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La société contre l'Etat – Un libéralisme planificateur ?

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Par   •  27 Octobre 2020  •  Fiche de lecture  •  2 841 Mots (12 Pages)  •  490 Vues

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La société contre l'Etat – Un libéralisme planificateur ?

        Pour P. Clastres, un des lieux communs de l’ethnocentrisme est de donner une définition négative des sociétés primitives, c'est-à-dire de prétendre les cerner en soulignant ce qu'elle n'ont pas : l'Etat. Dès lors, l'on considère qu'elles sont d'un degrés d'évolution moindre dans la marche inéluctable que chaque société suit vers l'étatisation.

        L'on dit qu'elles sont des sociétés de subsistances, les opposant aux sociétés d'abondance, comme si leur retard technique leur imposait de ne créer que tout juste ce qui est suffisant à leur survie, sans leur permettre de générer de surplus. Mais ce que l'on considère à tort comme une limite technique est en fait un choix de ces sociétés qui donnent au travail une place très restreinte dans leur organisation, le limitant à la quantité nécessaire lui permettant de répondre aux strictes besoins de la population. Les sociétés primitives étaient des sociétés d'oisiveté, à l'inverse des sociétés actuelles où le travail prend une forme aliénante.        

        Dès lors si les hommes ont été amenés à travailler plus que pour répondre leurs besoins, entrant dans des sociétés d'abondance, c'est parce qu'ils y ont été obligés. On les y a forcé, l'Etat les y a forcé et son autorité politique a engendré la naissance de classes économiques et la domination de l'une sur l'autre, et non l'inverse, comme chez Marx. Clastres écrit : « La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes. »

        Selon P. Clastres, les hommes travaillent pour eux mêmes dans une société de subsistance, alors que, dans une société étatisée, ils travaillent pour un autre à qui le pouvoir oblige de donner le surplus de la production. C'est pourquoi la société primitive est contre l'Etat et contre toute dérive d'un chef qui voudrait transformer son prestige en autorité et en pouvoir  :« dans la société primitive, le chef, comme possibilité de volonté de pouvoir, est d’avance condamné à mort. Le pouvoir politique séparé est impossible, il n’y a pas de place, pas de vide que pourrait combler l’État. » 

        Ainsi, il faut contenir toute potentialité d'émergence d'un pouvoir politique. « La propriété essentielle de la société primitive, c’est d’exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c’est de maintenir tous les mouvements, internes, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulues par la société. La tribu manifeste entre autres (et par la violence s’il le faut) sa volonté de préserver cet ordre social primitif, en interdisant l’émergence d’un pouvoir politique individuel, central et séparé. Société donc à qui rien n’échappe, qui ne laisse rien sortir hors de soi-même, car toutes les issues sont fermées. »

        Ce combat contre l'autorité a été mené par les prophètes qui ont vu l'unité de l'Etat comme un mal inéluctable et on souhaité en détourner les hommes plutôt que de le combattre. Ce discours religieux identifie « l'Un » comme le mal, et donc le fuit.

        Mais la parole prophétique dérive elle aussi et devient une autorité, un pouvoir. « Dans le discours des prophètes gît peut-être en germe le discours du pouvoir et, sous les traits exaltés du meneur d’hommes qui dit le désir des hommes se dissimule peut-être la figure silencieuse du Despote. »

        Donc, « ce que nous montrent les Sauvages, c’est l’effort permanent pour empêcher les chefs d’être des chefs, c’est le refus de l’unification, c’est le travail de conjuration de l’Un, de l’État. L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État. »

        Pourtant, Pierre Clastres manque sa cible. Il s'agit d'éviter l'asservissement économique de l'homme qui découlerait d'une domination politique instaurée par l'Etat. Cet asservissement économique est compris comme toute activité économique qui dépasserait la simple réponse aux besoins individuels.

        Dès lors, on fixe de manière tout à fait assumée une limite à l'effort : celle du besoin. Les sociétés primitives de subsistance sont louées pour l'oisiveté de leur population. Cette borne fait que l'on y conçoit le travail comme moyen et non plus comme valeur.  S' « il n'y a de vrai que le travail » si « le monde sera un jour ce que le travail l'aura fait. » (Zola dans « Travail »), alors les sociétés primitives renoncent à toute idée de progrès, quand l'homme de science, qui en estime la valeur, vit « pour l’effort de vivre, pour la pierre apportée à l’œuvre lointaine et mystérieuse, et la seule paix possible, sur cette terre, est dans la joie de l’effort accompli»  (Zola « Le Docteur Pascal »).

        Mais plus que de renoncer au progrès, la société primitive renonce, en la cherchant, à la liberté. Son combat est le même que celui des libéraux. Il s'agit d'empêcher l'Etat d'asservir les hommes. F. Hayeck, dans « La Route de la servitude », explique que le socialisme, et en particulier le planisme, comme toute doctrine souhaitant donner un rôle actif à l'Etat dans le domaine économique, contient intrinsèquement un poison pour la liberté individuelle. Il fait de l'avènement de ces doctrines l'origine des totalitarismes du Xxe siècle. Selon lui, une société qui voudrait que l'Etat définisse les buts économiques et ce qui doit être fait pour les atteindre, est une société qui renoncer à la liberté pour l'égalité. Les fins personnelles y sont soumises à la fin vers laquelle tout l'effort national est orienté, fin d'autant plus dangereuse qu'elle ne peut être qu'appliquée par un pouvoir arbitraire, ne pouvant être définie démocratiquement que de manière large tels que sous le nom, par exemple, d'« intérêt général », ce qui ne veut rien dire. Mais si dans les deux cas l'Etat est servitude, Hayeck rappelle qu'il est nécessaire à établir un cadre juridique rendant possible la concurrence sur les marchés, c'est-à-dire nécessaire à rendre réalisable l'entreprise et la recherche de fins personnelles. Donc le libéralisme n'est pas le laissez-faire. A l'inverse, l'absence totale d'Etat des sociétés primitives telles que pensées par Pierre Clastres font deux choses. D'abord, elles laissent libre jeu à la domination issues d'inégalités naturelles d'individus sur d'autres, inégalités naturelles que peuvent pourtant palier un Etat Providence redistributeur et le cadre juridique qu'il instaure. Ensuite, de la même manière que l'Etat planificateur asservit le particulier, le groupe dans la société de subsistance pose une main de fer sur l'individu. Les sociétés primitives sont des sociétés de planisme sans Etat, dans lesquelles on refuse l'Un extérieur de l'Etat, mais dans lesquelles l'on s'impose l'Un général, le règne de la fin unique, la fin sociale qui assujettit les fins individuelles. P. Clastres le dit bien : la société primitive « exerce un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c’est de maintenir tous les mouvements, internes, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulues par la société. »  Et c'est pourquoi la société contre l'Etat voulant combattre la domination, est en fait la société contre le progrès, contre l'individu, et contre la liberté.

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