Méthodologie de l'analyse de document
Analyse sectorielle : Méthodologie de l'analyse de document. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar • 25 Avril 2015 • Analyse sectorielle • 2 768 Mots (12 Pages) • 863 Vues
Voici un texte que nous vous proposons d’étudier par étapes, en vous aidant de la fiche méthodologique « L’analyse de document » et de la fiche pratique « La méthode des dix étapes ». Il s’agit d’un récit historique écrit par l’historien grec Thucydide, au Ve siècle avant J.-C. concernant la domination de la cité d’Athènes sur ses alliées de la Ligue de Délos, mais il est accessible à tout historien à partir de la première année de Licence. Vous avez évidemment affaire à une traduction, c’est-à-dire à la traduction en français d’un texte écrit en grec (et conservé sur des manuscrits de parchemin des Xe et XIe siècles).
Le but de cet entraînement est de vous initier à la méthode du commentaire de document en histoire. Vous serez donc guidé(e) sur l’écran, étape par étape, à travers la lecture et l’analyse du texte. Quand on vous signalera que la réponse que vous avez donnée n’est pas exacte, cliquez sur une autre réponse jusqu’à être satisfait(e) du résultat. Enfin, vous aurez besoin d’une feuille de papier et d’un stylo, matériel de base de tout historien.
En route donc pour un voyage guidé par le « père de l’histoire »… Bon travail !
Le texte
96.1. Les Athéniens reçurent ainsi l’hégémonie du plein gré des alliés, à cause de l’hostilité qui régnait contre Pausanias : ils fixèrent quelles villes devaient leur fournir contre le Barbare de l’argent ou bien des navires – le principe officiel étant de ravager le pays du Roi en représailles pour les torts subis. 2. On institua alors chez les Athéniens une charge nouvelle, celle des hellénotames, qui encaissaient le tribut (tel fut le nom donné aux contributions en argent) ; le tribut qui fut fixé à l’origine se montait à quatre cent soixante talents ; on le déposait à Délos, et les réunions se faisaient dans le sanctuaire. 97.1. Cependant, les Athéniens, dont l’hégémonie, au début, s’exerçait sur des alliés autonomes, et invités à délibérer dans des réunions communes, devaient, entre les guerres médiques et cette guerre-ci, marquer toute une série de progrès dans l’ordre militaire et politique ; ces luttes les opposèrent non seulement au Barbare, mais à leurs propres alliés, lorsque ceux-ci se montraient rebelles, et aux éléments péloponnésiens mêlés dans chaque affaire. […] 99.1. Parmi les raisons expliquant les défections, il y avait surtout l’inexactitude à s’acquitter des contributions en argent ou en navires, et, éventuellement, la désertion : les Athéniens montraient des exigences strictes, et ils étaient odieux à des gens qui, n’ayant ni l’habitude ni le goût de se donner de la peine, se voyaient mis, par eux, en face de la contrainte. 2. Aussi bien, d’une façon générale, l’autorité des Athéniens ne s’exerçait-elle plus comme avant, avec l’agrément de tous ; et, de même qu’ils ne faisaient plus campagne sur un pied d’égalité avec les autres, de même il leur était aisé de ramener les dissidents. Les responsables de cette situation étaient les alliés eux-mêmes : 3. en effet, cette répugnance à faire campagne avait amené la plupart, afin de ne pas s’éloigner de chez eux, à se faire assigner en argent pour une somme représentant les navires à fournir : aussi Athènes voyait-elle croître sa flotte, grâce aux frais qu’ils assumaient, tandis qu’eux-mêmes, en cas de défection, entraient en guerre sans armements ni expérience.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I.96-99
Extrait tiré de Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I.96-99, traduction J. de Romilly, Paris, Les Belles Lettres, Collection Universitaire de France, 1953 ; rééd., Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.
1ère étape
A. Vous avez lu une fois le document, votre deuxième réflexe est de :
a) Souligner les mots importants.
Non, il faut perdre l’habitude de souligner ou surligner le texte de toutes les couleurs. Cela le rend illisible et les premières erreurs de compréhension (celles que l’on fait dans la précipitation et qui sont les plus graves) deviennent définitives. Si vous avez besoin de souligner (mais plus tard !), faites-le au crayon à papier.
b) Numéroter les lignes.
Oui, si vous voulez (l’opération a un effet calmant et c’est un bon réflexe), mais ici, vous avez des numéros de paragraphes et cela suffit amplement.
c) Relire le texte encore une ou deux fois.
