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Les origines de la philosophie

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Par   •  24 Janvier 2013  •  Cours  •  3 340 Mots (14 Pages)  •  1 342 Vues

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Les origines de la philosophie

Où commence la philosophie? II y a deux façons d'entendre la question. On peut se demander d'abord où situer les frontières de la philosophie, les marges qui la séparent de ce qui n'est pas encore ou pas tout à fait elle. On peut se demander ensuite où elle est apparue pour la première fois, en quel lieu elle a surgi - et pourquoi là plutôt qu'ailleurs. Question d'identité, question d'origine, liées l'une à l'autre, inséparables -, même si en trop bonne, en trop simple logique, la seconde semble supposer déjà résolue la première. On dira : pour établir la date et le lieu de naissance de la philosophie, encore faut-il connaître qui elle est, posséder sa définition afin de la distinguer des formes de pensée non philosophiques. Mais, à l'inverse, qui ne voit qu'on ne saurait définir la philosophie dans l'abstrait comme si elle était une essence éternelle? Pour savoir ce qu'elle est, il faut examiner les conditions de sa venue au monde, suivre le mouvement par lequel elle s'est historiquement constituée, lorsque dans l'horizon de la culture grecque, posant des problèmes neufs et élaborant les outils mentaux qu'exigeait leur solution, elle a ouvert un domaine de réflexion, tracé un espace de savoir qui n'existaient pas auparavant, où elle s'est elle-même établie pour en explorer systématiquement les dimensions. C'est à travers l'élaboration : l'une forme de rationalité et d'un type de discours jusqu'alors inconnus que la pratique philosophique et le personnage du philosophe émergent, acquièrent leur statut propre, se démarquent, sur les plans social et intellectuel, des activités de métier comme des fonctions politiques ou religieuses en place dans la cité, inaugurant une tradition intellectuelle originale qui, en dépit de toutes les transformations qu'elle a connues, n'a jamais cessé de s'enraciner dans ses origines.

Tout a commencé au début du VIe siècle avant notre ère, dans la cité grecque de Milet, sur la côte d'Asie Mineure où les Ioniens avaient établi des colonies riches et prospères. En l'espace de cinquante ans, trois hommes: Thalès, Anaximandre, Anaximène, se succèdent, dont les recherches sont assez proches par la nature des problèmes abordés et par l'orientation d'esprit, pour que, dès l'Antiquité, on les ait considérés comme formant une seule et même école. Quant aux historiens modernes, certains ont cru reconnaître, dans la floraison de cette école, le coup de tonnerre annonciateur du « miracle grec». Dans l’oeuvre des trois Milésiens la Raison se serait tout à coup incarnée. Descendant du ciel sur la terre, elle aurait, pour la première fois, à Milet, fait irruption sur la scène de l'histoire; et sa lumière, désormais révélée, comme si les écailles étaient enfin tombées des yeux d'une humanité aveugle, n'aurait plus cessé d'éclairer les progrès de la connaissance. «Les philosophes ioniens, écrit ainsi John Burnet, ont ouvert la voie que la science, depuis, n'a plus eu qu'à suivre » (J. Burnet, Early Greek Philosophy, 3e éd., Londres. 1920, p.V, traduction : L’aurore de la philosophie grecque, 1919).

Qu'en est-il en réalité? Les Milésiens sont-ils déjà, dans le plein sens du terme, des philosophes? Dans quelle mesure leurs ouvrages - que nous ne connaissons d'ailleurs, dans le meilleur des cas, que par de très rares fragments - marquent-ils, par rapport au passé, une coupure décisive? En quel sens les innovations qu'ils apportent justifient-elles qu'on inscrive à leur crédit l'avènement de ce nouveau mode de réflexion et de recherche que nous appelons «philosopher»? À ces questions il n'est pas de réponses simples. Mais c'est précisément en affrontant cette complexité, en la prenant en charge, qu'on peut espérer mettre en place les divers aspects du problème des origines de la philosophie.

Et d'abord, un point de vocabulaire. Au VIe siècle, les mots «philosophe», «philosophie» n'existent pas encore. Le premier emploi attesté de philosophos figurerait dans un fragment qu'on attribue à Héraclite, au début du Ve siècle. En fait, c'est seulement avec Platon et Aristote que ces termes acquièrent droit de cité en prenant une valeur précise, technique, et à certains égards polémique. S'affirmer «philosophe», c'est, autant et plus encore que se rattacher à ses devanciers, prendre ses distances à leur égard: c'est ne pas être, comme les Milésiens, un "physicien", se limitant à une enquête sur la nature (historia peri phuseôs), n'être pas non plus un de ces hommes qu'aux VIe et Ve siècles encore on désigne du nom de sophos, «sage», comme les Sept Sages, au rang desquels figure Thalès, ou sophistès, «habile en savoir», à la façon de ces experts dans l'art de la parole, ces maîtres en persuasion, à compétence prétendument universelle, qui s'illustreront au cours du Ve siècle, et dont Platon fera, pour mieux établir par contraste le statut de sa discipline, le repoussoir du philosophe authentique.

Phusiologos, sophos, sophistès, voire, si l'on s'en tient à certains propos de Platon (Cf. Platon, Le Sophiste, 242 cd), muthologos, « raconteur de fables, d'histoires de bonnes femmes» - autant dire qu'aux yeux de la philosophie constituée, établie, institutionnalisée par la fondation d'écoles, comme l'Académie et le Lycée, où l'on enseigne à devenir philosophe, le sage Thalès, en faisant démarrer les recherches des Milésiens, n'a pas pour autant franchi le seuil de la nouvelle demeure. Mais, si résolue que soit l'affirmation de la différence, elle n'exclut pas la conscience de la filiation. Parlant des «anciens» penseurs, ceux d'«autrefois», dont il récuse le «matérialisme» Aristote observe que Thalès est à juste titre considéré comme «l'initiateur de ce type de philosophie» (Aristote, Métaphysique, 983 b20).

Hésitations dans le vocabulaire qui les désigne, incertitudes à leur égard des grands philosophes grecs classiques: le statut des Milésiens ne va pas sans faire problème.

Pour évaluer exactement leur apport aux origines de la philosophie, il faut commencer par les situer dans le cadre de la culture grecque archaïque. Il s'agit d'une civilisation fondamentalement orale. L'éducation y repose non sur la lecture de textes écrits, mais sur l'écoute de chants poétiques transmis, avec leur accompagnement musical, de génération en génération.

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