L'art Peut-il Se Passer De règles
Compte Rendu : L'art Peut-il Se Passer De règles. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar rover95 • 16 Mars 2014 • 1 395 Mots (6 Pages) • 1 232 Vues
L'œuvre d'art doit être absolument singulière puisque cette singularité est la conséquence de l'originalité de la règle, elle-même renvoyée au génie de l'artiste comme talent inné. Mais suffit-il d'être original pour être authentiquement créateur ? Après tout, si personne n'avait jamais fait ce que je suis en train de faire, ce n'est peut-être pas sans raison : peut-être est-ce moins le manque d'originalité que le sens du ridicule, qui retenait mes prédécesseurs.
Reprenons alors l'argument des avocats de Brancusi : L'Oiseau dans l'espace n'est pas une représentation fidèle ou « objective » d'un oiseau, mais de quel droit ce critère est-il retenu pour disqualifier sa valeur artistique ? Après tout, nous savons depuis Kant qu'une œuvre d'art n'est pas la représentation d'une belle chose, mais la belle représentation d'une chose : l'important, c'est l'émotion esthétique qu'elle soulève chez le spectateur, émotion qui s'atteste objectivement dans l'impossibilité où l'on est d'assigner à l'œuvre le moindre usage pragmatique. De ce point de vue, il suffit alors pour faire œuvre de retirer sa fonction à un objet, de suspendre son utilité, par exemple en l'exposant, et de le signer pour le rendre unique, et c'est exactement ce que fit Duchamp avec son urinoir. Une première règle semble alors pouvoir être identifiée : il faut que l'œuvre ne soit pas au service de l'usage, il faut qu'elle invite à la contemplation et non à la manipulation. Or, pour inviter à une telle contemplation, elle doit surprendre, être inattendue, c'est-à-dire être le corrélat objectif d'une créativité originale. En d'autres termes, en affirmant que l'absence de finalité pragmatique est le critère qui permet de différencier les œuvres des objets, nous ramenons effectivement l'essence de l'art à l'originalité de l'artiste. Par conséquent, nous affirmons que ce qui importe en art, c'est moins le résultat (l'œuvre) que la nouveauté de la règle, c'est-à-dire le génie du créateur : ce qui fait de l'urinoir de Duchamp une œuvre d'art, c'est justement sa nouveauté, c'est-à-dire l'inventivité de son auteur, et non l'urinoir lui-même. Il revient alors à Hegel d'avoir critiqué ces doctrines qui, sous couvert d'encenser la créativité de l'artiste, en viennent en fait à secondariser l'œuvre. Dans ce qu'il nomme « l'art romantique » en effet, « l'artiste, avec sa manière toute personnelle de sentir et de concevoir, avec les droits et le pouvoir arbitraire de ce qu'on appelle communément l'esprit, s'érige en maître de toute réalité, change à son gré l'ordre naturel des choses, ne respecte rien, foule aux pieds la règle et la coutume » (L'Esthétique). L'artiste romantique tend à s'ériger en divinité souveraine et capricieuse, qui refuse de s'effacer devant son œuvre et qui jouit de pouvoir défaire tout ce en quoi elle se manifeste (ses œuvres elles-mêmes), parce qu'elle prétend ne jamais s'y manifester tout entière : ce que je peux faire dépassera toujours en génie tout ce que je fais et ferai, mon talent créateur vaut mieux que ce que je crée. L'art devient alors un « jeu qui pose et dissout tout à partir de lui-même », et pour lequel « il n'y a pas de place pour le sérieux ». Plus rien n'est sacré ou sérieux, effectivement : l'artiste romantique jouit d'être sacrilège, de n'accorder de valeur à rien, de refuser tout principe fixe, toute règle. Mais, au fond, c'est parce qu'il n'aime que lui-même et méprise son œuvre comme étant indigne de lui.
En refusant de faire œuvre, c'est-à-dire de prendre sa propre œuvre au sérieux, l'artiste se croit libre : il place la liberté dans le refus de toute règle et de tout contenu, en traitant tout de manière arbitraire et selon son bon plaisir. Mais c'est là pour Hegel une caricature de la liberté véritable, laquelle ne saurait se trouver dans l'isolement d'un sujet absolu qui entend s'affranchir du monde et des règles par l'humour et la distance, par le détachement ironique, par cette irresponsabilité ici magnifiée (rien ne m'engage, rien ne me lie, je peux créer tout et son contraire). Étrange figure de l'artiste, qui tient plus à soi qu'à son œuvre, et pour qui tout est vain ! Car enfin, « chacun est ce qu'est son monde », comme le dit Hegel : le monde de l'artiste
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