Oui, on ne lit jamais suffisamment le texte. Pour l’avoir bien compris, il faut le lire deux ou trois fois, au moins.
d) Aller chercher un manuel d’histoire de la Grèce ancienne.
Non, c’est beaucoup trop tôt. Vous allez vous laisser influencer par vos lectures et perdre de vue le document.
B. Quelle est la nature du document ?
a) C’est un discours destiné à justifier la domination d’Athènes sur ses alliés.
Non, c’est un historien qui s’exprime ici, et non un personnage historique impliqué dans les événements. Thucydide est athénien mais il est conduit par le souci de rechercher la vérité et d’analyser les faits avec objectivité.
b) C’est un récit historique doublé d’une analyse historique des faits.
Oui, c’est justement le mérite de Thucydide d’avoir su analyser en historien les faits qu’il rapportait après les avoir choisis, vérifiés et ordonnés. Il est le premier à avoir utilisé cette méthode et s’en explique dans la préface de son Histoire de la guerre du Péloponnèse. Ici, Thucydide décrit le fonctionnement de la Ligue, raconte son évolution, puis analyse les causes des faits qu’il rapporte.
c) C’est une critique de la domination athénienne.
Nullement. Thucydide décortique les relations complexes qui unissaient la cité d’Athènes et ses alliées, mais il fait porter ici la responsabilité sur les cités alliées qui se sont laissé dominer parce qu’il était plus facile pour elles de laisser les Athéniens combattre à leur place…
d) C’est un récit événementiel.
Non, il n’y a pas ici d’événement notable.
2e étape
A. Faites le plan du texte en proposant une, deux ou trois coupures, puis comparez avec la solution proposée.
Il y a toujours plusieurs coupures possibles et un nombre de parties variable. Le meilleur plan est celui qui fait ressortir le plus clairement le fonctionnement du texte en séparant nettement les faits et les idées. Plus le texte est bien écrit, plus il est facile d’en faire le plan. Attention aux coupes qu’ont opérées les enseignants eux-mêmes et qui sont signalées par des crochets […].
Ici, la meilleure façon de couper le texte est de distinguer trois parties :
§ 96.1-2 : mode de fonctionnement de la Ligue de Délos
§ 97.1 : évolution de la Ligue de Délos entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse
§ 99.1-2 : analyse des causes de cette évolution
Pour être exact, il faudrait d’ailleurs noter les paragraphes de cette façon : I.96.1 en mentionnant le numéro du livre dont est extrait le texte, mais
comme tout le passage est tiré du livre I de la Guerre du Péloponnèse, il est permis d’abréger en 96.1.
B. Inspirez-vous du plan ci-dessus pour reprendre l’analyse d’ensemble du texte : résumez le contenu de chaque partie en relevant les éléments essentiels puis comparez avec chacune de nos propositions.
§ 96.1-2 : mode de fonctionnement de la Ligue de Délos
En quelques phrases, Thucydide, remarquable écrivain, explique les causes de l’alliance (une alliance contre les « Barbares », les Perses, mais aussi dès l’origine, contre le régent spartiate Pausanias), sa raison d’être (les représailles contre le roi de Perse, en réalité la défense contre l’éventualité d’une troisième attaque), son fonctionnement (instauration d’un tribut en argent ou d’une contribution en navires et création d’une nouvelle magistrature pour encaisser l’argent, celle des « hellénotames »), son nom (tiré du sanctuaire commun à tous les Ioniens, peuples grecs vivant en cités autour de la mer Egée, et situé sur l’île sacrée de Délos, dans les Cyclades), sa nature (la participation en navires et le caractère côtier des cités disposées autour de l’Egée évoquent une alliance essentiellement maritime).
§ 97.1 : évolution de la Ligue de Délos entre les deux guerres
On voit à nouveau mentionnés les adversaires d’Athènes : il y a bien encore le « Barbare » (le roi de Perse), les « éléments péloponnésiens mêlés dans chaque affaire » (les Spartiates encore, car le Péloponnèse est grosso modo sous domination spartiate avec la Ligue du Péloponnèse), mais on voit apparaître un troisième adversaire : « leurs propres alliés, lorsque ceux-ci se montraient rebelles ». Que les Athéniens aient dû mater des révoltes à l’intérieur même de la Ligue de Délos est un élément nouveau, intéressant et qui fait problème.
