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De Musica de saint Augustin

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Par   •  27 Décembre 2013  •  5 016 Mots (21 Pages)  •  1 168 Vues

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Augustin

De Musica

Il faut sans doute attendre le De Musica de saint Augustin pour que la relation de la musique à la philosophie soit pensée sur des fondements nouveaux. La musique n'est plus pour l'évêque d'Hippone ce qu'elle était pour la tradition philosophique et rhétorique (une pathétique de l'âme, soit bénéfique, soit maléfique) ; elle est un espace de résonance au sein duquel la créature fait l'expérience du Dieu présent au plus intime d'elle-même. Le De Musica est le dernier livre profane conçu avant la conversion, puisque la première rédaction commence en 387, sans doute avant le baptême, qui a lieu au mois d'avril. Toutefois, cet essai ne sera complété par le livre VI, qui lui donne tout son sens, qu'après le retour à Carthage, soit en 389. Mais il ne sera jamais achevé, puisque les six livres du De Musica devaient être suivis, sous le titre général De Melo, de six autres sur la mélodie qui ne verront jamais le jour. En outre, le projet initial prévoyait d'inscrire l'ouvrage dans un ensemble d'études consacrées aux arts libéraux, projet qui sera abandonné.

Le De Musica s’inscrit dans une tradition platonicienne, et plus encore plotinienne : il s’agit de s’élever « des réalités corporelles aux incorporelles » (IV, II, 2, p. 681), et du phénomène purement sonore à l’idée du rythme et de l’harmonie qui sont en l’esprit comme le souffle même de l’âme et la modulation du Verbe. Le livre I donne des éléments d’arithmétique et de métrique pour une théorie pythagoricienne et platonicienne de la musique ; les livres II à V développent une analyse érudite et complexe du rythme poétique, à l’aide de très nombreux exemples empruntés aux manuels de scansion poétique de l’époque. Mais le livre VI, très différent des précédents, ouvre la voie d’une réflexion radicalement nouvelle sur l’écoute et le plaisir musical. Selon une dialectique ascendante dont l’esprit est, en apparence du moins, conforme au platonisme, Augustin entreprend de conduire méthodiquement l’esprit de la mélodie charnelle à l’harmonie incorporelle, « pour que les jeunes gens, voire les hommes de tout âge, dotés par Dieu d’une bonne intelligence, s’arrachent, sous la conduite de la raison, non point précipitamment, mais comme par degrés, aux sensations corporelles et aux littératures charnelles auxquelles il leur est difficile de ne pas s’attacher » (VI, I, 1, p. 680). Augustin se rend ainsi attentif à l’acte de l’âme qui se met à l’écoute de la musique. Et tandis que Platon fait de la musique un charme qui enivre et possède l’âme contre son gré, par l’effet transcendant d’une magie plus qu’humaine, en revanche Augustin médite le recueillement de l’âme qui fait silence en elle pour mieux entendre la voix intérieure de la musique. Car c’est l’âme, et non l’oreille qui se met à l’écoute, qui se prépare à une réception active, non passive, une participation intellectuelle au développement de la phrase musicale et non à une possession enthousiaste qui aveugle la raison et libère l’irrationnel. La musique, que le livre I définissait comme ars bene modulandi (I, II, 2, p. 557) (1), et ars bene movendi (« la musique est la science du mouvement bien réglé » : I, III, 4, p. 558-559), « l’art de bien de bien moduler, ou de bien se mouvoir » (la modulation donnant le modus, la mesure, à ce qu’il peut y avoir de débridé dans le chant et la danse : I, II, 2), est un certain rythme qui se déploie dans la durée et qui suppose, de la part de celui qui l’écoute, un acte de mémoire qui rassemble les divers sons dans l’unité de la mélodie. Sans cet acte de mémoire, le son « serait semblable à une trace imprimée dans l’eau, qui ne se forme pas avant qu’on ait enfoncé le corps dans l’eau et ne subsiste plus quand on l’a retiré » (VI, II, 3, p. 683). C’est donc la vertu de mémoire (les neuf Muses, d’où vient le mot « musique », sont filles de Mnémosyne) qui non seulement conserve le souvenir du son passé et en imprègne le son actuel, mais encore anticipe le son avenir par l’intelligence de la modulation (2). L’écoute musicale éveille en nous l’attention de la mémoire, qui conserve à la fois l’empreinte de ce qui n’est plus et prête l’oreille au chant qui va venir (mémoire d’avenir). Cette mémoire intellectuelle, « distension de l’âme » (Confessions, XI, 26 : « Le temps n’est rien d’autre qu’une distension. Mais une distension de quoi, je ne sais au juste, probablement de l’âme elle-même ») réussit à ouvrir un espace non temporel au sein de l’écoulement temporel lui-même, et marque le recueillement d’un esprit capable de résister au temps qui le disperse et à l’évanescence de l’instant présent. Seul l’homme, appelé à s’arracher au devenir et à ressusciter dans l’éternité, la possède. C’est pourquoi les animaux peuvent bien être sensibles à la musique, qu’ils semblent entendre comme les ours ou les éléphants (I, IV, 5, p. 560) qui dansent aux sons du tambour, ou qu’ils semblent composer comme le rossignol qui entonne son chant, de même que les pies et les perroquets (I, IV, 5 et 6, p. 560-562) ; mais ils ne font en réalité que réagir à des stimuli sonores instantanés et sont incapables de s’élever à une écoute véritable de la ligne mélodique. Ce n’est donc pas le corps qui écoute la musique, mais bien l’âme qui se ressouvient, à l’occasion de la sensation sonore, du « mouvement vital » qui est en elle (3) et qui juge de la justesse de l’harmonie et de la mesure des durées. Aussi l’âme peut-elle entendre, non par l’oreille du corps mais par celle de l’esprit, une musique tout intérieure qui progresse dans le silence : « Cette puissance naturelle d’appréciation inhérente aux oreilles ne cesse pas d’exister dans le silence. Le son ne nous l’apporte pas ; il est plutôt reçu par elle, comme digne d’approbation ou de réprobation » (VI, II, 3, p. 683) (4). Et de même que les yeux lancent un rayon lumineux qui façonne l’image immatérielle du monde visible (5), de même les oreilles, à l’écoute du rythme de la mémoire et du pouls de l’esprit (6), sculptent la forme incorporelle de la ligne mélodique. Ainsi le corps est-il pour l’âme comme un capteur de sons, une caisse de résonance qui suscite en l’esprit la réminiscence d’une harmonie éternelle et divine, et il en est ainsi depuis le premier péché, puisque c’est maintenant le corps qui a pouvoir de solliciter, par ses rythmes, l’attention de l’âme, tandis qu’avant la faute l’âme était souveraine dans le corps et n’avait pas besoin du

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