Penser, C'est Dire Non
Rapports de Stage : Penser, C'est Dire Non. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 2 Décembre 2012 • 1 966 Mots (8 Pages) • 1 173 Vues
La capacité de penser est ce qui différencie, outre certains caractères physiques, l'homme des animaux. Or l'acte de penser peut se présenter sous trois formes de démarche intellectuelle distinctes. La première est celle de la simple prise de conscience. Ainsi, lorsque l'on pense à quelque chose, on se le représente mentalement : si je pense à une maison, je me la représente en image ou en idée. Penser, c'est aussi, à un degré supérieur, conceptualiser : lorsque nous raisonnons pour déterminer la nature d’un être, nous en formons le concept, nous nous le représentons de façon rationnelle en faisant la part en lui ce qui le caractérise en propre et de ce qui pourrait changer sans qu’il cesse d’être ce qu’il est. Mais l’acte de penser, c'est aussi et peut-être surtout celui de juger : lorsque nous prenons position sur l’une ou l’autre question ou lorsque nous faisons des choix délibérés, nous pensons que les choses sont ou doivent être ainsi que nous le déclarons.
Alain dit, en parlant de la dernière façon de penser, que nous venons d’évoquer, que « penser, c'est dire non ». Qu'en est-il ? Doit-on considérer que la pensée, quand elle prend la forme du jugement, consiste en un refus, en une distanciation critique par quoi nous nous défendrions d’adhérer à une certaine façon de voir les choses ? S’il semble aller de soi, pour peu que l’on y prenne garde, que la pensée ne peut s’affirmer qu’en se démarquant de l’opinion, aux convictions bien souvent irréfléchies, il semble non moins évident qu’elle ne saurait en rester là, sous peine de sombrer dans un scepticisme stérile. Par où l’on voit qu’en se demandant si « penser, c’est dire non », nous sommes conduits à apprécier la valeur mais aussi les limites de l’esprit critique afin d’en déduire, pour nous-même, une sage façon de nous conduire lorsque nous prétendons penser.
Pour pouvoir répondre au plus juste à la question de savoir si penser, c’est dire non, nous aurons à nous en poser successivement trois autres. En quoi le jugement peut-il être conçu comme étant un refus ? En quoi, toutefois, ne saurait-il s’y réduire ? Et, enfin, en quoi la pensée est-elle, somme toute, un processus relevant à la fois du refus et de l'adhésion ?
Pour bien voir en quoi le fait de penser peut consister en un refus, il est capital d'analyser les étapes de la formation d'un jugement. Intellectuellement parlant, nous ne sommes pas vierges. J'entends par-là qu'ayant déjà une certaine expérience de la vie, nous avons été amenés par la force des choses à avoir des avis sur ce qui nous entoure. Mais ces avis ne sont en fait que des opinions, des idées que nous tenons pour vraies sans en avoir réellement analysé la teneur et estimé la valeur.
Ainsi, quand nous nous efforçons de penser, c’est-à-dire ici de juger les choses avec justesse, deux choix s'offrent à nous : rejeter l'opinion ou en faire une authentique pensée en l'approfondissant et en la consolidant au moyen d'un raisonnement la justifiant. Nous refusons alors partiellement ou totalement de croire en cette opinion.
Pour illustrer ce propos, je ferai une fois encore référence à Alain, qui dans ses propos du 16 juin 1923 et du 24 décembre 1927 disait respectivement : « ne point douter avant de savoir, car douter de quoi ? » et « si l'on veut n'être pas esclave, il faut d'abord n'être pas dupe, et résister en détail. Refuser de croire est le tout ; et ce refus définit assez l'intelligence ». Le premier propos explique que l’on prenne l'opinion comme point de départ, tandis que le second incite à l’examiner avant soit de la rejeter soit de l’adopter. Mettons que l'on veuille par exemple juger avec justesse de ce qu'il convient de faire lorsque l'on est malade : deux opinions, qui sont communément défendues, s'offrent à nous. Nous pouvons nous dire qu'il faut rester chez soi et se soigner, ou bien aller tout de même ou travail ou, tout du moins, vaquer à nos occupations habituelles. Ces deux opinions ne sont pas plus fausses l'une que l'autre, mais nous sommes tenus de les tenir à distance pour les examiner. Après examen, on conclura aisément qu'il ne s'agit ni de se borner à l'une dans tous les cas de figure, ni de se borner à l'autre chaque fois que le choix se présentera. Tout dépendra par exemple du degré de gravité du mal dont on souffrira, des risques que l’on encourra de l’aggraver en ne s’arrêtant pas. L'examen accompli nous conduira avec bon sens à nous dire que chacune des deux solutions peut être valable, et que ce qui doit justifier notre choix n'est point l’adhésion à l'une ou à l'autre pour telle ou telle raison, mais plutôt notre état du moment. C'est là l’exemple d'un jugement réfléchi qui a, en fait, transformé en pensée les deux opinions qui lui avaient servi de point de départ.
Mais l'opinion peut se présenter sous plusieurs formes, soit, comme nous venons de le voir, sous la forme d’un avis, communément exprimé, mais aussi sous la forme d’un point de vue personnel qui nous est suggéré. Dans l’un et l’autre cas, nous devons résolument agir de la même façon. C'est-à-dire que, si quelqu'un nous présente son opinion en nous disant ce qu'il convient de faire dans telle ou telle situation, nous devons réagir comme suit : nous ne devons pas accorder plus de crédit à cette affirmation que nous n'en aurions accordé à une opinion plus « publique ». Mais nous devons analyser cette opinion, et nous pourrons nous l'approprier, en faire notre pensée, si nous sommes d'accord , après réflexion, avec le point de vue de notre conseiller. Si quelqu'un maintenant tente de nous convaincre, la situation est analogue, à ceci près que notre mentor nous guide dans les étapes de son raisonnement, ce qui n'était pas nécessairement le cas dans la situation précédente. Mais alors même qu’il tente de nous persuader, nous ne devons pas céder à la tentation de le laisser jouer sur nos affects et les laisser prendre
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