§ 99.1-2 : analyse des causes de cette évolution
Thucydide essaie de comprendre comment la situation a pu ainsi dégénérer. Il retient deux éléments d’explication : la nécessité pour les Athéniens de faire respecter aux alliés leurs engagements (cette fonction de police était inévitable, nous dit Thucydide), mais aussi, et l’analyse est plus fine, la facilité qui consistait pour les alliés à s’en remettre à l’armée athénienne et à verser un tribut en argent plutôt que de combattre, mais qui les a conduit à se déposséder de leur indépendance militaire alors qu’Athènes accroissait sa puissance militaire et s’enrichissait du trésor de la Ligue. Ajoutons ici, pour une meilleure compréhension qu’en 454 av. J.-C., les Athéniens ont fait déposer chez eux, sur l’Acropole, le trésor fédéral de la Ligue de Délos.
D. Quel est le contenu du document ? Comment pourrait-on le résumer en une phrase ?
a) Les Athéniens ont profité d’un contexte militaire difficile pour établir leur hégémonie sur le monde grec.
Ce n’est pas ce que dit Thucydide. Et vous oubliez la deuxième partie du texte, dont il faut rendre compte.
b) La Ligue de Délos reposait sur la participation volontaire de tous ses membres : la défection de certains d’entre eux a conduit Athènes à une attitude répressive mal acceptée par les cités alliées.
Oui, mais il manque de nombreux éléments : les Perses, les Spartiates, la puissance de l’armée athénienne, le caractère maritime de la Ligue, etc. Essayez une autre réponse.
c) Pendant les cinquante années qui se sont écoulées entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse, l’alliance militaire rassemblée autour d’Athènes pour répondre à la menace perse est devenue un empire maritime sous domination athénienne, en grande partie par la négligence des alliés eux-mêmes.
Oui, vous rendez bien compte des différentes parties du texte.
3e étape
A. Relevez par écrit tous les éléments qui, dans le texte, relèvent de la géographie et qui devront être expliqués. Combien en avez-vous trouvé ?
Vous devriez en avoir trouvé cinq.
Si vous n’avez pas le compte, relisez le texte. Quand le compte sera bon, comparez votre liste avec celle-ci.
Athènes, le « pays du Roi », Délos, les cités alliés, le Péloponnèse.
Dans le cadre d’un commentaire « en solitaire », il faudrait maintenant aller chercher la signification de tous ces termes dans des dictionnaires et des manuels, dans vos cours et vos TD, éventuellement dans des ouvrages plus spécialisés. Ici, nous avons fait le travail pour vous…
[Dans des bulles ? une carte ?]
Athènes : grande et ancienne cité de Grèce continentale dont le territoire est l’Attique, c’est-à-dire la péninsule qui se trouve au Sud-Est de la Grèce, face à la mer Egée et aux îles Cyclades.
le « pays du Roi » : l’empire perse, qui s’étend, à l’Est de l’Egée, de l’Asie Mineure (actuelle Turquie) à l’Indus. Le « Roi » (avec une majuscule) ou le « Grand Roi » désigne toujours le roi de Perse.
Délos : île des Cyclades, minuscule par la taille mais très importante par son rayonnement, en raison du sanctuaire d’Apollon qui s’y trouve et qui attire notamment des pélerins venus de toutes les cités ioniennes disposées autour de la mer Egée.
les cités alliées d’Athènes dans la ligue de Délos : les cités grecques ioniennes de la côte de l’Asie Mineure, de l’Hellespont et de la Propontide, la plupart des îles de l’Egée et quelques autres encore, comme Corcyre.
le Péloponnèse : grande presqu’île au Sud de la Grèce dont les cités sont membres de la Ligue du Péloponnèse menée par Sparte.
B. Relevez les éléments qui doivent être associés à une datation ou à un contexte historique donné. Combien en avez-vous trouvé ?
Il y en a quatre à relever.
Si vous n’avez pas le compte, relisez le texte. Quand le compte sera bon, comparez votre liste avec celle-ci.
La création de la Ligue de Délos, les guerres médiques, la guerre du Péloponnèse, les défections des alliés.
Dans le cadre d’un commentaire « en solitaire », il faudrait aussi retrouver toutes les informations concernant ces événements dans des manuels, dans vos cours et vos TD, éventuellement dans des ouvrages plus spécialisés, et les dater (au besoin établir une échelle chronologique). Voici quelques unes de ces informations.
[Dans des bulles ? des cartes ? une échelle temporelle (avec les dates 490, 480, 479, 478, 471, 465, 454, 440, 431, 404) ?]
la création de la Ligue de Délos : au lendemain des guerres médiques, en 478 avant J.-C.
les guerres médiques qui ont opposé les Grecs aux Perses : 490-480 avant J.-C.
la guerre du Péloponnèse qui a opposé les Athéniens et leurs alliés aux Spartiates et à leurs alliés : 431-404 avant J.-C.
les défections des alliés : révoltes des grandes îles de Naxos en 471, Thasos en 465, Samos en 440.
