Peut-il Y Avoir Une Société égalitaire ?
Mémoire : Peut-il Y Avoir Une Société égalitaire ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Shinai • 14 Avril 2015 • 2 639 Mots (11 Pages) • 2 443 Vues
Peut-il y avoir une société égalitaire ?
Il semble difficile pour l’homme de s’abstraire de la vie en communauté, qui le place dans des rapports constants avec les autres. On s’interroge davantage sur les liens qui attachent l’homme à la société, sur le sens et la nature de son engagement dans la collectivité. En tant que hiérarchisée, la société impose une structure, un ordre aux individus qui la composent : on peut alors se demander si l’égalité est réellement effective, possible en société. C’est donc, a fortiori, la question du déterminisme social qui se pose ici en creux, la nature même du lien social. Il s’agit de déterminer également l’essence même de l’égalité pour comprendre si elle est effective dans la société, ou seulement un idéal.
Est-il légitime de voir dans l’égalité un principe non pas seulement moralement abstrait, mais un principe effectif au sein même de la société ? Peut-on lier égalité et société par le lien possible, c’est-à-dire de celui de la contingence, ou doit-on considérer l’égalité comme fondement nécessaire de toute société ? A l’inverse, l’égalité n’est-elle qu’un idéal inaccessible de fait dans la société pour des individus rendus inégaux par les structures mêmes de cette société ?
Dans la mesure où la société aspire à une plus grande justice, cette dernière ne peut être séparée de l’égalité. L’association entre justice et égalité se retrouvait déjà chez Aristote : « le juste donc est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l’égalité ; et l’injuste, ce qui est contraire à la loi et manque à l’égalité » (Ethique à Nicomaque, livre V). Ainsi, si tous les hommes sont semblables, il n’y a aucune raison de les traiter différemment les uns des autres et ils méritent les mêmes choses. La démocratie repose sur cette idée que la justice naît de l’égalité en droit des individus que rien ne vient distinguer, en raison de leur droit naturel semblable. Pour cette raison, les citoyens sont égaux devant la loi. Fidèles à l’idéal grec d’égalité entre les citoyens, nos sociétés démocratiques modernes reprennent l’idée que nul ne peut bénéficier de privilèges liés à son appartenance sociale. Le chef d’entreprise encourt la même peine de prison que l’ouvrier, si leur crime est semblable. Cette juste égalité se concrétise dans le vote : tous les citoyens ont une voix et personne ne peut prétendre avoir plus d’une voix. Sous cet angle, le plus modeste des membres de la société a autant de poids que le plus riche et le plus puissant d’entre eux. Une société égalitaire est donc possible malgré les différences de statuts.
Dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville constate que la première caractéristique de la société démocratique est l'égalité des conditions. Elle est à la fois un principe et un fait, et ce qu'elle recouvre évolue avec la société démocratique. Plus précisément, elle est « imaginaire », n'annulant pas l'inégalité économique, mais modifiant l'ensemble des relations entre les hommes, en faisant de l'égalité la norme. Autrement dit, elle implique l'absence de castes et de classes tout en indiquant qu'elle n'équivaut pas à la suppression de la hiérarchie sociale ou politique. Contrairement à la société aristocratique, aucun des membres de la société démocratique ne subit sa destinée du fait de la position sociale qu'il occupe, et la hiérarchie sociale ne renvoie plus à un ordre social préétabli qui assigne à chacun une place, des droits et des devoirs propres. Cette égalité constitue une autre appréhension de la structure sociale : les positions ne sont certes pas équivalentes, mais elles ne cristallisent pas la totalité de l'existence sociale des individus. Elle se redéfinit sans cesse et ne peut se dissocier de la dynamique sociale. Mais plus que d'égalité, il faut parler d'égalisation dans la perspective de l'ordre social démocratique. Par exemple, Tocqueville expose la relation qui s'établit entre un maître et son serviteur dans la société démocratique par rapport à celle qui règne dans la société aristocratique. Dans les deux cas il y a inégalité, mais dans l'ancienne société elle est définitive, alors que dans la société moderne elle est libre et temporaire. Libre car c'est un accord volontaire, que le serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il y trouve un intérêt ; temporaire parce qu'il y a le sentiment désormais partagé entre le maître et le serviteur qu'ils sont fondamentalement égaux. Le travail les lie par contrat et, une fois celui-ci terminé, ils sont deux membres semblables du corps social. Les situations sociales peuvent être inégalitaires, mais elles ne sont pas attachées aux individus. Ce qui compte c'est l'opinion qu'en ont les membres de la société : ils se sentent et se représentent comme égaux, et le sont comme contractants.
Pour Rousseau, dans Du contrat social (livre II, chapitre 4), « le pacte social établit entre les citoyens une telle égalité qu’ils s’engagent tous sous les mêmes conditions, et doivent jouir tous des mêmes droits ». Les hommes ne se soumettent pas aux lois car elles sont le produit des citoyens qui sont libres car soumis à leurs propres lois émanant de leur propre volonté. La société égalitaire est possible car l'égalité civile peut tout de même coexister avec l'inégalité économique ou politique, et c’est cette attitude mentale qui fait de l'homme démocratique un homme nouveau, dont les actes sont marqués par ce qui prend l'allure d'une évidence.
Toutefois, il ne s’agit que d’une égalité arithmétique qui établit une égalité stricte entre deux éléments (a = b) envisagée seulement devant la loi : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 1). Comme le remarque Marx dans Sur la question juive, si les citoyens sont théoriquement égaux puisque tous soumis à la même loi et tous bénéficiaires des mêmes droits, en pratique un citoyen très modeste aura beaucoup plus de difficultés qu’un citoyen fortuné à rendre ses droits effectifs. Il a proposé d’uniformiser les revenus de telle sorte que les notions de richesses et de pauvreté disparaissent en même temps que celle de classe. Mais n’est-ce pas là une exigence déraisonnable d’égalité ? Une société égalitaire semble méconnaître nos différences et entraver notre liberté en limitant le champ de nos possibles et en nous plaçant sous l’égide d’un pouvoir autoritaire corrigeant sans cesse les inévitables
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