Après Enron et WorldCom : information financière et capitalisme
Note de Recherches : Après Enron et WorldCom : information financière et capitalisme. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar hanini • 15 Décembre 2013 • 6 682 Mots (27 Pages) • 934 Vues
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Après Enron et WorldCom :
information financière
et capitalisme
NICOLAS VERON
Depuis le début de l’année 2002, le capitalisme mondial offre l’image d’un soudain dérèglement : aux Etats-Unis, les révélations se succèdent sur des sociétés parmi les plus renommées au monde1. La confiance, après avoir atteint des sommets il y a deux ans et demi, fuit les marchés financiers, dont la chute semble ne pas devoir connaître de fin. Les titres de la presse économique témoignent du trouble : « Badly in Need of Repair » (The Economist, 4 mai) ; « How corrupt is Wall Street ? » (Business Week, 13 mai) ; « the Wickedness of Wall Street » (The Economist, 8 juin) ; « Crisis in Capitalism » (Financial Times, juillet) ; « A Tsunami of Scandal » (Washington Post, 7 juillet) ; « American Capitalism takes a beating » (The Economist, 12 juillet). Il ne s’agit plus de quelques scandales isolés (« some bad apples », quelques pommes pourries dans un ensemble sain, avait dit George Bush encore en juin), mais d’une crise de grande ampleur. Les règles du jeu capitaliste qui gouvernent notre économie sont mises en cause.
A l’origine, il y a la spirale spéculative des marchés d’actions à la fin des années quatre-vingt-dix, et son reflux à partir du printemps 2000. A mesure que la marée boursière décroît, le public découvre un paysage inattendu et encombré de carcasses peu reluisantes. La crise actuelle ne peut être comprise que rapportée à la folie boursière qui l’a précédée, et aux opportunités d’enrichissement massif qu’elle a créées, sous des formes diverses, pour tous les intervenants dans la sphère des marchés.
Pourtant, les affaires récemment révélées sont différentes des scandales boursiers de la fin des années quatre-vingt, parce qu’elles remettent en question le rôle même de l’information financière au coeur du système financier. La « bulle »
1 En juillet 2002, la liste des indélicatesses comptables présumées inclut de très grandes entreprises comme Enron, Computer Associates, Global Crossing, PeopleSoft, Qwest, Waste Management, MCI WorldCom, Xerox, Merck. Cette liste s’allonge un peu chaque semaine. précédente avait produit des délits d’initiés, des stratégies d’expansion trop agressives, et des schémas de financement instables construits autour de « junk bonds » (faillite de Drexel Burnham Lambert en 1990). Cette fois, la grande majorité des affaires porte sur des manipulations comptables massives, par lesquelles les entreprises ont donné aux marchés une image fausse de leur situation. Autant ou plus que les choix de gestion, c’est la production et l’utilisation de l’information financière qui est en cause.
La comptabilité, langage commun du système financier, offre depuis cinq siècles le meilleur moyen connu de mettre en communication les entreprises avec les apporteurs de capitaux qui ont besoin d’informations fiables et comparables d’une entreprise à l’autre afin d’effectuer leurs choix d’allocation de ressources. Le public avait fini par oublier cette infrastructure essentielle de la vie économique, confiée à des spécialistes réputés pour leur conservatisme. L’information financière est le fluide vital du capitalisme. Aujourd’hui, sa fiabilité est atteinte, et tous les rouages se grippent.
Pourquoi maintenant ? Les manipulations comptables ne sont pas une invention nouvelle ; bien souvent au cours du siècle passé, des entreprises ont chercher à afficher des revenus qu’elles n’avaient pas, ou à camoufler des charges d’exploitation en investissements. Mais depuis dix ans, les mutations du jeu économique se sont succédées à un rythme inédit. Les nouvelles technologies se sont développées à grande vitesse : en 1992, qui parmi nous avait déjà utilisé un téléphone portable, ou avait entendu parler du trading d’électricité, d’Internet, ou du World Wide Web2 ? Plus essentiel encore, et plus déstabilisant, a été le rôle joué par les marchés financiers. Ceux-ci ont continué d’accroître leur emprise de plus en plus exclusive sur la vie des entreprises, à mesure que le nombre des sociétés cotées allait croissant et que les actionnaires individuels étaient de plus en
2 Inventé par Tim Berners-Lee au CERN en 1990.
plus nombreux à découvrir les charmes des marchés d’actions3.
La chaîne de la production, du contrôle et de la diffusion de l’information financière n’a pas suivi le rythme de ces mutations rapides. Cette information est préparée par les directions d’entreprises, vérifiée par les professionnels de la comptabilité, et utilisée par les investisseurs pour orienter rationnellement leurs choix : tous ces acteurs voient aujourd’hui leurs responsabilités et leurs modes de fonctionnement remis en cause. Le cadre juridique dans lequel ils évoluent, notamment en termes de régulation publique, ne sortira pas de la crise actuelle sans de profonds changements. Et ces changements toucheront l’Europe autant que les Etats-Unis, malgré l’atonie actuelle du débat relatif à ces questions sur notre continent.
Sous la pression de l’information financière
Placées en amont de la chaîne de l’information financière, les entreprises sont confrontées depuis quelques années à des défis inédits pour elles, portant sur la nature même de l’information, sur les marges d’interprétation permises pour produire celle-ci, et sur l’articulation des responsabilités vis-à-vis des marchés et du public.
La dépendance croissante des entreprises vis-à-vis des marchés de capitaux a donné à l’information financière une importance accrue. Les exigences des investisseurs et des créanciers, et en leur nom des autorités de régulation comme la SEC aux Etats-Unis ou la COB en France, se renforcent en permanence : jamais la transparence des données financières n’a été aussi loin, pour les sociétés cotées bien sûr mais aussi pour les non cotées, au moins dans certains pays dont la France. Les annexes aux comptes publiés doivent non seulement contenir de plus en plus d’informations, mais encore sont soumises de plus en plus à une exigence de lisibilité « in plain English » – même si, sur ce dernier point, il y a encore beaucoup à faire. En France, les dirigeants doivent désormais publier leurs revenus, et la loi « NRE » de 2001 a introduit des obligations précises de publication des liens juridiques et financiers entre sociétés ayant des actionnaires communs.
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