C. Faites par écrit la liste des mots à définir. Il s’agit de relever les termes techniques, mais aussi les mots qui peuvent revêtir ici un sens particulier. Combien en avez-vous ?
Ce nombre peut varier en fonction de votre niveau de connaissance et de votre maîtrise de la langue française. Vous devriez en avoir à peu près cinq. Si vous en avez davantage, pas d’inquiétude : n’hésitez pas une seconde et jetez-vous sur votre dictionnaire ! L’ensemble du texte doit être limpide. Si vous en avez beaucoup moins, attention à ne pas surévaluer vos capacités… On se contente parfois d’une idée très floue et c’est un tort !
Si vous avez à peu près le compte, comparez votre liste avec la liste qui suit et cherchez les définitions correspondantes dans un dictionnaire de Français. Pour certains mots, il faudrait consulter des ouvrages spécialisés. L’usage du Bailly, dictionnaire de traduction Grec-Français, est parfois utile (mais il faut pour cela se repérer dans l’alphabet grec…).
hégémonie, hellénotames, 460 talents, autonomes (éventuellement, car en histoire ancienne, le mot a un sens très précis), « se faire assigner en argent pour une somme représentant … »
Quelques éléments de définition :
[Dans des bulles ?]
hégémonie : position dominante d’une cité qui a été placée (ou s’est placée) à la tête d’une confédération ou d’une alliance militaire. L’hégémôn est alors la cité dominante, celle qui « guide » les autres (c’est cette idée que l’on retrouve, dans d’autres contextes historiques, dans les noms communs leader, führer et duce). L’hégémonie est un mot grec, mais aussi français, qui équivaut exactement au leadership et le remplacera avantageusement dans votre vocabulaire. C’est ici en tout cas le seul mot que l’on trouve pour désigner la ligue ou confédération rassemblée autour d’Athènes (en grec, et dans d’autres passages de La guerre du Péloponnèse, c’est une symmachie, c’est-à-dire une alliance militaire défensive).
Hellénotames (ou hellénotamiai en grec) : magistrats fédéraux dont la fonction a été créée pour prélever le tribut des alliés (phoros en grec), mais qui semblent bien avoir été dès l’origine désignés par l’Assemblée athénienne, l’Ecclésia.
talent : monnaie athénienne équivalant à 6000 drachmes. Avec la Ligue de Délos, la monnaie athénienne va s’imposer dans toutes les cités alliées.
Si l’on fait une opération de conversion, on s’aperçoit que 460 talents valent 2 760 000 drachmes, soit 2 760 000 journées d’un ouvrier travaillant sur le chantier de construction du temple de l’Erechthéion, sur l’Acropole, à la fin du Ve siècle avant J.-C.
autonomes : des cités autonomes sont des cités qui se donnent à elles-mêmes (autos) leurs propres lois (nomos/oi).
« se faire assigner en argent pour une somme représentant … » : le verbe « assigner » peut signifier « affecter une somme à un emploi » (dictionnaire Petit Robert). L’expression, assez contournée, est une traduction parmi d’autres du texte grec. On peut aussi traduire : « consentir à verser de l’argent à la place de la contribution convenue en navires ».
4e étape
A. Vous avez maintenant explicité le texte dans ses moindres détails. Les étapes suivantes vont consister à donner à ce texte son statut de source pour l’histoire et à établir très précisément ce statut. Pour commencer, de quel type de source s’agit-il, parmi les sources répertoriées par les historiens de l’antiquité ?
a) Une source littéraire
Oui, puisqu’il s’agit d’une œuvre historique que l’on classe parmi les genres littéraires pratiqués dans l’antiquité. L’adjectif « littéraire » ne nuit en rien au caractère historique de la Guerre du Péloponnèse ; en tout cas, il nous rappelle que tout texte est le produit d’une élaboration intellectuelle et artistique et qu’il vise à produire lui-même des effets sur le lecteur (dans le but de le convaincre, par exemple). Cela doit aiguiser notre vigilance.
b) Une source épigraphique
Non, il ne s’agit pas d’une inscription gravée (sur une pierre, une stèle ou un monument, par exemple).
c) Une source iconographique
Non, puisqu’il n’y pas d’image à commenter.
d) Une source archéologique
Non, même s’il est souvent très intéressant de rapprocher l’œuvre de Thucydide des sources archéologiques, chaque fois que c’est possible.
B. Il vous reste étudier l’auteur et le contexte dont est tiré l’extrait à commenter.
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