L’art a-t-il besoin de règles ?
Dissertation : L’art a-t-il besoin de règles ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Indxfxr • 19 Avril 2020 • Dissertation • 3 638 Mots (15 Pages) • 904 Vues
Corrigé-type du devoir PHILOSOPHIE – PH00[pic 1][pic 2][pic 3][pic 4][pic 5]
L’art a-t-il besoin de règles ?
Laure Bordonaba
[pic 6]Ce « corrigé » est loin d’être la seule manière de traiter la question qui vous était posée: vous êtes tout à fait libre de proposer une autre réponse au sujet, de la construire différemment, et de mobiliser d’autres arguments. Cela constitue seulement un exemple de traitement possible, qui entend vous montrer comment les éléments du cours, ainsi que les textes et documents proposés à la lecture pouvaient être mobilisés pour répondre à la question.
Introduction
« Faire quelque chose dans les règles de l’art », c’est la faire correctement, comme il se doit. Cette expression courante établit un lien essentiel entre un art et ses règles, supposant qu’un art consiste avant tout dans les règles qu’il applique. Mais l’art a-t-il vraiment besoin de règles ?[pic 7]
Avoir besoin de quelque chose, c’est ne pouvoir s’en passer : nous avons besoin de manger, de respirer, faute de quoi nous mourons. L’idée que l’art aurait besoin de règles signifie donc que sans elles il ne serait pas lui-même. Or, une règle est un énoncé qui indique ce que l’on doit faire et comment le faire : une règle de grammaire dit comment une phrase doit être construite, une règle de logique dit comment raisonner, une règle sociale régit les comportements. Si l’on entend l’art comme un savoir-faire, il semble effectivement indissociable des règles, puisque ce sont elles qui disent comment il faut faire. Faire sans règles, ce serait faire au hasard, n’importe comment, et donc sans savoir. Cependant, peut-on réduire l’art au savoir-faire ? Notamment, l’art de l’artiste n’est peut- être pas de même nature que celui de l’artisan. Dans la me- sure où son œuvre n’est pas censée avoir d’utilité, l’artiste ne peut-il pas se passer de règles ? Plus encore, ne doit-il pas s’en passer ? En effet, de quelle originalité serait-il capable si sa création dépendait de règles préétablies ?[pic 8]
Nous verrons pour commencer pourquoi un art sans règles n’est pas un art. Puis nous montrerons que la liberté de l’ar- tiste fait de la règle un obstacle. Enfin, nous nous demande- rons si l’art est pour autant étranger à toute règle.
Développement
Envisagé comme savoir-faire, c’est-à-dire capacité à produire volontairement des résultats de qualité, l’art a besoin de règles. En d’autres termes, la notion de règle semble faire partie de l’essence* même de l’art, elle en est la condition nécessaire* : sans règle, il est inapproprié de parler d’« art ».
Tout d’abord, cela nous est suggéré par la langue, et un usage courant qu’elle fait du mot « art ». Par exemple, on attend d’un ouvrage intitulé L’art de la poterie, L’art de la boulangerie ou L’art du rangement, qu’il se présente sous la forme d’un manuel qui expose les règles applicables dans ces domaines. Pour faire un vase ou du pain, il faut connaître les matériaux que l’on utilise, les gestes qui permettent de modeler ou pétrir, respecter les temps de cuisson pour que le vase soit solide, et le pain, man- geable. En revanche, l’exemple du rangement est peut-être moins évident : communément, à la différence de la poterie ou de la boulangerie, il n’est pas considéré comme un art. Mais si un tel ouvrage existait, il se justifierait lui-même en montrant que, pour bien ranger, il faut procéder de manière réglée, mé- thodique, c’est-à-dire que la manière dont on s’y prend a son importance et ne s’improvise pas. Donc, que le rangement – ou quoi que ce soit d’autre – soit ou non un art, cela dépend de la possibilité d’en édicter les règles : le terme d’« art » appelle bien celui de « règles ».[pic 9][pic 10]
C’est pourquoi, inversement, dans les domaines où la règle est impossible, ceux qui sont régis par la nécessité*, il semble absurde de parler d’« art ». Nous pourrions croire, comme le remarque Kant dans la Critique de la faculté de juger, que les abeilles font preuve d’art quand elles construisent leurs ruches : ce qui nous en donne l’impression, c’est le fait qu’elles soient[pic 11]
« régulières », c’est-à-dire que leur construction semble suivre une règle (nous associons donc spontanément art et règle). Tou- tefois, toutes les ruches sont identiques : ce sont des produc- tions naturelles, régies en réalité par la nécessité* de l’instinct
– c’est pourquoi il est erroné d’y voir de l’art. De même, il n’y a pas d’« art » pour jouer à la roulette (le résultat est indépen- dant de notre volonté, on ne peut s’y prendre plus ou moins bien). Ainsi, dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote inscrit l’art dans le domaine du contingent*, celui des choses qui peuvent être ou ne pas être, ou qui peuvent être autres qu’elles ne sont. C’est bien parce que ces choses ne se produisent pas toutes seules ni nécessairement que l’artisan met au point ou applique des règles : leur production en a besoin. Mais cela ne signifie pas que ce que nous fabriquons puisse être indifféremment produit d’une manière ou d’une autre, suivant une règle quelconque : il y a de bonnes manières de faire, des gestes ou des procédures adéquats, qui permettent d’obtenir le résultat escompté, et un produit de qualité. Aristote définit alors l’art comme la « dispo- sition à produire accompagnée de règle exacte, ou vraie » : celui qui maîtrise un art est celui qui connaît les règles à suivre, qui se les est appropriées et sait les appliquer. Il ne réussit pas sa production par hasard ou par chance. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est capable d’enseigner son art, c’est-à-dire d’en expliquer et en transmettre les règles.[pic 12][pic 13]
C’est pourquoi Platon remet en question, dans le Gorgias, le classement de la rhétorique parmi les arts, et refuse à Gorgias le statut de maître. Contrairement à la cordonnerie, la méde- cine ou la peinture, la rhétorique ne saurait prétendre au statut d’art, en raison de l’ignorance et de l’indifférence à la vérité qui la caractérisent. La rhétorique, dit Platon, est tout au plus, comme la cuisine, un ensemble de procédés, de recettes ou de rou- tines non raisonnées : elle ne possède pas ses propres règles, mais simplement ce qu’on appelle familièrement des « trucs »,
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