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Faut-il être sûr de soi ?

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Par   •  14 Décembre 2022  •  Commentaire de texte  •  4 216 Mots (17 Pages)  •  287 Vues

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Faut-il être sûr de soi

« Faut-il » questionne un devoir, un impératif catégorique, ou une nécessité, un impératif hypothétique. Il s’agira de mesurer l’utilité pratique de la sûreté en soi comme moyen technique pour une autre fin qu’il conviendra de définir. Si cette sûreté en soi n’est pas un moyen habile pour une fin utile est-elle alors un devoir moral ? Dans cette hypothèse serait-ce un devoir envers soi ou envers autrui ?

« Être sûr de soi » c’est a priori se faire confiance, et la confiance est de l’ordre de la croyance et de la foi (cum-fides) et non de la connaissance. Être sûr de soi consiste à ne pas douter de soi, à se fier à soi comme on se fie à un pilote ou un médecin. Celui qui est sûr de lui vit en apparente sécurité et supposée tranquillité d’esprit.

Néanmoins pour être sûr de quelque chose il faut connaître ce dont on est sûr, l’avoir examiné et analysé. Je suis sûr que l’eau que je bois est potable car j’en connais la composition, je suis sûr de mon résultat parce que je maîtrise les règles de la démonstration. Si je suis sûr de l’eau que je bois sans me soucier de son origine et de composition, je me mets en danger. La sûreté ne renverrait plus ici à la sécurité mais à la témérité et à l’imprudence. La sûreté peut donc mener à son inverse, c’est le paradoxe.

La sûreté en soi est-elle foi aveugle et présomptueuse en des qualités supposées ou une connaissance objective et lucide de ce que je suis et de ce que je peux ? Renvoie-t-elle à un besoin réel de sécurité ou nous rappelle-t-elle les exigences rationnelles d’un esprit droit, capable de rendre compte de ses fondements ?

La sûreté en soi n’est-elle pas simple orgueil et suffisance d’un sujet refusant toute critique ? N’est-ce pas l’illusoire sécurité de celui qui se réfugie dans le bien connu ?

Si tel est le cas devrions nous chercher à perdre cette assurance, à volontairement ébranler cette présomption en interrogeant nos véritables fondements ? L’impératif catégorique ne serait-il pas de manquer d’assurance, de traverser l’épreuve du doute et de l’examen ?

Pour autant  n’est-ce pas aussi un devoir d’affermir sa volonté et d’en faire un usage ferme et constant ? L’épreuve de doute de soi ne permet-elle pas d’ouvrir sur une nouvelle assurance, éclairée et lucide, qui m’obligerait à bien user de mes capacités à juger puis agir ?


I. La sûreté en soi irréfléchie et aveugle est une méconnaissance de soi immorale

La sûreté en soi peut-être immédiate : est vrai ce que je pense vrai, juste ce qui sert mon intérêt, bon ce qui m’est agréable. Cette sûreté en soi renvoie à une opinion bonne que j’ai de moi sans que cette opinion soit en rien réfléchie et évaluée. Content de moi, orgueilleux, je mé-prise autrui car je m’estime au plus haut point sans savoir mesurer. Comme Thrasymaque, au livre I de la République (Platon), ou Calliclès dans le Gorgias (Platon), celui qui est sûr de lui est dans une foi aveugle dans sa valeur. Cette présomption est tout sauf morale, elle vise à écraser autrui, elle est fermeture sur soi, refus du dialogue, volonté tyrannique d’imposer ses désirs comme ordre du monde.

Lorsque Gygès (Livre II, République, Platon) décide de tuer le roi, il n’hésite pas, il ne réfléchit pas, il se précipite, agit sûr de lui et de l’intérêt de son crime. Qui lui donne cette assurance ? Pas sa loi morale, il en ignore la voix ou s’y rend sourd. Ce qui le rend sûr de lui, c’est la force de son désir. La pulsion enivre, ôte le doute, donne de l’assurance. Selon Thrasymaque cette volonté de puissance me donne une assurance utile, il faut réveiller cette puissance pour m’aider à réussir dans mes projets, pour dominer les doutes, les scrupules, tout ce qui peut me retenir.

Calliclès l’affirme, la morale et la loi sont l’invention de faibles pour entraver les forts, sûrs d’eux et de leur puissance, conscients de leur supériorité et destinés naturellement à dominer les inférieurs.  S’il faut ici être sûr de soi, c’est bien comme moyen pour accéder au pouvoir, n’être par rien entravé.  L’impératif hypothétique de la sûreté en soi s’oppose ainsi radicalement à l’impératif catégorique, il désire même écraser tout souci moral. Il est en effet nécessaire de se détourner de tout frein moral pour exprimer toute la volonté de puissance nécessaire à ma domination.

Il faut donc être sûr de soi pour réussir, s’affirmer et dominer.

Thrasymaque ainsi cherche « l’adulation de la foule », sa puissance rhétorique lui semble admirable, il ne souhaite pas plus douter de lui-même que le poète qui recherche la gloire, l’homme d’Etat  le pouvoir ou l’artisan la richesse. Lorsque Socrate dans l’Apologie  leur renvoie une image négative d’eux mêmes, pauvres ignorants se rêvant omniscients, ils rejettent cette image, ils refusent de douter et préfèrent s’attaquer au questionneur. Socrate mesure, il mesure leur ignorance comme la sienne propre : que vaux-tu ? Or aucun d’eux ne désire douter de sa valeur rêvée, aucun d’eux ne souhaite se connaître, s’éclairer, ils préfèrent s’oublier au profit de leur ombre sociale. Leur orgueil leur donne une force illusoire et ils se sentent faibles lorsque Socrate les démasquent. Ce doute les fragilise et les humilie, ils en retirent haine pour Socrate. La sûreté en soi leur paraît donc un bien précieux pour qu’ils veuillent la mort de qui la fragilise.

Le loup, par exemple, est sûr de lui lorsqu’il s’adresse à l’agneau, il ne doute pas de son désir de le dévorer, ne s’interroge pas sur la légitimité de son action. Face à lui l’agneau tremble, il n’est pas sûr de lui, il a peur. Si le loup hésitait, doutait de sa violence et de son appétit, ce serait un pauvre loup moqué, impuissant, méprisé de ses semblables, risée des ovins. Il faut que le loup soit sûr de lui sinon point de repas, point de respect, point de réussite. La raison du plus fort est toujours la meilleure, pas parce qu’elle est rationnellement ou raisonnablement supérieure, mais parce qu’elle s’appuie sur  une obstination sans faille. Rien ne viendra fragiliser la détermination du loup.

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