Oublier ?
Dissertation : Oublier ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 4 Avril 2013 • Dissertation • 2 828 Mots (12 Pages) • 761 Vues
« Dring », le téléphone sonne. « Roger à l’appareil. Nous sommes en bureau, peux-tu préparer une planche pour décembre ou janvier ? »
Saisi par la question sans détour, mon esprit est immédiatement traversé par 2 sentiments opposés : Le premier : Zut, finie la tranquillité sur les colonnes, il va falloir monter sur le plateau d’orateur après avoir trouvé et rédigé un travail susceptible d’intérêt. Le deuxième fut un sentiment de devoir nécessaire d’autant plus vif que mes frères, et, parmi eux mes jumeaux, ont déjà relevé cet engagement, et de belle manière.
Deux jours après cette demande, à l’occasion d’une discussion avec ma fille au sujet de son premier devoir de philosophie, une anecdote relative à mon premier devoir dans cette matière (année scolaire 1980-1981) m’est revenue en tête. Le sujet était : « Faut-il savoir oublier ?» Mon goût, alors au stade embryonnaire pour cette discipline, couplé à la fois à ma désinvolture et à l’esprit provocateur caractéristique de l’âge bête face à un enseignant dont l’allure - certainement travaillée – était la caricature même du prof de philo, m’a conduit à une réponse non seulement dictée par une faible disposition à l’effort révélatrice de l’adolescence boutonneuse, mais aussi tentée fébrilement dans l’espoir de trouver chez mon lecteur une dose suffisante d’humour. Ma réponse écrite à cette interrogation fut : Je ne sais pas, j’ai complètement oublié. Ma provocation, bien que porteuse d’une certaine dimension de courage, fut appréciée sans indulgence comme en témoigne le zéro porté sur ma copie et assorti d’aucun commentaire, ce qui constitue une preuve de la validité du fameux avertissement de Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ».
30 ans plus tard, le souvenir soudain de cette mésaventure à l’heure où je suis en train de chercher un sujet m’a interpellé. Est-ce vraiment le hasard ou est-ce la nécessité aujourd’hui pour moi de me poser une telle question et de tenter d’y apporter ma réponse cette fois ?
Si la notion d’oubli et son corollaire la notion de mémoire ont une dimension collective majeure, la dimension personnelle n’est pas moins importante. Je me situerai donc successivement à chacun de ces niveaux qui s’entremêlent d’ailleurs.
Donc, « Faut-il savoir oublier ? ». Notons d’abord que le verbe « savoir » inclus dans la question tend à induire une réponse affirmative puisqu’il suggère l’idée que « oublier » est une faculté qui s’apprend. Mais, à y regarder de plus près, les deux verbes « savoir oublier » soulignent plus précisément qu’il faut opérer un tri dans les événements passés, et, qu’ainsi il est hors de propos de tout retenir au risque sinon, au plan individuel, de devenir fou et, au plan collectif, de d’altérer l’avenir.
Au plan individuel, l’oubli est nécessaire pour s’alléger du poids du passé, pour interrompre des trajectoires négatives et pour ne pas rester figé. Madame de Staël affirme : « On ne trouve de bon dans la vie que ce qui la fait oublier ». Fin de citation. Oublier, c’est cicatriser des blessures douloureuses. Selon le philosophe Nietzsche, il est possible de vivre sans se souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est impossible de vivre sans oublier. Il rajoute ce conseil : « Souviens-toi d’oublier. » Mais la pratique n’est pas aisée. Montaigne nous avertit : « Rien n’imprime si vivement quelque chose à notre souvenance que le désir de l’oublier ». Pour les victimes de traumatismes violents lors d’attentats, d’actes de tortures, d’agressions sexuelles, de catastrophes naturelles, d’accidents, … l’oubli est indispensable. Ainsi, des psychologues interviennent pour aider à dépasser ces événements. Lorsqu’on considère que les bourreaux d’aujourd’hui sont souvent les victimes d’hier, le schéma initial se reproduisant, on réalise l’importance de savoir oublier. Ainsi, il n’est pas rare de trouver chez des adultes maltraitants de jeunes enfants, d’anciens enfants eux même maltraités.
Boris Cyrulnick, célèbre psychiatre dont les parents sont morts en déportation a échappé à l’arrestation. Cette expérience traumatisante le poussa vers la psychiatrie et l’amena notamment à développer en France le concept de « résilience », c’est-à-dire la capacité à « renaître de sa souffrance ». La résilience peut être définie comme un phénomène psychologique qui consiste pour un individu affecté par un traumatisme à prendre acte de l’événement pour ne plus vivre dans la dépression. Structuration précoce de la personnalité, réflexion et parole aident à la survenance de la résilience. Il ne s’agit pas d’oubli absolu mais de trouver un moyen de dépasser l’événement traumatique comme on s’accroche à une perche pour sortir d’une zone de sable mouvant.
Dans le cas de la perte d’un être cher, événement qui touche tout le monde, une certaine forme d’oubli est nécessaire. Ce n’est pas là non plus un oubli absolu, mais il s’agit de parvenir à se détacher des difficultés morales causées par l’absence, de s’adapter à une existence modifiée par cette absence. Travailler à gommer la douleur n’est pas trahir le défunt, ce n’est pas une trahison dont on devrait avoir honte, ou dont on devrait se culpabiliser car il ne s’agit pas d’oublier les sentiments envers la personne disparue mais de se donner les moyens de continuer sa vie avec ceux qui restent. D’ailleurs, si apprendre à aimer est possible, apprendre à oublier les sentiments me semble impossible, ce qui ne signifie pas cependant que l’amour ne puisse jamais disparaître. La chanson de Léo Ferré « Avec le temps » est, à ce propos, à la fois très belle et, souvent, glaçante de pertinence. Face à la difficulté de devoir surmonter un deuil, difficulté qui semble dans certains cas à priori insurmontable, le temps est, en effet, un allié précieux. Insensiblement, le temps qui passe dompte et estompe l’agressivité prégnante de l’événement. Et, je pense qu’il est d’autant plus facile de se défaire de la douleur postérieure au départ qu’on n’a pas oublié d’exprimer, au cours de la vie, les sentiments qui nous rapprochaient, le verbal n’étant pas, d’ailleurs, le seul moyen d’expression.
Quant à la blessure sévère infligée par autrui, l’oubli est la seule issue pour ne pas rester englué dans le ressentiment stérile. Il ne faut surtout pas garder pour soi la violence perçue suite à un acte ou l’absence d’acte d’une personne, suite à un mot ou le silence d’autrui ; ceci est d’autant plus vrai que la personne en question nous est
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