Exporter la sociologie: émeutes de la faim en Afrique
Dissertation : Exporter la sociologie: émeutes de la faim en Afrique. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar JD DGD • 15 Novembre 2018 • Dissertation • 3 312 Mots (14 Pages) • 772 Vues
« Penser les luttes dans les Afriques, c’est d’abord ne pas céder à l’image éculée d’une Afrique en
dehors de l’histoire, d’une Afrique de l’éternel consentement (des dominés) et de l’immuable
autorité (des dirigeants), d’une Afrique du consensus qu’il conviendrait de laisser à une
anthropologie a-historique. C’est aussi analyser plus finement la diversité des formes protestataires »
Richard Banégas, « Lutter dans les Afriques ».
Les études des mobilisations sociales dans le continent africain ont souvent été confrontés à la vision occidentalocentrée qui a imprégné le champ académique des mobilisations sociales. En effet, comme nous l’apprend le politologue français Jean-François Bayart, « les catégories autour desquelles s’organise la réflexion politique– en particulier celles de démocratie, d’autoritarisme et de totalitarisme – ont été élaborées, affinées et discutées à propos d’expériences historiques autres qu’Africaines ». C’est ainsi que pour contrer les stéréotypes occidentaux sur le pouvoir et l’Etat en Afrique, Bayart propose une sociologie historique du pouvoir et l’Etat en Afrique ainsi que l’étude des pratiques qui définissent les interactions entre individus et pouvoir.
C’est dans cette analyse qui s’inscrivent Johanna Siméant et Vincent Bonnecase qui vont, à partir de deux articles, présenter une analyse critique de l’importation de théories universalistes qui visent à expliquer un sujet sans prendre en compte la totalité de ses particularités et montrer comment dans certains contextes, des pratiques politiques qui alimentent la contestation face au pouvoir sont à la fois aussi, source de légitimation de ce pouvoir politique.
C’est ainsi que dans son article, « Faim et mobilisations sociales au Niger dans les années 1970 et 1980 : une éthique de la subsistance ? », Vincent Bonnecase ; docteur en histoire, chargé de recherche en sciences politiques au CNRS et membre du laboratoire « Les Afriques dans le monde » de l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Il est auteur de La Pauvreté au Sahel. Du savoir colonial à la mesure internationale (Karthala, 2011). Il est également membre du comité de rédaction de la revue Politique africaine. V. Bonnecase, va réaliser, en partant du contexte des famines au Niger, une analyse de l’historicité des liens entre les pratiques politiques de légitimation et les pratiques populaires de contestation pour montrer comment, dans un contexte de famine, ces pratiques s’alimentent les unes les autres.
S’inscrivant sur cette même façon de penser les mobilisations sociales en Afrique, Johanna Siméant, dans « Protester/Mobiliser/Ne pas consentir. Sur quelques avatars de la sociologie de mobilisations appliquée au continent Africain », Johanna Siméant ; professeure de science politique à l’université Paris I, elle appartient au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP, CNRS). Elle dirige le Master recherche en études africaines de l’UFR de science politique de Paris 1. Ses recherches portent sur les mobilisations, l’action humanitaire et l’internationalisation du militantisme, notamment dans le cadre de travaux consacrés aux extraversions militantes en Afrique, et aux pratiques protestataires au Mali. Dans son article, J. Siméant examine le développement récent des travaux sur les mobilisations africaines en soulignant que malgré ce regain d’intérêt pour les études africaines, ces travaux présentent divers point aveugles qui trouvent leur origine dans une conception plus soucieuse de généraliser que de contextualiser. C’est ainsi qu’elle explique que le manque d’un travail de comparatisme historique ne permet pas de saisir toutes les particularités qui entourent certaines politiques africaines.
Ainsi, les deux chercheurs préconisent d’examiner les interactions entre pouvoir et individus à travers les pratiques politiques et les différentes pratiques de contestation du pouvoir pour mieux comprendre les particularités de l’action collective. On peut se demander comment envisager les mobilisations sociales sur un autre terrain géographique ? comment traduire une action collective lorsque celle-ci est autonome par rapport à l’Etat ?
Les études menées sur les mouvements sociaux en Afrique se heurtent à la difficulté de donner une définition au mouvement social, cette difficulté résulte des limites que cette définition impose, en effet, cette notion contient en elle un point de vue occidentalocentré, centré sur l’Etat et la société civile. C’est ainsi qu’appliquer ce concept aux mobilisations sociales en Afrique pose la difficulté de saisir une définition de mouvement social ce qui impose de s’intéresser aux particularités historiques des sociétés Africaines (I). Cette étude du précédent historique conduit à s’intéressent aux interactions entre individus et pouvoirs, autrement dit à penser les liens entre protestations, ordre social et ordre politique (II).
I. La difficile définition de la mobilisation et l'importance de contextualiser
L’importation des notions du champ de la sociologie des mouvements sociaux au terrain africain a des effets problématiques, en effet, cela conduit le chercheur à tenter de généraliser son approche ce qui limite son champ d’action à une vision centrée sur l’Etat et la société civile (A). Les deux auteurs s’accordent pour sortir de cette vision limitatrice en faisant l’effort de contextualiser à travers de la mémoire collective des individus, notamment celle des arrangements anciens entre dominants et dominés (B).
A) Les problèmes qui pose l’importation de la sociologie des mobilisations en terrain africain
Dans son article, Johanna Siméant affirme dans les premières lignes que « le champ de la sociologie des mobilisations est à l’origine extraordinairement occidentalocentré ». En effet, Jean-François Bayart dans son ouvrage L’Etat en Afrique. La politique du ventre, confirme cette affirmation en exposant dans son introduction de l’historicité des sociétés africaines, il avance que « la réticence à reconnaître dans les sociétés africaines des sociétés historiques à part entière n’est pas sans lien avec leur mise en dépendance par l’Occident ». Ainsi cela laisse entendre que pendant longtemps, la prise en compte des sociétés africaines dans l’étude du politique contemporain est restée, elle, somme toute marginale et que les catégories autour
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