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Aléa moral et asymétrie d’information

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Par   •  20 Avril 2014  •  9 254 Mots (38 Pages)  •  1 170 Vues

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Aléa moral et asymétrie d’information :

le prêt collectif à responsabilité conjointe

Isabelle Guérin, Centre Walras (CNRS – Université Lyon 2)

RESUME

Le principe du prêt collectif, basé sur la responsabilité conjointe des emprunteurs, apparaît comme une véritable innovation financière dans la mesure où il prétend remédier au problème central auquel toute initiative d’intermédiation financière est confrontée : la gestion de l’information et la gestion des risques. L’analyse des pratiques nous amène à nuancer ce résultat. Du fait du contexte de très forte incertitude et de l’asymétrie des positions sociales, le rôle d’autosélection et d’incitation du groupe s’exerce de manière disparate. En outre, les groupes d’emprunteurs ne sont pas seulement des modalités efficaces de coordination ; ils sont également des lieux d’affrontement et de marchandage entre acteurs dotés de capacités cognitives et de pouvoir hétérogènes. Le rôle du groupe en matière de gestion de l’information et de gestion des risques dépend à la fois de l’articulation entre intérêts individuels et finalité collective, du degré d’interdépendance et de coopération, et enfin de l’articulation entre l’endogène et l’exogène. Quel que soit le rôle du groupe, les agents de crédit jouent également une fonction décisive de transmission de l’information. Enfin, au-delà des mécanismes d’incitation explicites et formalisés, les mécanismes d’incitation effectifs prennent plus souvent la forme de contrats implicites. Au total, la délégation de l’information ne peut faire l’économie d’une gestion collective des risques, d’une communication qui permette d’éviter les malentendus, de la prise en compte des rapports de pouvoir et enfin des éventuels “ coûts sociaux ” de la pression sociale.

ABSTRACT

This paper utilizes case studies to explore the advantages and disadvantages of group lending shemes. A high degree of social connectedness facilitates action, coordination, effective sanctions and reduction of transaction costs. But empirical evidences give some insights on the conditions under which groups perform well or badly. First, differences in access to resources and the power structures involved cannot be ignored, even at the microlevel power. The ideal self selection process assumed by peer group theory is both rare and impratical. Neither is it possible to ignore eventuel social costs of repayment pressure ; repayment discipline need to be tempered by additionnel mechanisms of risk management which are able to protect individuals. Finally, imperfect flows of information may also come from bank workers or development agents. Focusing on how peer groups use information doesn’t allows us to mislead the role of intermediaries between lender and borrowers, and specially how they translate information and eventually how they monopolize and misappropriate it.

INTRODUCTION

Le principe du prêt collectif, basé sur la responsabilité conjointe des emprunteurs, apparaît comme une véritable innovation financière dans la mesure où il prétend remédier au problème central auquel toute initiative d’intermédiation financière est confrontée : asymétrie d’information et aléa moral. Dans un contexte où les mécanismes de pression sociale sont suffisamment forts pour exercer un rôle de menace, on fait l’hypothèse que l’organisme prêteur délègue au groupe la gestion de l’information à la fois ex ante (sélection des emprunteurs solvables), et ex post (surveillance et contrôle des comportements de remboursement). L’approche collective apparaît ainsi comme un moyen de pallier les problèmes de rationnement de crédit, inhérents aux marchés financiers des pays en développement où les fortes asymétries d’information et l’importance des coûts de transaction impliquent une mauvaise allocation des ressources [Stiglitz, 1990]. Aujourd’hui, l’importance acquise par ce type d’approche, notamment dans sur le continent asiatique et dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la “ microfinance ”, confirme les propositions de Joseph Stiglitz. D’après les statistiques de la Banque Mondiale [1997b], 65% des dispositifs de microfinance reposent sur une approche collective. Les deux plus importants d’entre eux, la Grameen Bank au Bengladesh et la Bank Rayat Indonésienne, regroupent jusqu’à deux millions d’emprunteurs. On estime que l’offre globale touche huit à dix millions d’emprunteurs. Cette incontestable réussite ne doit toutefois pas masquer les risques de dérives, particulièrement marqués depuis que les organismes internationaux d’aide au développement ont décidé de soutenir massivement ce type de dispositif. À partir d’une revue de la littérature existante, et en confrontant les résultats obtenus aux réalités empiriques issues de plusieurs dispositifs africains, nous proposons de préciser les conditions d’efficacité du prêt collectif, à la fois pour l’emprunteur et l’emprunteur.

Une première section revient sur l’essor récent du prêt à responsabilité conjointe. Si cette formule suscite autant d’intérêt, c’est en partie car elle est cautionnée par les fondements théoriques néo-institutionnalistes dont s’inspirent les politiques soutenues par la Banque Mondiale. Reconnaître le rôle des organisations et dépasser la dichotomie État / marché est bien sûr une avancée incontestable. Deux critiques peuvent toutefois être avancés aux différents modèles inspirés de la nouvelle économie institutionnelle : l’incomplétude de l’hypothèse de rationalité, et le fait de considérer les groupes d’emprunteurs comme des « boîtes noires ». Les sections suivantes proposent de revoir le fonctionnement du prêt collectif à partir d’une reformulation de l’hypothèse de rationalité et d’une analyse des groupes d’emprunteurs qui tienne compte de l’ambivalence inhérente à toute action collective. De ce fait, l’efficacité du prêt collectif est soumise à un certain nombre de contraintes, plus restrictives que ce que postulent les modèles. Ceci explique d’ailleurs que les dispositifs qui font preuve d’efficacité complètent le principe de la responsabilité conjointe avec d’autres mécanismes d’incitation, comme l’a déjà noté Jonathan Morduch [1999]. La section 2 précise l’origine des données empiriques. La section 3 propose une redéfinition des processus de décision et des comportements coopératifs. Les sections 4 et 5 se focalisent respectivement sur le rôle du groupe en

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