La Violence Appelle La Violence
Compte Rendu : La Violence Appelle La Violence. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar mrc7 • 4 Février 2012 • 2 279 Mots (10 Pages) • 2 698 Vues
La vengeance est la première forme de justice instaurée par l’homme. Elle ne laisse pas le crime impuni, et permet ainsi de dédommager la victime. Mais la vengeance, naturellement subjective, est très souvent appliquée avec démesure, et ne peut donc pas garantir la sérénité qu’impose un véritable acte de justice. A ce propos, Emmanuel Lévinas affirme que « La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter cette réaction en chaine. La justice est ainsi. Telle est du moins sa mission une fois que le mal est commis. » En effet, la justice a été fondée pour mettre fin au cycle de vengeance infernal dans lequel l’homme est, malgré lui, instinctivement entraîné, car il ne peut l’arrêter de lui-même. Mais tout comme la vengeance, la justice est dans un premier temps appliquée pour punir les crimes, et non pour les empêcher, même si au final les peines prononcées visent à dissuader d’autres individus d’enfreindre les règles. C’est donc un devoir que doit, en théorie, accomplir la justice. Hors d’après Lévinas, celui-ci n’est pas forcément rempli. De ce fait, nous nous demanderons, à la lumière des Pensées de Pascal, ainsi que des Choéphores et des Euménides d’Eschyle, si la justice s’écarte suffisamment de la vengeance pour ne pas être considérée comme une vengeance légalisée. Nous nous attacherons donc dans un premier temps à l’établissement de la justice pénale, créée dans le but de dépasser et d’abolir la vengeance, puis dans un deuxième temps à l’opposition nette existant entre la justice et la vengeance. Enfin, nous nous pencherons sur la possible dérive de la justice vers une sorte de « justice vengeresse », et donc imparfaite.
C’est pour garder un équilibre et une paix sociale que les hommes ont pris la décision d’établir une institution juridique ayant comme base des lois écrites et édictées dans le but de garantir le maintien du système social alors en place. Car la vengeance devient rapidement synonyme de chaos et de désordre social. Une communauté doit être encadrée par des règles qu’il faut respecter.
La création de la justice est la conséquence de la volonté des hommes, ou des dieux, d’arrêter les règlements de compte primitifs qui étaient d’usage jusqu’alors. Dans l’Orestie, après avoir tué sa mère Clytemnestre et son amant Égisthe, pour justement venger son père, Oreste est directement pris en chasse par les Érinyes de sa mère, déesses de la vengeance. Elles sont la représentation-même de ce cycle de infernal dans lequel le sang appelle le sang, un meurtre un autre meurtre. Oreste ne pouvant vivre ainsi poursuivi, sollicite l’aide d’Athéna, qui institue alors le tribunal de l’Aréopage. Celui-ci tranche en faveur d’Oreste, et les Érinyes deviennent alors les Euménides, les bienveillantes. Le cycle de meurtres qui se profilait à l’horizon est stoppé net par cette décision, décision renforcée par le fait que l’acte d’Oreste avait été ordonné par Apollon Loxias lui-même. Pascal, dans le fragment 294 de ses Pensées, s’interroge sur les fondations de l’organisation sociale : « Sur quoi la fondera-t-il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! » Autrement dit, Pascal ne croit pas un instant que l’ordre d’une société puisse être basée sur les désirs de chacun, sur les intérêts et les volontés de tous. Il est nécessaire de créer une institution impartiale, dont les décisions ne font pas intervenir les intérêts personnels.
« Œil pour œil, dent pour dent. » Telle était la devise longtemps appliquée lorsqu’un crime avait été commis, appliquant une peine identique au crime. Elle est d’actualité dans les Choéphores et s’inscrit dans le cycle de la vengeance, lorsque le Coryphée répond à Électre : « Aux ennemis, tu peux prier de rendre mal pour mal. » Ici, en l’occurrence un meurtre doit répondre à un meurtre, selon cette loi coutumière. La loi du talion, tout en étant une sorte de vengeance, reste modérée car la vengeance n’est pas supérieure en violence au crime commis. Oreste répond au meurtre de son père par deux meurtres, celui de sa mère mais aussi de son amant, car il doit en plus de venger son père, accomplir une vengeance plus ancienne, celle en rapport avec la malédiction des Atrides. Dans le fragment 455 des Pensées, Pascal énonce que l’injustice est naturelle chez l’homme, car il veut exercer un contrôle sur les autres uniquement pour servir ses intérêts : « En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu’il se fait centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il les veut asservir : car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. » Un homme ne peut pas naturellement et modérément rendre justice de lui-même, une loi doit exister pour lui indiquer ce qu’il doit faire : s’il veut se venger, qu’il se venge selon la loi du talion, en faisant payer autant au criminel que ce qu’il a infligé à la victime.
Dans ses débuts, la justice ressemblait encore beaucoup à un acte de vengeance cruel et sanguinaire ; mais avec le temps et l’évolution, elle s’en est progressivement éloignée pour s’humaniser, s’adoucir. Ainsi, dans les Euménides, l’antique loi du talion, bien que justice primitive mais cependant cruelle, laisse place à une institution civilisée et organisée : le tribunal de l’Aréopage, dirigée par Athéna. Un verdict est prononcé, mettant fin aux actes de vengeance en chaîne, et indiquant le passage à une justice appliquée par la cité, et non plus entre oikos. Pascal, avec son avis pessimiste, indique dans le fragment 326 que même si les lois ne sont pas forcément justes, elles permettent un maintien de l’ordre et du pouvoir, ce qui est le but recherché : « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes. » La société n’est alors pas forcément plus juste qu’avant, mais au moins un ordre est établi et une relative paix s’installe.
De vengeance cruelle et primitive à justice établie et cadrée, en passant par la loi du talion, nous assistons à l’apparition d’une opposition de plus en plus nette entre ces deux moyens d’infliger un mal en contrepartie d’un mal subi.
À la subjectivité partiale et passionnelle de la vengeance répond l’impartialité et l’objectivité de la justice qui s’exprime toujours sans que n’interviennent les passions. Ainsi, Athéna annonce dans les Euménides qu’elle « désigner[a] pour ces meurtres des juges respectueux de leur serment, selon [s]a loi instituée à tout jamais. […] qu’ils jurent d’assister la cause juste
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