L'allégorie dans la fable
Cours : L'allégorie dans la fable. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar noemiezwicky • 4 Février 2020 • Cours • 3 430 Mots (14 Pages) • 767 Vues
Dans son Discours sur la fable, Houdar de La Motte affirme que lorsqu’on veut composer une fable, il faut « se proposer d’abord quelque vérité à faire entendre ». Mais, poursuit-il, « la vérité une fois choisie, il faut la cacher sous l’allégorie, et à la rigueur on ne devrait l’exprimer ni à la fin ni au commencement de la fable. C’est à la fable elle-même à faire naître la vérité dans l’esprit de ceux à qui on la raconte, autrement le précepte est direct et à découvert, contre l’intention de l’allégorie qui se propose de le voiler ».
Vous vous intéresserez à la fonction de l’allégorie dans la fable, en vous appuyant sur Les Fables de La Fontaine.
La fable se définit comme un « court récit allégorique (…) qui sert d’illustration à une vérité morale »[1]. Selon Houdar de La Motte, écrivain et fabuliste du XVIIème siècle, lorsqu’on écrit une fable, il faut effectivement « se proposer d’abord quelque vérité à faire entendre ». La fable aurait donc avant tout un but didactique, elle aurait pour fonction d’instruire, de transmettre une vérité. Mais, comme le mentionne sa définition, l’essence de la fable serait de transmettre cette vérité par l’allégorie, qui « représente une idée abstraite, une notion morale par une image ou un récit (…) »[2]. Dès lors, la fable transmettrait une vérité (morale, abstraite), mais par le biais de récits, d’images, de symboles, ou de « métaphores »[3]. Pour Houdar de la Motte, il faut même « cacher [la vérité] sous l’allégorie », et « à la rigueur » ne pas l’exprimer « ni au début ni au commencement de la fable ». En effet, selon lui « l’intention de l’allégorie » serait de « voiler le précepte », et ainsi de « faire naître la vérité dans l’esprit de ceux à qui on la raconte », ce qui impliquerait de ne pas donner le « précepte » « direct et à découvert ». Dès lors, l’allégorie n’aurait pas pour fonction d’illustrer une vérité (qui serait donnée explicitement au début ou à la fin), mais au contraire de la « dissimuler », de la « rendre moins visible, moins nette (…) »[4]. En revanche, la métaphore du voile évoque également le fait que l’on puisse tout de même déceler, deviner, cette vérité à travers le « voile ». L’allégorie permettrait donc à la fois de cacher une vérité, mais également de la rendre partiellement visible, discernable, afin qu’elle puisse « naître dans l’esprit » du lecteur. Il s’agirait donc d’amener le lecteur à trouver lui-même le précepte grâce aux images présentes dans l’allégorie, sans le lui divulguer explicitement. Mais on peut se demander s’il s’agit réellement de la fonction de l’allégorie : ne pourrait-elle pas avoir un autre rôle, comme celui d’illustrer une vérité explicite pour la rendre au contraire plus visible et compréhensible, ou encore de simplement divertir le lecteur par le biais de récits amusants pour mieux lui faire apprendre la vérité ? Nous nous intéresserons donc au but de la fable : s’agit-il toujours de transmettre une vérité, et de quel type de vérité s’agit-il ? On se demandera ainsi si la fable transmet toujours une vérité morale ou un « précepte », c’est-à-dire une « prescription énonçant un enseignement, une conduite à suivre, une règle (ou un ensemble de règles) à observer »[5], ou s’il y a d’autres types de vérités que la fable peut exprimer, et à qui s’adresse ce message. Qui plus est, il s’agira de déterminer si la fable cherche à transmettre une seule vérité, ou plusieurs, et si elle est transmise de manière explicite ou implicite. Nous nous questionnerons également sur le fonctionnement et les fonctions de l’allégorie dans la fable : comment l’allégorie s’y prend-elle pour à la fois « cacher » et « faire entendre » sa vérité ? Sert-elle avant tout à dissimuler une vérité, pour la faire naître dans l’esprit du lecteur (et dans quel but ?), comme le préconise de La Motte, ou peut-elle avoir d’autres fonctions ? Donner la vérité explicitement trahirait-il l’intention de l’allégorie, ou le message peut-il s’ajouter à celle-ci, et avec quels effets attendus sur le lecteur ? Nous écarterons l’aspect prescriptif de la citation de La Motte, car nous ne nous intéressons pas à ce qu’un auteur doit ou ne doit pas faire, et nous nous concentrerons plutôt sur les fonctions et effets possibles de l’allégorie dans la fable, c’est-à-dire à la manière dont le sens est produit.
