Est-il vrai qu'il n'y a pas de bonheur intelligent ?
Dissertation : Est-il vrai qu'il n'y a pas de bonheur intelligent ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar philo789 • 11 Octobre 2020 • Dissertation • 4 052 Mots (17 Pages) • 671 Vues
Est-il vrai qu’il n’y a pas de bonheur intelligent ?
Une opinion répandue veut que le génie soit « tourmenté », que l’intelligence se perde dans des questionnements sans fin sur le sens de la vie, l’existence de Dieu… Inversement, on parlera d’un « imbécile heureux » et la Bible dit : « Qui augmente le savoir augmente la souffrance »1Autrement dit, l’intelligence serait incompatible avec le bonheur, idée que reprend le biologiste Jean Rostand en affirmant qu’ « il n’y a pas de bonheur intelligent ».
Mais qu’en est-il réellement ?
Le bonheur est couramment défini comme un état durable de satisfaction de l’ensemble des aspirations humaines. L’intelligence, quant à elle, peut avoir deux significations. D’une part, on peut l’opposer à l’instinct. « L’homme, disait Aristote, est un animal raisonnable ». En ce sens donc, tous les hommes sont doués d’intelligence dans la mesure où ils pensent leurs actions avant de les accomplir ; le comportement animal, au contraire, obéit à des instincts, c’est-à-dire à des schémas définis qui ne font pas intervenir la volonté consciente. D’autre part, l’intelligence peut être opposée à la bêtise . De ce point de vue, certains hommes sont plus intelligents que d’autres ; ils possèdent à un degré éminent cette faculté spécifiquement humaine. Quant à la bêtise, comme l’indique l’origine même du terme, elle constituerait une sorte d’analogue humain – dont le sens serait à préciser - de l’animalité et de l’instinct.
Dans le premier sens de la notion d’intelligence, affirmer qu’il n’y a pas de bonheur intelligent reviendrait donc à dire que tout bonheur est instinctif et animal, que l’homme en tant que tel ne peut être heureux. Pourtant, cela semble contredire à la fois l’expérience (nous constatons qu’il y a des hommes heureux ou du moins des hommes plus heureux que d’autres) et la définition générale du bonheur comme satisfaction des aspirations humaines puisqu’on peut penser que le développement de l’intelligence fait partie de ces aspirations. Dans le deuxième sens, cette affirmation signifierait que seule la bêtise permettrait à l’homme d’être heureux. Nous retrouvons l’opinion que nous évoquions au début. Mais cette bêtise, en quoi consiste-t-elle au juste ? Et l’image de l’ « imbécile heureux » n’est-elle pas un simple cliché ?
I. Pourquoi dire qu’il n’y a pas de bonheur intelligent ?
Prenons d’abord la notion d’intelligence au premier sens. Dans un texte célèbre, Marx distingue clairement l’intelligence humaine et le comportement animal : « Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand et l’abeille confond par la structure de ses cellules l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche »2. Ainsi l’abeille n’a-t-elle aucune représentation de ce qu’elle fait et du but qu’elle « veut » atteindre. Certes, on pourrait répondre que nul ne sait ce qui se passe dans la tête d’une abeille. Une chose est sûre, cependant : les alvéoles des abeilles sont toujours les mêmes, l’architecture, elle, change selon les époques, les sociétés et le talent individuel de l’architecte. Voilà donc le contraste entre l’intelligence et l’instinct : d’un côté, la représentation d’un but et des moyens pour y parvenir, représentation qui peut changer et même s’améliorer au cours de l’histoire, de l’autre, un schéma de comportement rigide et invariable. D’un côté la transmission des acquis d’une génération à l’autre, le progrès des sciences, des techniques, de la culture en général ; de l’autre, la répétition monotone des mêmes opérations et des mêmes productions.
Quelles sont les conséquences de l’intelligence ainsi définie pour le bonheur ?
A première vue, l’intelligence est la faculté de penser des procédés et des moyens en vue de certaines fins et ces fins voulues ou désirées, nous les regroupons sous le terme de « bonheur ». « Nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir »3 dit Rousseau et l’intelligence permettrait à l’homme d’être heureux. Sans intelligence, pas d’abri, d’agriculture , d’habillement, de médecine : nous traînerions l’existence misérable des animaux. L’animal a reçu de la nature son instinct pour satisfaire ses besoins ; l’homme a reçu de la nature un germe d’intelligence, qu’il doit cultiver ensuite, pour satisfaire ses désirs et trouver son bonheur.
Toutefois, cette image d’une intelligence au service des besoins et désirs des hommes, intelligence qui va toujours mieux les satisfaire, est évidemment simpliste puisque les désirs s’accroissent. Au fur et à mesure que l’intelligence les satisfait, celle-ci invente de nouvelles possibilités et de nouveaux buts, donc suscite de nouveaux désirs. Après avoir dit que « nous ne voulons connaître que parce que nous désirons de jouir », Rousseau ajoute que « les passions, à leur tour , tirent leur origine de nos besoins et leur progrès de nos connaissances ; car on ne peut désirer ou craindre les choses que sur les idées qu’on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la nature »4. Plus personne, aujourd’hui, ne se contentera d’une simple cabane, d’une espérance de vie de 40 ans, de la seule sécurité alimentaire : tout le monde veut une belle maison, être en pleine santé à 70 ans, une nourriture savoureuse, etc. L’intelligence déplace notre horizon en même temps qu’elle nous fait avancer ; elle nous empêche de savourer simplement le présent et les plaisirs simples qui suffisaient amplement à l’homme naturel et à sa bêtise. C’est ainsi que Rousseau semble bien près de « louer comme un être bienfaisant celui qui le premier suggéra à l’habitant des rives de l’Orénoque l’usage de ces ais qu’il applique sur les tempes de ses enfants, et qui leur assurent du moins une partie de leur imbécillité et de leur bonheur originel »5.
Essayons maintenant de définir l’intelligence au sens individuel : que veut-on dire lorsqu’on parle d’un « homme intelligent », qu’entend-on, au contraire, par la notion de bêtise ? On peut repérer deux analogies entre la bêtise et l’instinct qui nous aideront à la caractériser et à définir en même temps l’intelligence.
Première analogie : la fixité, l’immobilisme, analogue à la rigidité du comportement
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