La Foi S'oppose T'elle A La Raison
Commentaires Composés : La Foi S'oppose T'elle A La Raison. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 22 Février 2012 • 4 042 Mots (17 Pages) • 9 230 Vues
La raison et la foi semblent s’installer dans une suspicieuse rivalité et une conflictuelle mutualité depuis des millénaires. L’explication rationnelle par la force des arguments paraît dénier toute objectivité à tout ce qui relève du surnaturel et du mystique. En conséquence, le domaine de la pensée rationnelle et objective est souvent présenté comme incompatible avec la croyance qui recèle un irrationnel et une subjectivité irréductibles. Il convient tout de même de se demander si la raison s’oppose vraiment à la croyance religieuse. Depuis les origines, raison et croyance religieuse ne s’imbriquent-elles pas ? Ne vont-elles pas de pair dans les mythes, dans les cosmogonies comme en science théologique ? En effet, raison et foi religieuse s’inscrivent dans la relation de complémentarité qui existe entre comprendre et croire, entre intelligence et foi. En dépit de l’abondante littérature disponible sur cette question, nous nous évertuerons encore à montrer, dans le cadre de cette réflexion à L’Academos, que sous certains rapports, raison et croyance religieuse s’opposent aussi comme le font l’objectif et le subjectif, le rationnel et l’irrationnel. Ce rapport devient davantage conflictuel lorsqu’une instance transgresse les frontières de l’autre ou cherche à s’en affranchir.
I. CROYANCE RELIGIEUSE ET FOI
Avant de comparer raison et croyance religieuse, il nous paraît opportun d’éclairer la lanterne sur les nuances de sens entre croyance et foi. Il est important de saisir les mots croyance et foi comme des expressions dont on peut faire usage dans un champ sémantique qui ne doit rien à l’univers théologique. De même que Karl Jaspers parle de « foi philosophique » comme adhésion à une vérité fondamentale du fait de son inclination intellectuelle, l’on peut appréhender la croyance en tant qu’un mode particulier de connaissance. C’est dans ce sens que Bernard Lonegan affirmait que l’appropriation que l’on fait de son héritage social, culturel et religieux est en grande partie une question de croyance […la] connaissance que l’individu acquiert par lui-même (immanently generated knowledge), n’est qu’une faible portion de ce que tout homme civilisé considère savoir. Bernard Lonegan poursuit en disant qu’on oppose souvent science et croyance, mais en fait, la croyance joue un aussi grand rôle en science que dans presque tous les autres secteurs de l’activité humaine […] Je ne puis communiquer à un autre ma faculté de juger, mais je puis lui transmettre ce que j’affirme ou ce que je nie et il peut me croire (Pour une méthode en théologie, Paris, Cerf, 1978, p. 57-59).
Cette précision faite, il va de soi que ces deux termes appartiennent en général au registre religieux . Ainsi« croyance religieuse » et « foi » sont des notions similaires, elles relèvent de la même sphère du sacré mais comportent des différences de contenu sémantique. « Croire » (credere, faire crédit à), c’est se fier à un être sans vue directe, par un assentiment plus ou moins parfait. Ainsi, du fait de la finitude de l’homme, il est naturellement porté vers un être transcendant qu’il considère comme l’auteur de son existence : c’est la croyance en la transcendance. Cette relation naturelle de l’homme en tant qu’animal religieux à la transcendance s’appelle la croyance. Selon Maurice Blondel, cité par André Lalande, « la croyance est le consentement effectif et pratique qui complète l’assentiment raisonnable donné à des vérités et à des êtres dont la connaissance n’épuise pas leur plénitude intérieure.» Cette définition de la croyance nous paraît plus proche de la croyance religieuse et de la foi à cause de l’évocation du consentement pratique et du contenu de l’assentiment.
En effet, la croyance religieuse est un autre niveau de croyance, elle est l’expression de la nature religieuse de l’homme qui se matérialise par l’attachement à une religion. Elle est un niveau faible de ce qu’on appelle « foi ». Avoir la foi, disait Jaspers, c’est vivre inspiré par l’Englobant et se laisser conduire par lui. C’est une nouvelle naissance que subit notre être dans l’acte transcendant. La foi, comme une nouvelle naissance, est un acte d’adhésion à un être suprême. La foi n’est pas simple relation croyante mais adhésion effective parce qu’elle fait intervenir un contenu constitué de vérités professées et de rites. La croyance en Dieu s’appelle la foi. La foi serait, selon Jean Paul II, la reconnaissance pleine et intégrale de Dieu comme garant de la vérité révélée. Car « le Dieu qui se fait connaître dans l’autorité de sa transcendance absolue apporte aussi des motifs pour la crédibilité de ce qu’il révèle. Par la foi, l’homme donne son assentiment à ce témoignage divin.»
En dépit de la mention claire de Dieu dans l’acte de foi ou la profession de foi, et malgré le fait que la relation à la transcendance ne fait pas nécessairement d’un homme un croyant, croyance et foi ne s’opposent pas pour autant à l’intérieur du croire. La foi présuppose la croyance par la lumière naturelle de la raison, elle implique la croyance religieuse, c’est-à-dire la croyance en un Etre supérieur dont le nom serait Absolu, Dieu, Allah… La foi nécessite non seulement l’adhésion à des vérités établies ou dogmes mais aussi une pratique religieuse ou cultuelle. Afin de mieux saisir cette relation d’intimité, il serait judicieux de se référer ici à Pierre-Jean Labarrière. Selon lui, croire, c’est engager d’un seul mouvement une foi et une croyance. « L’articulation entre foi et croyance est en fait l’une des clefs de l’intelligence de l’acte du croire … La croyance est objet d’enseignement et se laisse juger sur la rectitude d’une formule ; la foi est chose plus intime, plus universelle aussi dans sa dimension de fondement sans mesure ; elle désigne une attitude, un dynamisme transformant marqué de puissance créatrice.»
Labarrière distingue croyance et foi qui procèdent toutes deux du croire. Il fait remarquer le rapport de la croyance à la rectitude d’une formule et celui de la foi à une attitude, à un dynamisme créateur. Il est clair que, pour Labarrière, la foi ne se limite pas aux formules dans lesquelles elle se dit, qu’elle va jusqu’à la « chose » qui là se trouve visée, elle franchit le pas qui mène du vocable soigneusement poli à la réalité foncière en elle-même inaccessible. D’où, selon lui, la plus grande universalité de la foi par rapport à la croyance. Mais croyance et foi ne sont pas
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