Musset, Les Caprices De Marianne, Acte I, Scène 1
Note de Recherches : Musset, Les Caprices De Marianne, Acte I, Scène 1. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar shockwaves • 27 Février 2014 • 2 759 Mots (12 Pages) • 2 327 Vues
Une rue devant la maison de Claudio.
MARIANNE, sortant de chez elle un livre de messe à la main et CIUTA, l’abordant.
CIUTA — Ma belle dame, puis-je vous dire un mot ?
MARIANNE — Que me voulez-vous ?
CIUTA — Un jeune homme de cette ville est éperdument amoureux de vous ; depuis un mois entier, il cherche vainement l’occasion de vous l’apprendre ; son nom est Coelio ; il est d’une noble famille et d’une figure distinguée.
MARIANNE — En voilà assez. Dites à celui qui vous envoie qu’il perd son temps et sa peine et que s’il a l’audace de me faire entendre une seconde fois un pareil langage j’en instruirai mon mari.
Elle sort.
COELIO, entrant — Eh bien ! Ciuta, qu’a-t-elle dit ?
CIUTA — Plus dévote et plus orgueilleuse que jamais elle instruira son mari, dit-elle, si on la poursuit plus longtemps.
COELIO — Ah ! Malheureux que je suis, je n’ai plus qu’à mourir ! Ah ! La plus cruelle de toutes les femmes ! Et que me conseilles-tu, Ciuta ? Quelle ressource puis-je encore trouver ?
CIUTA — Je vous conseille d’abord de sortir d’ici, car voici son mari qui la suit.
Ils sortent. - Entrent Claudio et Tibia.
CLAUDIO — Es-tu mon fidèle serviteur, mon valet de chambre dévoué ? Apprends que j’ai à me venger d’un outrage.
TIBIA — Vous, Monsieur ?
CLAUDIO — Moi-même, puisque ces impudentes guitares ne cessent de murmurer sous les fenêtres de ma femme. Mais, patience ! Tout n’est pas fini. - Écoute un peu de ce côté-ci : voilà du monde qui pourrait nous entendre. Tu m’iras chercher ce soir le spadassin que je t’ai dit.
TIBIA — Pour quoi faire ?
CLAUDIO — Je crois que Marianne a des amants.
TIBIA — Vous croyez, Monsieur ?
CLAUDIO — Oui ; il y a autour de ma maison une odeur d’amants ; personne ne passe naturellement devant ma porte ; il y pleut des guitares et des entremetteuses.
TIBIA — Est-ce que vous pouvez empêcher qu’on donne des sérénades à votre femme ?
CLAUDIO — Non, mais je puis poster un homme derrière la poterne et me débarrasser du premier qui entrera.
TIBIA — Fi ! Votre femme n’a pas d’amants. - C’est comme si vous disiez que j’ai des maîtresses.
CLAUDIO — Pourquoi n’en aurais-tu pas, Tibia ? Tu es fort laid, mais tu as beaucoup d’esprit.
TIBIA — J’en conviens, j’en conviens.
CLAUDIO — Regarde, Tibia, tu en conviens toi-même ; il n’en faut plus douter, et mon déshonneur est public.
TIBIA — Pourquoi public ?
CLAUDIO — Je te dis qu’il est public.
TIBIA — Mais, Monsieur, votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville ; elle ne voit personne, elle ne sort de chez elle que pour aller à la messe.
CLAUDIO — Laisse-moi faire. - Je ne me sens pas de colère après tous les cadeaux qu’elle a reçus de moi. - Oui, Tibia, je machine en ce moment une épouvantable trame et me sens prêt à mourir de douleur.
TIBIA — Oh ! Que non.
CLAUDIO — Quand je te dis quelque chose, tu me ferais plaisir de le croire.
Ils sortent.
COELIO, rentrant — Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s’abandonne à un amour sans espoir ! Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie avant de savoir où sa chimère le mène et s’il peut être payé de retour ! Mollement couché dans une barque, il s’éloigne peu à peu de la rive, il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le mirage léger de son Eldorado. Les vents l’entraînent en silence et, quand la réalité le réveille, il est aussi loin du but où il aspire que du rivage qu’il a quitté ; il ne peut ni poursuivre sa route ni revenir sur ses pas. (On entend un bruit d’instruments.) Quelle est cette mascarade ? N’est-ce pas Octave que j’aperçois ?
Entre Octave.
OCTAVE — Comment se porte, mon bon Monsieur, cette gracieuse mélancolie ?
COELIO — Octave ! Ô fou que tu es ! Tu as un pied de rouge sur les joues ! - D’où te vient cet accoutrement ? N’as-tu pas de honte en plein jour ?
OCTAVE — Ô Coelio ! Fou que tu es ! Tu as un pied de blanc sur les joues ! - D’où te vient ce large habit noir ? N’as-tu pas de honte en plein carnaval ?
COELIO — Quelle vie que la tienne ! Ou tu es gris, ou je le suis moi-même.
OCTAVE — Ou tu es amoureux, ou je le suis moi-même.
COELIO — Plus que jamais de la belle Marianne.
OCTAVE — Plus que jamais de vin de Chypre.
COELIO — J’allais chez toi quand je t’ai rencontré.
OCTAVE — Et moi aussi j’allais chez moi. Comment se porte ma maison ? Il y a huit jours que je ne l’ai vue.
COELIO — J’ai un service à te demander.
OCTAVE — Parle, Coelio, mon cher enfant. Veux-tu de l’argent ? Je n’en ai plus. Veux-tu des conseils ? Je suis ivre. Veux-tu mon épée ? Voilà une batte d’arlequin. Parle, parle, dispose de moi.
COELIO — Combien de temps cela durera-t-il ? Huit jours hors de chez toi ! Tu te tueras, Octave.
OCTAVE — Jamais de ma propre main, mon ami, jamais ; j’aimerais mieux mourir que d’attenter à mes jours.
COELIO — Et n’est-ce pas un suicide comme un autre que la vie que tu mènes ?
OCTAVE — Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d’argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre ; à droite et à gauche, de vieilles petites figures racornies, de maigres et pâles fantômes, des créanciers agiles, des parents et des courtisans ; toute une légion de monstres se suspendent à son manteau et le tiraillent de tous côtés pour lui faire perdre l’équilibre ; des phrases redondantes, de grands mots
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