Ne Désirons-nous Que Les Choses Qui Nous Semblent Bonnes ?
Dissertation : Ne Désirons-nous Que Les Choses Qui Nous Semblent Bonnes ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 9 Avril 2014 • 2 490 Mots (10 Pages) • 4 421 Vues
[Introduction]
«Aimer la vie»... Un logicien trouvera peut-être que cette expression est dépourvue de sens, car aimer implique nécessairement une prédilection, en raison de quoi on ne saurait aimer le tout, mais seulement l'une ou l'autre de ses parties. Mais si l'on quitte ce langage pour retrouver celui de l'opinion commune, alors « aimer la vie » prend une signification. Nous aimons la vie lorsque nous aimons le désir, lequel offre à chaque instant mille occasions de ne pas s'ennuyer. Certes, nous savons bien qu'il peut être trompeur, mais qu'importe puisqu'il se renouvelle sans cesse, comme la vie justement. En d'autres termes, nous savons que ce que nous désirons n'est pas forcément bon, mais au moins il a le mérite de nous attirer, et qu'il nous semble bon, parfois, nous suffit. Mais ne désirons-nous que les choses qui nous semblent bonnes ? Cela semble évident, et même cela pourrait découler de la définition même du désir. Mais c'est postuler un peu rapidement l'innocence de ce dernier. Qu'en est-il de la perversité, ou bien de l'attirance pour le morbide ou l'horrible ? Faut-il les négliger en les rejetant dans la catégorie du pathologique ? Pourtant nous avons tous entendu parler de foules excitées au meurtre et avides de génocides, foules composées apparemment de gens très ordinaires. Ainsi la question qui paraissait à première vue sans objet rencontre un enjeu effrayant. Ne désirons-nous que les choses qui nous semblent bonnes, ou bien le désir révèle-t-il au contraire la présence du mal en nous, au point qu'il faudrait l'éradiquer si l'on veut que l'humanité cesse d'être folle ? Le prix à payer paraît cependant très élevé.
[1re partie : En quel sens ne désirons-nous que ce qui nous semble bon ?]
Le désir pourrait être défini provisoirement comme l'effet sur un sujet de l'attirance exercée par un objet. Comme le désir n'est pas la possession, il subsiste une distance entre le désir et son objet, en laquelle peut se glisser l'illusion. Tout désir est peut- être désir du bien si l'on entend par là que l'objet désiré est jugé bon en tant qu'on le désire, mais chacun sait que la satisfaction peut être décevante, ce qui tendrait à dire que ce qui nous semblait bon ne l'était pas.
Il en résulterait quatre possibilités logiques relatives au désir et à son objet, mais dont deux seulement seraient retenues comme psychologiquement vraisemblables. Ce que nous désirons peut nous sembler bon et l'être en effet, ou bien nous sembler bon et ne pas l'être, telles sont les deux possibilités familières, la première correspondant à la satisfaction et la seconde à la déception ; mais aussi, théoriquement du moins, nous pourrions désirer quelque chose qui ne nous semble pas bon tout en l'étant, ou bien qui ne nous semble pas bon et est effectivement mauvais. Cependant ces deux possibilités semblent ne correspondre à aucune de nos expériences, c'est pourquoi l'opinion commune jugera que nous ne désirons que les choses qui nous semblent bonnes.
Admettons donc provisoirement cette hypothèse. Ou bien alors nous refusons de distinguer entre l'apparence du bien et sa réalité, ou bien au contraire nous sommes attentifs à cette différence. Dans le premier cas, nous devenons hédonistes, c'est-à- dire que nous organisons notre vie en fonction du plaisir maximal. En effet, puisque le désir est conditionné par l'attrait du plaisir, et puisque tout plaisir est un bien apparent et donc réel par hypothèse, nous pouvons nous laisser guider par nos désirs. Ce qui semble bon est bon, or ce que nous désirons semble bon, donc ce que nous désirons est bon, tel est le syllogisme par lequel on peut résumer l'hédonisme.
Mais si en revanche, comme il semble commun de le penser, on considère que ce qui paraît bon peut se révéler mauvais, que ce soit parce qu'il est nuisible ou bien immoral, alors une morale quasiment universelle se dégage : puisqu'il y a des apparences trompeuses, et donc de bons et de mauvais désirs, il faudra apprendre à ne pas céder à ceux-ci tout en étant complaisant à ceux-là.
Il nous faudra alors combattre, non pas forcément le désir lui-même, mais la mauvaise évaluation des biens dont il risque d'être responsable. On retrouve ici les fondements de la sagesse traditionnelle telle que les stoïciens, par exemple, l'ont décrite. Le sage cumule les qualités de discernement et de maîtrise de soi, chacune de ces qualités contribuant à l'épanouissement de l'autre. Par la maîtrise de soi le sage apprend à ne pas être victime des passions illusoires, qui faussent le jugement. Par le discernement il prend la juste mesure des biens et des maux, et apprend ainsi à soumettre le désir à sa raison. Puisque nous ne désirons que les choses qui nous semblent bonnes, il faut apprendre à ne trouver bon que ce qui l'est effectivement, et ainsi, selon la formule d'Epictète, à ne s'attacher qu'aux choses qui dépendent de nous, c'est-à-dire, fondamentalement, à notre pouvoir d'évaluer rationnellement les biens et les maux, ce que l'on peut appeler du nom de liberté.
[2e partie : le renversement spinozien et ses conséquences]
Mais Spinoza nous avertit que « nous ne désirons pas les choses parce que nous les trouvons bonnes, mais nous les trouvons bonnes parce que nous les désirons ». À première vue, cela ne change rien quant à notre question. Il y a toujours identité entre ce que nous désirons et ce qui nous semble bon. Mais le désir, contrairement à ce que nous avons avancé plus haut, n'est plus l'effet produit par la valeur d'un objet, puisque c'est au contraire celle-ci qui résulte du désir.
Comprenons d'abord ce que cela signifie. Naïvement, nous serions portés à croire que le monde est peuplé d'objets désirables et que c'est parce que nous en prenons conscience que nous nous mettons à désirer, comme si nous nous promenions innocemment dans l'univers avant d'être heurtés par des sortes de particules qui provoqueraient en nous le désir, sur le modèle de la maladie. Or il est bien évident que le désir précède la rencontre de son objet, et que l'attraction qu'exercera celui-ci est tributaire de celui-là et de ses attentes, généralement inconscientes.
On peut illustrer ce changement radical
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