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Moyens esthétiques pour la représentation du sensible dans le cinéma de Bruno Dumont

Mémoire : Moyens esthétiques pour la représentation du sensible dans le cinéma de Bruno Dumont. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  15 Janvier 2016  •  Mémoire  •  1 447 Mots (6 Pages)  •  899 Vues

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Moyens esthétiques pour la représentation du sensible

dans le cinéma de Bruno Dumont

José SALAZAR


 " L'homme, on a dit qu'il était fait de cellules et de sang. Mais en réalité il est comme un feuillage. Non pas serré en bloc mais composé d'images éparses comme les feuilles dans les branches des arbres et à travers lesquelles il faut que le vent passe pour que ça chante[1]. "

Jean Giono


SALAZAR José

« Moyens esthétiques pour la représentation du sensible dans le cinéma de Bruno Dumont »

Article de Master 1 Recherche Cinéma et Audiovisuel

Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne

Sous la direction du Prof. José Moure

2015


  1. Introduction

Depuis son premier long-métrage La Vie de Jésus, sorti en 1997, Bruno Dumont développe un cinéma sobre et imprégné de réalité, dans la lignée d’une esthétique bressonienne qui le place dans la catégorie des cinéastes de la transcendance. Sa pratique cinématographique est d'une grande économie esthétique et narrative : des histoires où l'intrigue n'est pas vraiment importante, tenues par des personnages plutôt monolithiques, interprétés par des acteurs non-professionnels que le cinéaste met en scène de la façon la plus épurée qui soit. En se détachant des représentations idéales des genres dans lesquels ses films feignent de s'inscrire, le cinéaste persévère dans sa recherche de l’émotion brute et dans sa volonté de ne pas épargner le spectateur des contradictions de la nature humaine. Le réalisme social dans lequel semble s'inscrire son cinéma est rejeté par le cinéaste lui-même, en affirmant que la réalité n'est pas son projet, parce qu'il s'intéresse à une vérité humaine[2]. Philosophe de formation, Dumont affirme faire de la philosophie par le cinéma, d'aller à la quête de la vérité par le moyen des images et du son, pour essayer de dépasser la prétention de la philosophie de croire qu'elle peut y accéder par la raison[3]. Sans surprise, le cinéaste s'appuie sur des pensées philosophiques pour développer son approche esthétique, comme le prouve son témoignage extrait d’un documentaire réalisé en 2012 : « Héraclite fournit des explications sur le raccord des hasards et que la vérité s'accorde sur les hasards et jamais sur ce qui est réfléchi […] pour lui [Héraclite], la seule façon de faire de l'harmonie c'est de concilier des contraires. Tu ne fais pas du beau avec du beau. Donc tu fais forcément du beau avec du laid. Il faut être capable de fabriquer le contraire de ce qu'on veut avoir […] pour parvenir à une harmonie future et qui n'est pas forcément immédiate, mais qui va venir dans la scène suivante »[4]. Le laid et le hasard font ainsi leur apparition dans l'univers dumontien, comme catalyseurs d'une harmonie visant l'avènement d’une vérité contraire à la raison. Cette fonction causale attribuée au laid et au hasard entre en résonance avec une des hypothèses développées par Murielle Gagnebin dans son ouvrage sur les fonctions esthétiques de la laideur[5]. En reprenant à contre-pied les définitions du Beau proposées par Socrate dans l’Hippias majeur et à partir du rejet de la laideur en tant qu'idée dans la métaphysique platonicienne, la théoricienne réussit à démontrer comment la laideur peut devenir la définition même du sensible[6]. Quant au hasard, ses vertus avaient déjà été louangées par Jean Epstein, qui l'associait au sentiment d'étrangeté nécessaire à l'avènement d'une émotion esthétique[7]. Le travail de Bruno Dumont s’inscrit également dans une ligne esthétique qui donne une place centrale au hasard. Lors d’une interview à propos de l’acteur, le cinéaste s’exprimera ainsi : « je n'attends que l'accident. Quand je parle d'accident, j'en parle comme en peinture. J'attends qu'un événement imprévu ait lieu. C'est cet événement imprévu, justement, qui va donner à la scène sa vérité »[8]. C’est à partir de ces références philosophico-esthétiques que j’ai voulu analyser l’importance de la laideur, de l'imprévu et de l’accident pour la représentation du sensible dans le cinéma de Bruno Dumont. Car d’une part, les films du cinéaste semblent être le résultat d'un dosage de maîtrise et d’inattendu, de contrôle et d’aléatoire. Tout se passe comme si l’univers formel cinématographique était secoué par des événements pluriels qui viendraient déranger l’harmonie de la diégèse et la perception du spectateur. Alors que Bruno Dumont considère la mise en scène comme une ascèse visant à être en état, quel rôle pourraient avoir ces événements dérangeants dans l’avènement de l’extase[9] ? Je voudrais identifier leur présence dans différentes sphères de la mise en scène dumontienne, pour voir dans quelle mesure le cinéaste les prévoit et les intègre dans son univers créatif, en vue de déterminer s’ils peuvent être considérés comme des éléments structurants de sa démarche esthétique. Pour cela, je me focaliserai sur l'analyse de la diégèse, en essayant d'identifier les moyens employés par Dumont pour proposer au spectateur des signes visibles de défaillances physiques, psychiques et morales de ses personnages. Je m’attarderai sur la représentation des corps, pour voir comment leur rusticité est mise en scène et comment le réalisateur les place et les fait évoluer à l’intérieur de l'espace diégétique. Je parlerai également de l'aversion du cinéaste pour la beauté physique des acteurs, qui peut se voir reflétée aussi bien dans son casting que dans la manière dont il cherche à intégrer les dysfonctionnements physiques de certains acteurs dans l'univers diégétique. Outre les défaillances visibles, je ferai référence aux particularités et aux imprécisions de la langue parlée dans les films de Dumont. Au-delà des incompréhensions qui pourraient être attribuées aux spécificités de l'accent du Nord de la France, région d'où proviennent la plupart de ses acteurs, le cinéaste semble s'accommoder du prosaïsme et du manque de clarté des dialogues, comme si cette faiblesse du langage, loin de faire obstacle à la compréhension du film, faisait partie d'une marque d'énonciation. Dans le même ordre d’idées, je m’appuierai sur la maladresse du jeu des acteurs dumontiens pour tenter de la définir en tant qu’élément révélateur de la sensibilité des individus. Je ne quitterai pas l'univers défaillant sans parler des atrocités commises par certains personnages dumontiens et de l'absence de dénonciation explicite de leurs actes, pour prouver à quel point cette double défaillance morale – du personnage et de l'instance énonciatrice – pourrait s'inscrire dans le système de représentation que je tente d'identifier. Dans un deuxième temps et en complément de mon analyse sur la défaillance, je porterai un regard attentif sur l’importance que donne le cinéaste à la perception sensorielle pour la représentation du sensible. L’occasion d’évaluer la présence d’indices sensoriels dans son écriture, qui lui permettraient de rendre compte de la dimension sensible des personnages. Ensuite, j’énoncerai quelques formes visuelles et sonores employées par le cinéaste pour la représentation du sensible, comme l'usage du gros plan en tant que figure révélatrice de la sensibilité des corps des personnages dumontiens ou encore l’approche expressionniste du son et son incidence sur la représentation de l'intériorité des personnages. Pour finir, j’évoquerai la part mystique des personnages dans leur rapport avec la nature en tant que témoin ultime de la portée sensorielle de leur existence.

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