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Kodak: les leçons d’une faillite

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Par   •  9 Novembre 2012  •  Étude de cas  •  2 912 Mots (12 Pages)  •  1 942 Vues

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Kodak: les leçons d’une faillite

Lorsqu'apparaissent des technologies de rupture, certaines entreprises sont totalement prises au dépourvu. D'autres sentent le vent tourner et s'adaptent avec le temps. Et il y a celles qui, comme Kodak, ont vu venir et n'ont pas su réagir. La faillite de la firme de Rochester marque la fin d'une série de faux-pas, sous-tendus par la peur d'introduire des innovations qui perturberaient son activité la plus rentable: la pellicule argentique.

Tandis qu’Eastman Kodak s’est placée sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, Isoflux, l’entreprise de David A. Glocker, est pour sa part en pleine expansion… grâce à une technologie qu’il a développée dans les laboratoires de recherche de Kodak. Il n’a rien volé, bien au contraire. Avant de fonder Isoflux avec la bénédiction de Kodak en 1993, David Glocker avait approché la direction de l’entreprise et lui avait suggéré de commercialiser le procédé de revêtement qu’il venait de développer.

“Très bien, allez-y.”

“Je suis allé voir la direction pour leur dire que cette technologie était très prometteuse et que personne ne l’avait encore commercialisée: si Kodak n’était pas intéressé, j’aimerais me lancer”, se souvient-il. A quoi ils ont répondu: “Très bien, allez-y.” C’est ce qu’il a fait, sur son temps libre, pendant cinq ans, tout en continuant à travailler chez Kodak, puis à temps plein dès 1998, après avoir quitté l’entreprise. Aujourd’hui, avec à son actif de nombreux autres brevets et innovations, Isoflux est une société en pleine croissance. Implantée elle aussi à Rochester dans l’Etat de New York, elle fabrique une gamme de revêtements spécialisés pour produits en trois dimensions, aussi bien pour des mèches de foreuses que pour des lentilles optiques ou des appareils médicaux.

La technologie en question est l’une des innombrables innovations que Kodak a développées au fil des ans, mais qu’elle a été incapable de commercialiser avec succès – la plus célèbre étant l’appareil photo numérique, inventé en 1975 par leur ingénieur Steven Sasson. Or c’est précisément le numérique qui a torpillé le géant argentique. Depuis 2003, Kodak a fermé 13 usines et 130 laboratoires, et réduit ses effectifs de 47 000 postes. Elle n’emploie plus aujourd’hui que 17 000 personnes à travers le monde, soit 63 900 de moins qu’il y a dix ans.

Lorsque surviennent de nouvelles technologies qui changent radicalement la donne, certaines entreprises sont totalement prises au dépourvu. D’autres sentent le vent tourner et, avec le temps, elles sont capables d’opérer une adaptation. Et puis il y a celles qui, comme Kodak, ont vu venir les évolutions de leur secteur et pourtant n’ont tout bonnement pas su quoi faire. La procédure de sauvegarde entamée le 19 janvier au titre du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites constitue pour l’entreprise l’aboutissement d’un déclin de 30 ans qui aura vu un géant de l’innovation se muer en un dinosaure handicapé par son propre patrimoine.

S’adapter au changement technologique peut représenter un challenge particulièrement ardu pour les sociétés comme Kodak, établies au point d’être enracinées, parce que pour un leadership habitué de longue date au succès, il est souvent difficile de rompre avec les vieux schémas qui ont jadis fait ce succès, et la tentation est forte de s’y retrancher. L’histoire de Kodak montre que l’innovation seule ne suffit pas; une stratégie commerciale claire et capable de s’adapter aux changements d’époque est tout aussi vitale pour l’entreprise. Sans une telle stratégie, des bouleversements liés aux innovations peuvent parfaitement torpiller la fortune et les perspectives d’une entreprise – même lorsque les innovations en question se trouvent être les siennes.

Cela n’a pas toujours été le cas. Lorsqu’en 1880 George Eastman, le fondateur de Kodak, s’est mis à utiliser la machine qu’il avait brevetée, une enrobeuse d’émulsion, pour produire en masse des plaques sèches pour la photographie, le perturbateur, c’était lui. Pendant plus d’un siècle à partir de ce moment, Kodak a dominé le monde du cinéma et de photographie populaire, avec des ventes dépassant 10 milliards de dollars en 1981. Avec une marge d’environ 80%, les pellicules ont été le moteur de l’expansion de l’entreprise. En 1985, Leo J. Thomas, directeur général adjoint de Kodak et directeur de sa recherche, déclarait au Wall Street Journal: “Il est très difficile de trouver quoi que ce soit dont la marge bénéficiaire soit comparable à celle de la photographie couleur… et qui soit légal.”

Nombreux sont ceux qui estiment que la rentabilité de la pellicule a contribué à la disparition de Kodak. “Je crois que la plus grosse erreur pour Kodak, pendant plus de vingt ans, a été de craindre d’introduire des technologies qui perturberaient l’industrie de la pellicule, confie Glocker. Il y avait d’excellents scientifiques et ingénieurs dans les labos, mais aussi à plusieurs niveaux du management, et ils ont produit certaines des plus grandes innovations du monde actuel. Et pourtant, l’entreprise n’a presque jamais été disposée à risquer ses marges élevées sur les pellicules en lançant ces innovations. Ce qui est ironique, c’est que nombre d’entre elles – les capteurs CCD, les rayons X numériques, etc. – ont fini par avoir raison de Kodak.”

Kodak n’était jamais à court d’innovations, ajoute Glocker, mais il y avait un divorce entre les laboratoires de recherche et le top management. Ils étaient déconnectés. Quand il a rejoint Kodak en 1983, la recherche était financée par qu’on appelait le “Eastman nickel”, la “pièce jaune Eastman”: sur chaque dollar de pellicule Kodak vendue, la recherche récupérait cinq cents. La culture, dans les laboratoires, était un laissez-faire relatif, et les cadres de la recherche planchaient souvent très longtemps sur des projets avant que la direction ne décide si oui ou non on allait mettre un produit sur le marché.

Du point de vue de Glocker, les choses ont commencé à changer à la fin des années 1980, lorsque l’entreprise a tenté d’aligner

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