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Stendhal, la rencontre

Commentaire de texte : Stendhal, la rencontre. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  13 Octobre 2020  •  Commentaire de texte  •  1 899 Mots (8 Pages)  •  680 Vues

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Extrait 1 :

Livre premier, chapitre VI : « Avec la vivacité et la grâce…ne pouvait se figurer tout son bonheur »

La rencontre de Julien Sorel et de Madame de Rênal, qui sera sa maîtresse dans la première moitié du roman, ouvre le sixième chapitre du livre premier. Jusque-là, Madame de Rênal a été évoquée succinctement comme épouse du maire de Verrières ; quant à Julien, nous savons qu’il se rend chez le maire pour devenir précepteur de ses fils. Il est alors accueilli par Madame de Rênal.

La scène de première rencontre donne traditionnellement lieu, dans le roman, à des effets obligés (croisement des regards, troubles, etc.) : celle-ci ne fait pas exception. Pourtant, Stendhal garde aux sentiments toute leur fraîcheur en chargeant la scène d’une grande intensité émotionnelle. Dans cet extrait Stendhal peint une première esquisse de l’amour qui constitue, dans ce roman de l’ambition, un moment privilégié de bonheur.

L’intensité émotionnelle de la scène :

Parce qu’elle est présente dans chaque détail, l’émotion atteint dans cette scène une intensité particulière. Les sentiments y sont en effet exprimés, non seulement directement (ils sont décrits), mais aussi indirectement (ils sont suggérés).

 La peinture directe des sentiments est faite par un narrateur omniscient, voulu par Stendhal, c’est-à-dire capable de deviner les pensées des deux personnages. Il sait, par exemple, que Madame de Rênal prend d’abord Julien pour une jeune fille : « ce pouvait être une jeune fille déguisée ». Connaissant ses deux héros de l’intérieur, Stendhal peut jouer sur les points de vue. Son attention va de l’un à l’autre, comme le montre la composition du passage : les 19 premières lignes sont consacrées aux sentiments de Madame de Rênal ; les huit suivantes, à ceux de Julien ; et le dernier paragraphe entremêle leurs impressions. Ils y sont symboliquement réunis dans le pronom personnel « ils », alors qu’on les avait jusque-là désignés séparément.

D’autre part, Stendhal s’attache à restituer les nuances de l’émotion. À ce titre, la surprise, sentiment dominant du texte, peut servir d’exemple. On observe une progression dans l’intensité des termes signifiant l’étonnement : « frappé » est plus faible qu’« étonné » (à noter que le mot étonné a un sens beaucoup plus fort qu’aujourd’hui). L’adjectif « interdite » est encore plus lourd de sens, parce qu’il signifie « incapable de parler ». L’émotion va donc croissant. En outre, pour mettre en relief leur surprise commune, le narrateur a soin de placer ses personnages dans une même situation d’attente négative : Madame de Rênal redoute pour ses enfants l’arrivée d’un précepteur qu’elle imagine revêche, et Julien craint un accueil méprisant. Elle s’étonne donc de voir Julien si jeune et si doux, et lui, est surpris de la trouver si aimable. Ces craintes rendent d’autant plus vive et agréable leur surprise.

Mais l’intensité particulière de l’émotion dans cette scène résulte aussi du fait que tout n’y est pas explicite. Les sentiments sont non seulement décrits, mais aussi, indirectement, suggérés par certains procédés narratifs : l’exploitation de l’espace, et le poids donné au regard. L’espace est utilisé de manière à mettre en relief les relations émotionnelles entre les personnages. Stendhal n’en retient que les détails nécessaires à la mise en scène des sentiments. Ni la maison, ni le jardin ne sont décrits (il en avait été brièvement question au premier chapitre). Le décor se limite à deux portes, la porte du salon, par laquelle sort Madame de Rênal, et la porte d’entrée, où Julien est arrêté, c’est-à-dire à l’essentiel, car ce qui compte, c’est que la scène soit située sur une sorte de terrain neutre, littéralement entre deux portes. Le seuil est un lieu de rencontre privilégiée, par exemple dans le texte des Confessions (livre deux) où Rousseau, un des auteurs favoris de Julien, raconte sa première entrevue avec Madame de Warens.

Or, si le lieu se trouve ainsi réduit à un symbole, c’est peut-être aussi parce que les personnages ne le voient pas, leur regard étant comme aimanté par l’autre. Dès lors, la vue devient un support privilégié de l’émotion, puis de l’échange. La fréquence des termes visuels : « regard » (à deux reprises), « aperçut », « voyait », « se regarder », « avait vu », « regardait », suffirait à prouver son importance. Mais ce qui est essentiel, c’est que Stendhal a su rendre la subjectivité du regard en nous présentant chaque personnage par les yeux de l’autre (focalisation interne) : femme noble, Madame de Rênal voit en Julien un paysan, alors qu’il est le fils d’un charpentier, donc presque petit-bourgeois ; elle observe la propreté de son linge, remarque sa « chemise bien blanche » et sa « veste fort propre ». De même, Julien, issu du peuple, est sensible à la distinction de son interlocutrice, aux marques de la richesse : il « n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant ».

Le regard est donc révélateur de la sensibilité. Plus encore, il devient source de troubles quand les yeux se rencontrent (c’est un thème obligé de la scène de première rencontre), et se font porteurs d’une émotion indicible. Le moment où, dans le dernier paragraphe, les personnages sont face-à-face « à se regarder », correspond bien au point culminant de la tension émotionnelle.

Tout semble donc, dans cet extrait, consacré à l’échange visuel et aux émotions. Plus que ne le ferait une simple analyse, l’art de la suggestion les rend sensibles aux lecteurs. Or on sait déjà, en ce début de roman, que Julien se contraint à l’hypocrisie dans le dessein de faire fortune, et il cherchera jusqu’à la fin à dissimuler ses sentiments. C’est pourquoi cette rencontre constitue une scène à part dans Le Rouge et le Noir, dans la mesure où elle est un moment privilégié de bonheur.

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