Appel aux psychanalystes d'Elisabeth Roudinesco et Alain Badiou
Commentaire d'oeuvre : Appel aux psychanalystes d'Elisabeth Roudinesco et Alain Badiou. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lambsa • 5 Novembre 2014 • Commentaire d'oeuvre • 923 Mots (4 Pages) • 859 Vues
Appel aux psychanalystes d'Elisabeth Roudinesco et Alain Badiou
La psychanalyste et le philosophe, coauteurs de "Jacques Lacan, passé présent" (Seuil), sonnent l’alarme : la psychanalyse s’est coupée de la société. Mais, plus que jamais, il faut défendre sa dimension libératrice.
A la fin de l'un ouvrage que vous avez écrit ensemble, vous lancez un appel pour sauver la psychanalyse. Que se passe-t-il de si grave ?
Alain Badiou. La psychanalyse est, avec le darwinisme et le marxisme, l’une des révolutions majeures de notre temps. Dans les trois cas, il ne s’agit ni de sciences exactes, ni de croyances philosophiques ou religieuses, mais de "pensées" : matérialistes, liées à des pratiques, elles ont changé notre vision du monde et subissent le même type de critiques. Les attaques contre la psychanalyse doivent être donc comprises dans le cadre d’une crise globale de l’intellectualité. Une crise qui, si l’on veut la résumer, se caractérise par la tentative de remplacer le "sujet" par l’individu. Qu’est-ce que le "sujet" ? C’est l’être humain compris comme un réseau de capacités qui lui permettent de penser, créer, partager, agir collectivement, aller au-delà de ses singularités, ce qui est la condition de la liberté. Bien sûr, le sujet est porté par l’individu et ses singularités – un corps, une identité, une position sociale, des pulsions – mais ne s’y réduit pas. Etre sujet, c’est circuler entre la singularité et l’universalité, et c’est sur cet écart que la psychanalyse fonde son action : elle aide l’individu à devenir pleinement un sujet. En cela, c’est une discipline émancipatrice avant d’être thérapeutique.
Cette dimension est-elle vraiment menacée ?
A. Badiou. Aujourd’hui, on nous dit qu’être un individu suffit largement. C’est le discours du libéralisme soi-disant démocratique et libéral, mais qui produit des individus malléables, soumis, enfermés, incapables d’actions communes : des individus privés de la capacité d’être sujet. Car le capitalisme n’a que faire des sujets : seul l’intéresse l’appétit animal des individus. Mais c’est aussi le discours de la neurologie, qui veut réduire l’individu à sa dimension neuronale. Se moquant des savants qui, au XIXe siècle, croyaient pouvoir déduire les caractères d’un individu de la forme du crâne, Hegel disait que, pour eux, "l’esprit est un os". Aujourd’hui, la neurologie dit : "L’homme est un gros sac de neurones." Ce n’est pas mieux ! Nous avons affaire à un nouveau scientisme, asservi cette fois au déploiement du capital. Dans le champ du psychisme, seule la psychanalyse, je crois, est en mesure de nous en préserver. Mais – c’est là le deuxième volet de notre appel – je n’ai pas le sentiment que les psychanalystes, pris dans leurs querelles intestines, fassent ce qu’il faut pour se défendre. Ils doivent trouver le moyen de satisfaire la nouvelle demande qui leur est adressée sans céder à ce néo-positivisme. Ils sont immobiles, à eux de faire un pas en avant.
Elisabeth Roudinesco, vous qui défendez la psychanalyse depuis longtemps,
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