans une opposition société avec État, société sans État. Attachés à découvrir les étapes qui selon eux faisaient évoluer une société vers un fonctionnement idéal, les anthropologues évolutionnistes ne voyaient dans l'organisation des sociétés dites primitives qu'une forme d'archaïsme. Ainsi, selon l'Américain Lewis Morgan (1818-1881), toute société passerait par différents stades qui la mènerait de la sauvagerie à la civilisation, en passant par la barbarie.
« Il examine chez les Indiens Iroquois d'Amérique du Nord des formes de gouvernement tribal sans État nettement constitué, mais pense, comme tous les évolutionnistes de l'époque, qu'il y aurait des stades de passage successifs et obligatoires de l'état de horde sauvage puis de communisme primitif au matriarcat, et, enfin au matriarcat, dans lequel naît l’État civilisé » (RIVIERE, Claude, 1999. Introduction à l'anthropologie, Paris, Hachette, p. 96).
Ainsi, selon la théorie évolutionniste, il y aurait un stade sans politique. D'après Morgan, qui reprend lui-même l'idée de l'anthropologue et juriste britannique Henry Maine (1822-1888), le politique n'apparaîtrait qu'au moment où la prééminence des liens de parenté s'effacerait au profit d'une organisation territoriale de la société, faisant passer celle-ci d'une societas (les relations personnelles régissent la communauté) à une civitas (la société est régie par le politique). C'est à ce stade que naîtraient l'autorité et la hiérarchie, leur présence étant nécessaire pour assurer la régulation des rapports entre individus ou groupes d'individus, alors qu'auparavant s'effectuait une sorte « d'autorégulation » mue par les coutumes et la morale. Comme l'indique Marc Abélès dans son œuvre Itinéraires en anthropologie politique, « absorbé à un pôle par la prégnance des liens gentilice, le politique se trouvait recouvert à l'autre pôle par un concept purement empirique de l'Etat ».
Cette vision dichotomique des modes de fonctionnement d'une société fut d'abord reprise par l'anthropologie marxiste (Engels entre autres) qui voyait dans ces sociétés « primitives » un idéal de société communiste auto régulée et égalitaire, s'opposant à la notion d'État forcément capitaliste et exploitant les plus faibles.
C'est le courant fonctionnaliste de l'anthropologie, initié en Grande Bretagne avec Bronislaw Malinowski et Radcliffe-Brown, qui va donner naissance à une véritable anthropologie politique à part entière, sous l'impulsion d'Edward Evans-Pritchard (1902-1973) et de l'école structuro-fonctionnaliste.
« Dans le courant fonctionnaliste qui se développe en Grande Bretagne, l'anthropologie politique va se définir comme telle et trouver son champ d'élection en Afrique, grâce à des chercheurs de terrain ayant éventuellement un poste administratif dans un territoire colonial. Tandis que la France jacobine impose un système d'administration directe et demeure relativement indifférente avant 1920 aux institutions traditionnelles de ses sujets d'outre-mer, le système anglais de l'indirect rule (gouvernement indirect) favorise une connaissance précise des pouvoirs ethniques déjà en place qui doivent servir d'intermédiaire en économisant des expatriés. Dès lors, et pour ces besoins administratifs, sonne l'heure de l'anthropologie comme discipline autonome » (RIVIERE, Claude, 2000. Anthropologie politique, Paris, Colin).
L’Empire britannique fit donc le choix de s'appuyer sur les structures de société déjà existantes pour mieux asseoir sa domination, et les anthropologues furent utilisés aux fins de mieux connaître celles-ci, comme des agents de renseignement agissant en milieu ouvert. Evans-Pritchard et Fortes produisirent en 1940 la première œuvre de référence de l'anthropologie politique, Systèmes politiques africains, dans laquelle sont étudiées en profondeur huit ethnies en différents endroits d'Afrique, dont celle des Nuers, dans l'actuel Sud-Soudan.
Evans Pritchard conceptualisa alors les principes de société segmentaire et d'opposition complémentaire, qualifiés également « anarchie ordonnée ». Selon Marc Abélès (Itinéraires en anthropologie politique), ces sociétés incluent des « groupes dont la régulation n'est pas assurée par une organisation administrative, juridique ou militaire, mais par l'ensemble des relations entre des segments définis en terme de localité et de lignage ». Dans les sociétés segmentaires, point d’État, mais le politique n'est pas absent pour autant. Il se situe dans les structures mêmes de la société, par des jeux d'alliance, de fusion-scission entre les groupes, et au sein de ces mêmes groupes, selon les circonstances. Tout se fait sous l'impulsion d'une sorte de dynamique auto-régulatrice, sans structure centralisée coercitive et sans institutions reconnaissables. Cependant, nous préciserons que ce schéma n'est valable que sur des sociétés de taille restreinte et occupant un espace limité, qui plus est culturellement
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