Nous tenterons de répondre à ces questions à la lumière des Fables de La Fontaine, prédécesseur de La Motte ayant redonné ses lettres de noblesse au genre de la fable (oublié depuis les fabulistes antiques) ainsi qu’à sa Préface à Monseigneur le Dauphin et à sa Dédicace à Monseigneur le Dauphin. Dans un premier temps, nous déterminerons les types de vérités et les destinataires des Fables de la Fontaine, pour ensuite nous intéresser au rôle de divertissement qu’a l’allégorie chez La Fontaine, afin de mieux transmettre cette vérité. Enfin, nous nous demanderons si l’allégorie a plutôt une fonction d’illustration chez cet auteur (où le précepte serait donné), ou si au contraire elle a également pour intention de « voiler » la vérité (où le précepte serait caché).
A la lecture des Fables[6] de La Fontaine, on constate effectivement qu’il y a toujours une « vérité à faire entendre », qu’elle soit plus ou moins explicite. Le fabuliste affirme lui-même dans sa préface que ses fables ne sont légères qu’en apparence et qu’elles « servent d’enveloppe à des vérités importantes » (Préface, p.5). Ces vérités peuvent être morales, puisqu’il y présente l’objectif premier de la fable qui est d’inculquer aux enfants dès leur plus jeune âge « la sagesse et la vertu » (p.10). De même, il annonce que « ces badineries ne sont telles qu’en apparence, car dans le fond elles portent un sens très solide. (…) Par le raisonnement et conséquences que l’on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses » (p.10). Ainsi, par le récit de vertus ou défauts exemplifiés par des animaux, le lecteur en apprend sur le comportement des hommes et est amené à en tirer des conseils pratiques, pour mener à bien sa vie, ainsi que des valeurs morales. En outre, La Fontaine indique dans la Préface (p.10-11) que les fables fournissent non seulement des morales mais aussi des connaissances : celles de notre propre nature et de notre propre personne à travers les animaux, car l’homme est la somme de qualités de différents animaux. Cependant, la vérité transmise peut aussi être politique, comme on le voit dans Le Loup et l’Agneau (1, X)), où la morale « la raison du plus fort est toujours la meilleure » (p.67) semble pouvoir s’appliquer au système judiciaire et dénoncer son fonctionnement (comme nous le verrons plus loin en détail). De même, dans Les Membres et l’Estomac (3, II)), le message explicite fait l’apologie du roi et du système social, mais cache également une critique politique. Enfin, dans Le Pouvoir des Fables (8, IV), on trouve non seulement une apologie des fables, qui pourrait constituer une sorte de vérité ou de conseil « littéraire », mais également un enjeu diplomatique, puisque la fable se présente comme un conseil à l’ambassadeur de France en Angleterre, dans le but d’éviter une nouvelle guerre. On voit donc que les types de vérités transmises dans Les Fables peuvent être de natures très diverses : si elles sont avant tout morales, se rapportant au comportement des hommes et espérant livrer des règles de conduite, elles peuvent également être factuelles, politiques ou même littéraires (voire philosophiques, comme dans Le discours à Mme de la Sablière, où La Fontaine défend le fait que les animaux ont une âme). Ainsi, si les Fables sont dédiées avant tout au jeune Dauphin de France, dont le but serait de l’instruire de « tout ce qu’il est nécessaire qu’un prince sache » (p.5), ces vérités s’adressent plus largement à tous les hommes : « l’histoire, encor que mensongère / contient des vérités qui servent de leçons / tout parle en mon ouvrage, et même les poissons./ Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes. / Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » (Dédicace A Monseigneur le Dauphin, p.57). Cependant, La Fontaine ne livre pas ces vérités sérieuses telles quelles, car il passe toujours par l’allégorie. La fable a en effet, outre celui de transmettre une vérité, un but de divertissement selon La Fontaine.
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