Aimer dans la sensation selon Platon

Aimer dans la sensation. Platon, Jaccottet, Neruda et Mozart.

Aimer, sous sa forme verbale, désigne moins une idée abstraite qu’une expérience que l’on reconnaît au trouble qu’elle suscite dans le corps en présence de l’objet aimé. Il s’agit donc d’abord d’une expérience du corps, de la sensation qui s’ébranle. C’est un débordement affectif, une émotion soudaine qui naît du passage de la sensation à la sensibilité, et de ce retentissement intérieur au désir. Et c’est l’âme qui est touchée d’une brûlure, d’une intensité qui l’envahit, et qui vient “d'une flamme soudain plus haute et plus vive, illuminer la chambre jusqu'au lit ou au jardin, sans vous brûler”, écrit Jaccottet dans le recueil À la lumière d’hiver.

Ainsi, si la matière est colorée, la teneur de la couleur elle-même est dans l’âme, elle qui recueille et révèle les qualités. Dès lors, tel Éros au sens de Platon, la fièvre nous agite, et toutes les cordes sensibles de l’existence se mettent à vibrer à l’unisson devant l’objet aimé, comme le chante Neruda dans ses poèmes: “c’était l’heure joyeuse de l’assaut et le baiser. L’heure de la stupeur ardente comme un phare”.

L’amant est saisi par une vague de sensations qui l'emporte vers l'objet aimé, sans laisser de place à la réflexion. En effet, l’émotion spontanée est une expérience sensible qui semble n’avoir d’autre cause que l’impulsion primitive du corps — l’éveil de la sensibilité. Le Don Giovanni de Mozart, s’ouvrant par un grave et solennel andante et un vif allegro, teintés d’un caractère fougueux et puissant, symbolise cette sensation irréfléchie et substantielle qu’est en vérité Don Juan: le mythe d’une immédiateté sensuelle pure déterminée comme principe et comme force. C’est donc sous la forme de la sensation que l’intensité de l’expérience est révélée, lors d’un choc amoureux où l’amant se laisse toucher et envahir par ce qu’il aime.

≈ 300 mots

                De Chatellus Mathis H4

...